Écrivain français (Sète 1871 - Paris 1945).
Une vocation gauchie
Le 30 octobre 1871 naissait à Cette (devenu Sète) Ambroise Paul Toussaint Jules Valéry, fils de Barthélemy Valéry, vérificateur principal des douanes, et de Fanny Grassi, issue de la noblesse italienne. Le jeune Paul entre d’abord chez les frères dominicains (1876), puis au collège de Cette (Sète) [oct. 1878]. « Ce collège avait des charmes sans pareils. Les cours dominaient la ville et la mer. » L’enfant se construit déjà un univers : « J’ai dû commencer vers l’âge de neuf ou dix ans à me faire une sorte d’île de mon esprit, et, quoique d’un naturel assez sociable et communicatif, je me réservais de plus en plus un jardin très secret où je cultivais les images qui me semblaient tout à fait miennes, ne pouvaient être que miennes [...]. » En 1884, il renonce à entrer à l’École navale et tente de « dériver cette passion marine malheureuse vers les lettres et la peinture ». Il écrit ses premiers vers. Cette activité est plutôt un refuge pour échapper au lycée de Montpellier, où il entre en 1884. « Les horaires tambourinés », les exercices lui semblent absurdes. Dès cette époque et malgré la pression de l’école, Valéry se forge sa propre culture. Il lit le Dictionnaire raisonné de l’architecture française du xie au xvie s. de Viollet-le-Duc, la Grammaire de l’ornement (The Grammar of Ornament, 1856) d’Owen Jones. Il écrit des notes, des vers, et il peint. Il étudie « les arts savants du Moyen Âge, de Byzance et quelque peu la Grèce ». Malgré cette érudition peu scolaire, il obtient son baccalauréat en 1887 et commence en 1888 son droit à Montpellier. Sous l’instigation de son ami Pierre Féline, il s’intéresse aux mathématiques. En 1889, il publie sa première œuvre, Rêve, dans la Revue maritime. Mais le monde littéraire lui est encore fermé.
C’est en 1890, au cours d’un banquet à Palavas, que Valéry fait la connaissance de Pierre Louÿs (1870-1925), qui le met en relation avec André Gide*, qu’il rencontrera au mois de décembre de la même année. Une amitié, dont témoigne une correspondance, se noue entre les deux hommes. Louÿs met également Valéry en relation épistolaire avec Mallarmé*, le maître de l’heure, à qui il demande conseil : « Seule en donne la solitude », répond le poète.
Valéry est alors « lancé » dans le monde des lettres. En 1891, il publie dans la Conque le premier état de Narcisse parle, l’Ermitage, le Paradoxe de l’architecte. Le Journal des débats prophétise : « Son nom voltigera sur les lèvres des hommes. » Vers la fin de cette année, Valéry séjourne à Paris, où il rencontre enfin Mallarmé et Huysmans*, l’auteur d’À rebours, qu’il considère comme sa « bible et son livre de chevet ». Pendant ce temps, il termine sa licence en droit, qu’il obtiendra en 1892.
Une ascèse géométrique
1892 : une année déterminante ; une passion platonique tourne à l’idée fixe. Et, au cours de vacances passées à Gênes, dans une nuit orageuse d’octobre, Valéry prend la décision de renoncer à toute vie sentimentale et littéraire. Il se consacrera désormais à la connaissance pure et désintéressée. Il est alors « entre moi et moi », entre ce moi ancien soudain pulvérisé, de jeune homme promis à un brillant avenir littéraire et ce moi nouveau qu’il va se forger par la force de l’esprit pour correspondre à une image idéale à laquelle il s’efforcera d’adhérer parfaitement, image dénuée de tout sentiment, de toute sensation. Ceux-ci agressent, dérivent et détériorent le Moi pur vers lequel il s’achemine, dans lequel le hasard, auquel les surréalistes attacheront une importance fondamentale, ne doit intervenir en aucune manière. Refusant la passion, il se livre passionnément à la conscience. Sublimation ? Cela semble peu probable. Mais Valéry s’interdit d’être gouverné par l’ingouvernable. Il entend garder en permanence le contrôle de soi, une distance respectable entre ses idées et ses gestes. Il « guillotine » l’amour et la littérature pour se délivrer des faux-semblants. La question se pose : ne s’est-il pas guillotiné lui-même en parlant de l’autre comme d’un ennemi qui entame et appauvrit le Moi divin, s’il ne le fait disparaître ? Quoi qu’il en soit, l’amour lui apparaîtra comme un besoin, analogue au manger et au boire. Tout le reste est littérature, comblement du vide pour attrayer une existence animée par l’ennui. L’acte sexuel est une violence dont chacun pâtit. L’amour ? il ne permet aucun dépassement. C’est un passage sournois vers la mort, un suicide pour le moins.