Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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U. R. S. S. (Union des républiques socialistes soviétiques) (suite)

Sur le plan intérieur, les adversaires des bolcheviks sont divisés. Le tsar et toute la famille impériale ont été tués le 17 juillet 1918 à Iekaterinbourg (auj. Sverdlovsk), ce qui rend impossible toute tentative de regroupement, derrière un nouveau tsar, de tous les contre-révolutionnaires. Généraux et hauts dignitaires de l’Ancien Régime ne savent pas unir contre les bolcheviks leurs forces et leurs énergies. Les ambitions personnelles aggravent les rivalités politiques et suscitent de nouvelles dissensions.

En outre, les trois grandes tendances politiques sont incapables de s’entendre sur le futur régime de la Russie : les défenseurs du tsarisme entendent revenir à l’Ancien Régime au prix de quelques aménagements ; la bourgeoisie libérale souhaite créer une république parlementaire, mais sans opérer de réformes sociales sérieuses ; les mencheviks et les sociaux-révolutionnaires, d’accord pour une république de type occidental, entendent garantir des modifications sociales importantes et parfois refusent de combattre militairement le pouvoir soviétique.

Les bolcheviks, eux, disposent d’atouts sérieux, qu’ils sauront exploiter. Ils ont l’appui des ouvriers et d’un nombre important d’habitants des villes. Quant aux paysans, ils soutiennent dans certaines régions le pouvoir soviétique, qui leur a donné la terre. Ce nouveau pouvoir, fort de l’appui d’une partie importante des masses, forge les instruments de sa victoire militaire. L’armée rouge peut lever des millions de volontaires, et ses effectifs atteindront 5 millions d’hommes en 1921 ; elle recrute de nombreux officiers tsaristes, qui mettent leurs connaissances au service des soviets souvent par nationalisme, parce qu’ils considèrent les bolcheviks comme les seuls capables de préserver l’unité du pays et de sauver l’État russe de la débâcle ; une stricte discipline est imposée à l’armée, dont l’équipement provient de l’ancienne armée tsariste.

La police politique (la Tcheka) voit ses effectifs augmenter et son rôle s’accroître au fil des mois. La terreur rouge s’attaque aux classes possédantes, aux spéculateurs, aux contre-révolutionnaires, et la Tcheka, bras séculier des bolcheviks, tend à devenir un État dans l’État.

Les institutions soviétiques mises en place sont évidemment marquées par les circonstances. La Constitution de la République socialiste fédérative soviétique de Russie (R. S. F. S. R.), adoptée en juillet 1918, prévoit que seront exclus du suffrage les membres des anciennes classes dirigeantes et les popes. Les délégués aux soviets sont élus sur la base d’un représentant pour 25 000 personnes dans les villes et d’un pour 125 000 dans les campagnes. Le suffrage est public et non secret.

Sur le plan économique, l’État est amené à instaurer un système de contrôle et de réquisition que l’on a appelé le « communisme de guerre ». Des prélèvements considérables sont opérés chez les paysans, soumis à des contrôles sévères. L’État possède les principaux leviers de commande de la vie économique. Toutes les entreprises de plus de cinq ouvriers sont socialisées (dix quand elles ne possèdent pas de moteur). Le travail est obligatoire de seize à cinquante ans. Les services publics sont gratuits, et la propriété immobilière est supprimée.

En fait, il s’agit d’un ensemble de mesures rendues nécessaires par la guerre civile et qui n’ont pas grand-chose à voir avec le communisme. La tension des forces de la révolution permettra au pouvoir soviétique de mettre en œuvre des moyens énormes, qu’il était difficile d’imaginer aux premiers temps de la guerre civile.

Cependant, plusieurs armées blanches se constituent dès le milieu de 1918. Dans le Sud, elles sont dirigées par le général Denikine, à l’est par l’amiral Koltchak et au nord-ouest par le général Ioudenitch. Les unes après les autres — et non parfois sans un péril extrême pour la révolution —, elles sont vaincues par l’armée rouge. En 1920, la Pologne espère profiter des difficultés de sa voisine orientale et l’attaque (v. polono-soviétique [guerre]). Après une avance surprise sur Varsovie, qui échoue de peu, l’armée rouge, épuisée, est obligée de se retirer, et la Russie soviétique doit signer le traité de Riga (1921), qui abandonne à la Pologne les parties occidentales de l’Ukraine et de la Biélorussie. La dernière tentative d’une armée blanche dirigée par Wrangel est brisée par l’armée rouge en novembre 1920.

En 1921, les bolcheviks sont les maîtres incontestés de la Russie, de l’Ukraine, de la Biélorussie et du Caucase. La Pologne, la Finlande, les États baltes (Estonie, Lituanie, Lettonie) sont devenus indépendants. La Bessarabie a été rattachée à la Roumanie. Par rapport à 1913, les soviets contrôlent 770 000 km2 en moins avec une population de 30 millions d’habitants.

La guerre civile — survenant après la guerre contre les Empires centraux — a eu des conséquences humaines et matérielles catastrophiques.

Les opérations militaires ont amené une baisse brutale de la production agricole, aggravée par la sécheresse de l’été 1921. La famine de l’hiver de 1921-22 fait plus de 8 millions de morts, qui s’ajoutent aux victimes de la Première Guerre mondiale, à celles de la guerre civile et à celles des épidémies qui ravageront le pays des années durant. Au total, on compte 13 millions de morts de 1913 à 1921 et un déficit de naissances d’un ordre semblable. Quant à la production, elle est très faible : en 1921, elle représente à peine le tiers pour les céréales et moins du quart pour l’industrie de celle de 1913. Des millions de vagabonds parcourent les routes à la recherche d’un peu de travail. Des bandes armées mettent le pays en coupe réglée, et des millions d’enfants sont abandonnés.

Sur le plan politique, les conséquences de la guerre civile ne sont pas moindres. Le parti bolchevik est devenu un parti unique. Peu à peu, les activités de tous les autres partis ont été interdites, et la presse et l’édition sévèrement contrôlées. La Tcheka, aux effectifs nombreux, est toute-puissante. Les soviets ont perdu de leur autonomie par rapport au parti, qui dirige toute la vie économique, sociale, politique et idéologique du pays.

Les difficultés économiques suscitent des crises sérieuses : révoltes paysannes, grèves ouvrières et jusqu’à une véritable révolution à Kronchtadt, le port militaire de Petrograd, où une révolte des ouvriers et des marins se transforme en une insurrection contre les bolcheviks, qui la répriment avec énergie (févr.-mars 1921).

Bref, en 1922, le pays est à reconstruire, le socialisme est encore à édifier, et ce alors que la révolution socialiste a échoué partout, sauf dans l’ancien Empire russe. Le plus difficile reste à faire.