Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
U

U. R. S. S. (Union des républiques socialistes soviétiques) (suite)

Naissance de l’armée rouge

La création des forces armées soviétiques ne saurait être séparée de la situation dramatique que connaît la révolution bolchevik au début de 1918. Las des interminables négociations qui suivent l’armistice de Brest-Litovsk (15 déc. [2 déc. ancien style] 1917), les Allemands signent le 9 février 1918 un traité séparé avec l’Ukraine, et, le 10 février (28 janv.), Trotski* rompt les pourparlers de Brest-Litovsk et annonce la démobilisation générale des armées russes. Les Allemands déclenchent le 19 un mouvement en avant de leurs armées du front oriental en direction des pays baltiques, de la Russie Blanche et de l’Ukraine. C’est dans ces conditions que, alors que tout semble s’effondrer devant lui, Lénine se résigne à traiter avec l’Allemagne. Il fait publier le 23 (10) février le décret, signé le 28 (15) janvier mais tenu secret en raison des circonstances, qui crée une armée rouge des ouvriers et des paysans (rabotchekrestianskaïa krasnaïa armia). Le 4 mars, lendemain de la signature du traité de Brest-Litovsk, la nouvelle armée de volontaires est dotée d’un comité supérieur de guerre ; à sa tête est placé Trotski, qui, responsable militaire de l’insurrection d’Octobre, sera le véritable créateur de l’armée rouge.

Avec les militaires « conscients » de la garnison de Petrograd et de nombreux marins, c’est la Garde rouge, ensemble hétéroclite d’environ 13 000 hommes formé de groupes armés dont les soviets locaux ont pris le contrôle, qui constitue l’élément de base de l’armée nouvelle, « rempart du pouvoir bolchevik dans le présent... et appui de la future révolution sociale en Europe ». Conçue en pleine anarchie comme un instrument de lutte politique composé uniquement de volontaires élisant leurs chefs, l’armée rouge va rapidement prendre un visage beaucoup plus militaire. Au début d’avril est institué le corps des commissaires politiques et est créée l’organisation militaire du territoire, avec ses régions et ses districts, qui permet de récupérer d’un seul coup de nombreux états-majors et services locaux de l’ancienne armée, qui tout naturellement restent à leur poste. En même temps, devant la pénurie et la qualité médiocre des volontaires, le gouvernement rétablit la conscription. À cette époque, beaucoup d’officiers sont d’abord neutres vis-à-vis de la révolution ; une minorité rejoint les armées blanches, mais un grand nombre aussi (estimé à environ 40 000) accepte de rallier l’armée rouge par ambition, par patriotisme ou tout simplement sous la menace pour sauver leurs familles retenues comme otages. Trotski, qui mesure l’importance du problème des cadres, décide de les y accueillir sous l’appellation de spets (spécialistes). Jumelés avec les commissaires politiques, surveillés par la police du régime, ou Tcheka, ils exerceront le commandement des unités et permettront même la création d’écoles militaires. « Il faut, déclare Trotski en décembre 1919, que chaque officier de carrière sache qu’il ne s’agit pas d’un louage de service provisoire, mais d’une action d’éclat, d’esprit et de sang. » C’est en effet dans les combats des années héroïques de 1918 à 1921 que se forgera le haut commandement futur des forces soviétiques avec des cadres de l’ancienne armée, des sous-officiers comme S. M. Boudennyï et I. S. Koniev*, et des officiers tels Toukhatchevski*, A. I. Iegorov, Joukov*, V. K. Blücher (Blioukher), Chapochnikov*, A. M. Vassilievski... Ce combat est d’abord celui de la révolution, mené sur de nombreux fronts contre les armées blanches, mais c’est aussi en 1920 la résistance opposée à l’envahisseur polonais qui provoque un sursaut national marqué par l’appel de l’ancien généralissime Broussilov* à ses camarades des armées tsaristes de venir défendre la patrie russe (v. polono-soviétique [guerre]).

En 1919, l’armée rouge (elle gardera ce nom jusqu’en 1946) compte environ un million d’hommes, dont plus de 500 000 combattants. Son commandant en chef de 1919 à 1924 est l’ancien colonel breveté d’état-major Sergueï Sergueïevitch Kamenev (1881-1936) ; au moment où il prend ses fonctions, les principaux fronts de combats, ceux d’Arkhangelsk, de la Volga, du Don et du Caucase sont dirigés par des généraux de l’ancienne armée du tsar. Ainsi, au-delà de la rupture brutale que signifiait la révolution bolchevik, l’armée de classe des gardes rouges avait retrouvé son caractère d’armée nationale. Le premier mémento de l’armée rouge, paru en 1919, sera celui que le général (prince) Souvorov (1729-1800) avait consacré à l’art de vaincre, et le règlement de la nouvelle armée pourra affirmer que « l’affermissement, la conservation et le développement des traditions militaires de la grande nation russe sont devenus pour l’armée rouge un devoir sacré ».

P. D.

Les combats des armées blanches (1918-1920)

On regroupe communément sous le nom d’armées blanches les formations militaires qui, de 1918 à 1920, tentèrent de s’opposer au pouvoir bolchevik issu de la révolution d’Octobre. Parmi les opérations très décousues de cette période héroïque de la guerre civile, on ne retiendra ici que les principales, qui eurent pour théâtres le sud de la Russie, la Sibérie et les pays baltiques.

Les armées blanches de la Russie du Sud

Commandant la VIIIe armée lors de l’offensive Broussilov* de 1916, le général Alekseï Maksimovitch Kaledine (1861-1918) était élu un an plus tard ataman des Cosaques du Don. Installé à Novotcherkassk, il refuse de reconnaître la prise du pouvoir par Lénine et est rejoint à la fin de 1917 par les généraux Lavr Gueorguievitch Kornilov (1870-1918), Anton Ivanovitch Denikine (1872-1947) et Mikhaïl Vassilievitch Alekseïev (1857-1918). Ces derniers lancent un appel aux armes « contre les Allemands et les bolcheviks » qui permet la formation d’une armée volontaire. Au début de 1918, elle compte 4 000 hommes (dont de nombreux officiers) que renforcent 3 000 Cosaques. Attaqués par les Rouges, ceux-ci refusent de se battre, Kaledine se suicide en février, et Kornilov, qui le remplace, se replie sur le Kouban, où il est tué en avril. Alors que tout semblait perdu, l’armée blanche est sauvée par le soulèvement des Cosaques, qui, excédés de la terreur semée par les Rouges, la rallient en masse. Au cours de l’été, deux armées se constituent : celle du général Petr Nikolaïevitch Krasnov (1869-1947), élu ataman, qui, soutenu par les Allemands, chasse les Rouges de la région du Don ; celle du général Denikine, successeur de Kornilov, qui s’appuie sur les Alliés. Alekseïev étant mort en octobre et Krasnov ayant démissionné au lendemain de la défaite allemande (qui donne l’Ukraine aux bolcheviks), Denikine se proclame chef des forces armées de la Russie du Sud (150 000 hommes) installées sur le Don inférieur et au Kouban. Après une série de succès qui, pendant l’été de 1919, leur donnent la Crimée et l’Ukraine, puis les conduisent en octobre jusqu’à Voronej et Orel, les troupes de Denikine sont battues en octobre-novembre par l’attaque convergente de six armées rouges. Trois mois après, les Blancs se réfugient en Crimée, où Denikine est remplacé en avril 1920 par le général Petr Nikolaïevitch Wrangel (ou Vrangel, 1878-1928). Profitant du répit que lui donne la guerre polono-soviétique*, celui-ci reprend l’offensive et atteint en juin Iekaterinoslav (auj. Dniepropetrovsk) et Marioupol (auj. Jdanov). Le 12 août 1920, son « gouvernement » est reconnu de facto par la France, mais, en novembre, la fin de la guerre de Pologne permet à l’armée rouge de regrouper toutes ses troupes contre Wrangel. Ce dernier se réfugie en Crimée et, quand les Rouges que commande Mikhaïl Vassilievitch Frounze (1885-1925) forcent l’isthme de Perekop en novembre 1920, il réussit à embarquer, grâce à l’aide des Alliés, 135 000 personnes, dont 70 000 soldats. Ses navires, convoyés par deux bâtiments français, rallient Bizerte le 27 décembre 1920. Ses troupes seront transférées en Yougoslavie, où Wrangel ne renoncera à la lutte qu’en 1925.