Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Tunisie (suite)

Le 15 mai 1951, à la suite d’un discours prononcé par le bey, demandant un régime constitutionnel d’inspiration démocratique, le résident se présente flanqué de troupes au palais beylical et demande au souverain de chasser Chanīq et Ṣalāḥ ibn Yūsuf. Le bey proteste auprès du président de la République. Le 16 octobre 1951, Chanīq part pour Paris poursuivre les négociations qui doivent conduire la Tunisie vers l’autonomie interne. Le 30 octobre, il présente un mémoire relatif à la souveraineté tunisienne. Pour appuyer le gouvernement et protester contre l’attitude des représentants de la colonisation, les organisations nationales, à l’exception du Vieux-Destour, appellent à la grève générale pour le 29 novembre.

Cependant, le 15 décembre, la réponse du gouvernement français au mémoire de Chanīq par une fin de non-recevoir constitue un prélude à l’épreuve de force en Tunisie.


L’épreuve de force

Le 16 janvier 1952, le nouveau résident, Jean de Hautecloque, interdit le congrès du Néo-Destour et fait arrêter 150 Destouriens, parmi lesquels Bourguiba. Le Congrès se tient cependant clandestinement sous la présidence de al-Hādī Chākir (Chaker). Constatant l’impossibilité d’une politique de négociations, il affirme « que seule l’abolition du protectorat, l’accession de la Tunisie au stade d’un État indépendant et souverain et la conclusion entre la Tunisie et la France d’un traité coordonnant sur un pied d’égalité l’action des deux nations [...] permettront une coopération amicale, féconde et durable entre les deux pays ».

Tandis que le congrès délibère, les médinas ferment boutiques et l’U. G. T. T. décrète la grève générale. Partout en Tunisie, l’émeute se déchaîne.

À Paris, Edgar Faure, président du Conseil, parle, le 22 janvier 1952, de la nécessité de réformes en Tunisie, mais « par étapes dans le cadre des traités avec acheminement progressif vers l’autonomie interne conformément à notre Constitution ».

L’O. N. U. est saisie de l’affaire tunisienne. Il faudra attendre décembre 1952 pour que son Assemblée générale adopte une résolution exprimant « l’espoir que les parties poursuivront sans retard leurs négociations en vue de l’accession des Tunisiens à la capacité de s’administrer eux-mêmes ».

Après la destitution du cabinet Chanīq en mars, le gouvernement de la République appelle le bey à constituer un nouveau cabinet. Le résident impose comme Premier ministre Ṣalāḥ al-Dīn Bakkūs (Baccouche), grand propriétaire foncier.

Cependant, devant l’extension de la résistance populaire et l’apparition du terrorisme, le Quai d’Orsay cherche l’apaisement. Le 6 mai 1952, les ministres tunisiens sont élargis et, le 23 mai, toutes les restrictions à leur déplacement sont levées. Le résident Pierre Voizard, ancien secrétaire général du gouvernement tunisien (1953-54), assouplit le régime des détenus politiques et libère quelques-uns d’entre eux. En mars 1954, un nouveau Premier ministre, Ṣalāḥ al-Muẓallī (Mzali), est investi avec l’accord du bey, et sept décrets beylicaux et un arrêté résidentiel promulguent les réformes annoncées lors de la constitution du ministère. Mais ces réformes ne satisfont personne, et encore moins le Néo-Destour.


L’action de Mendès France et l’indépendance

Pierre Mendès France, devenu président du Conseil, décide d’agir : le 17 juillet 1954, Bourguiba est autorisé à résider près de Montargis. Le 30 juillet, Mendès France fait approuver par le gouvernement le régime d’autonomie interne pour la Tunisie. Le lendemain, à Carthage, auprès du bey, il proclame au nom du gouvernement de la République l’autonomie interne de la Tunisie et le transfert de l’exercice interne de la souveraineté à des personnes et à des institutions tunisiennes. Il demande la constitution d’un ministère pour discuter des modalités de cette autonomie. Ce cabinet, constitué le 8 août sous la présidence de Ṭāhir ibn ’Ammār, commence les pourparlers avec la France le 4 septembre.

À la suite d’une entrevue entre Bourguiba et Edgar Faure, revenu au pouvoir, un protocole d’accord entre les deux gouvernements, rendu public le 21 avril 1955, est officiellement signé le 3 juin. Il consacre l’autonomie graduelle de la Tunisie et les droits des Français dans ce pays. Le résident général est remplacé par un haut-commissaire.

Ce protocole d’accord soulève l’opposition des membres du Rassemblement français de Tunisie, mais aussi celle du secrétaire général du Néo-Destour, Ṣalāḥ ibn Yūsuf, qui y voit une atteinte à la cause de l’arabisme et de l’indépendance intégrale non seulement de la Tunisie, mais du Maghreb entier.

On assiste alors à une résurrection, au sein du parti destourien, des divergences opposant le Vieux-Destour au Néo-Destour. Ibn Yūsuf, appuyé par certains milieux conservateurs et une partie des propriétaires fonciers groupés dans l’Union générale des agriculteurs tunisiens (U. G. A. T.), ne reconnaît pas son exclusion du parti destourien et constitue le Secrétariat général du Néo-Destour pour mener la lutte contre les bourguibistes. Pendant quelques mois, un climat de guerre civile règne sur la Tunisie. Le 28 janvier 1956, ibn Yūsuf quitte la Tunisie, échappant de peu à l’arrestation. Il sera assassiné en 1961 à Francfort dans des conditions mystérieuses.

Le 20 mars 1956, des négociations menées avec le gouvernement de la République aboutissent à un nouveau protocole franco-tunisien, qui déclare le traité du 12 mai 1881 caduc et reconnaît l’indépendance de la Tunisie.

M. A. et P. P.


La Tunisie depuis l’indépendance

95 p. 100 des suffrages s’étant portés sur les candidats du Néo-Destour (avr. 1956), le chef de celui-ci, Bourguiba, assure la direction du gouvernement.

Ayant écarté al-Amīn (Lamine) bey et proclamé l’établissement de la République (25 juill. 1957), dont il devient le premier président, il fonde un régime qui se veut à la fois libéral (reconnaissance des libertés fondamentales par la Constitution du 1er juin 1959), moderniste (développement de l’enseignement ; reconnaissance, par le Code du statut personnel [13 août 1956], de l’égalité entre les sexes ; interdiction de la polygamie ; divorce par consentement mutuel, etc.), et laïque.