Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Tunisie (suite)

Admise à l’O. N. U. (nov. 1956), la Tunisie indépendante fait face à d’importantes difficultés. Tout d’abord, ses rapports avec la France sont très tendus en raison de la guerre d’Algérie — car son gouvernement accorde l’hospitalité au F. L. N. et à l’A. L. N. — et par suite de sa volonté de récupérer tous les droits détenus par l’ancienne puissance protectrice (affaire de Bizerte, 1961). Mais le rétablissement en Algérie de la paix souhaitée par Tunis (1962) favorise un rapprochement.

En octobre 1963, les dernières troupes françaises évacuent Bizerte, mais les relations avec la France vont s’altérer encore une fois en mai 1964, à la suite de nouvelles nationalisations de terres de colons. L’aide financière à la Tunisie est annulée, et la convention commerciale dénoncée ; seule l’assistance culturelle est maintenue. Il faudra deux ans pour que les rapports redeviennent cordiaux entre les deux pays. Sur le plan commercial, en juin 1966, le vin tunisien bénéficie de nouveau de tarifs préférentiels. Ces difficultés posent des problèmes complexes à l’économie tunisienne et contribuent à provoquer une forte dévaluation du dinar le 28 septembre 1964.

Cependant, quelques semaines plus tard (8 nov.), le président Bourguiba est triomphalement réélu à la présidence de la République pour cinq ans. En 1965, il prêche le réalisme et la modération envers Israël au cours d’un périple dans les pays arabes. Mais ses initiatives seront vivement critiquées dans le monde arabe, et une rupture des relations diplomatiques se produira même entre Tunis et Le Caire d’octobre 1966 à juin 1967.

C’est avec la Syrie qu’une nouvelle rupture intervient en mai 1968. Cependant, avec l’Algérie, un accord règle le problème frontalier de la région saharienne (avr. 1968). Par ailleurs, le président Bourguiba resserre les liens économiques et culturels avec les États de l’Afrique noire et se fait l’un des champions de la francophonie. Mais ses liens sont également étroits avec les États-Unis, dont l’aide couvre plus de la moitié des investissements publics.

À l’intérieur, un conflit se développe entre le parti socialiste destourien, parti gouvernemental, et l’Union générale des travailleurs tunisiens : Ḥabīb ‘Āchūr, le secrétaire général de l’U. G. T. T., est arrêté et condamné en janvier 1966. Cette même année, un nouveau Code du travail réglemente le droit de grève. En mars 1966, un Conseil de la République, composé des ministres et des membres du bureau politique du parti, est créé pour examiner la politique générale du gouvernement et nommer un président en cas de nécessité.

Au cours des années 1968 et 1969, le gouvernement tunisien se heurte à des mouvements étudiants qui réclament un régime plus libéral. D’autre part, le ministre de l’Économie Aḥmad Ben Ṣalāḥ, qui a proposé d’étendre le système coopératif à 4 500 000 ha afin d’accélérer la réforme agraire, soulève l’hostilité des propriétaires : il est exclu du gouvernement et du parti (nov. 1969), puis jugé et condamné à dix ans de travaux forcés. Désormais, le gouvernement — présidé par Bāhī al-Adrham (Bahi Ladgham) [nov. 1969], puis par Hādī Nuwayra (Hedi Nouira) [nov. 1970] — renonce à la réforme agraire élaborée par Ben Ṣalāḥ pour mettre l’accent, dans un contexte de libéralisme économique, sur le développement du tourisme et de l’industrie hôtelière.

Une agitation étudiante presque endémique en faveur d’une libéralisation accélérée du régime n’empêche pas Ḥ. Bourguiba d’être une nouvelle fois réélu président de la République (2 nov. 1969) et président du parti socialiste destourien (oct. 1971). Consécration du « combattant suprême » : en novembre 1974, Bourguiba est élu président à vie de la République tunisienne.

À l’extérieur, la Tunisie — qui garde ses distances avec la Ligue arabe — renoue avec l’Algérie par un traité de bon voisinage (6 janv. 1970) ; le président Bourguiba demeure le champion de la francophonie et de la francophilie, et crée l’Agence de coopération culturelle et technique. En janvier 1974, il étonne le monde en décidant, de concert avec le colonel Kadhafi, la fusion de la Tunisie et de la Libye : mais cette décision n’aura pas de suite.

P. P.

➙ Afrique romaine / Arhlabides / Berbères / Bourguiba / Carthage / Colonisation / Empire colonial français / Fāṭimides / Ḥafṣides / Kairouan / Numidie / Ottomans / Phéniciens / Tunis / Vandales.

 J. Toutain, les Cités romaines de la Tunisie (Thorain, 1895). / E. Fitoussi et A. Bénazet, l’État tunisien et le protectorat français (Rousseau, 1931 ; 2 vol.). / C.-A. Julien, Histoire de l’Afrique du Nord (Payot, 1931 ; nouv. éd. revue par C. Courtois et R. Le Tourneau, 1952-53, 2 vol.). / H. Bourguiba, le Destour et la France (Impr. commerciale, Épinay-sur-Seine, 1937). / H. Cambon, Histoire de la régence de Tunis (Berger-Levrault, 1948). / F. Garas, Bourguiba et la naissance d’une nation (Julliard, 1956). / J. Ganiage, les Origines du protectorat français en Tunisie, 1861-1881 (P. U. F., 1959). / J. Despois, la Tunisie (A. Colin, 1961). / A. Raymond, la Tunisie (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1961 ; 2e éd. avec la coll. de J. Poncet, 1971). / C. Debbasch, la République tunisienne (L. G. D. J., 1962). / H. Isnard, le Maghreb (P. U. F., coll. « Magellan », 1966). / A. Martel, les Confins saharo-tripolitains de la Tunisie, 1881-1911 (P. U. F., 1966 ; 2 vol.). / J. Despois et R. Raynal, Géographie de l’Afrique du Nord-Ouest. Algérie, Tunisie, Maroc, Sahara (Payot, 1967). / P. Grandchamp, Études d’histoire tunisienne, xviie-xxe s. (P. U. F., 1967). / A. Abdesselem, les Historiens tunisiens des xviie, xviiie et xixe s. Essai d’histoire culturelle (Klincksieck, 1974). / J. Poncet, la Tunisie à la recherche de son avenir. Indépendance ou néo-colonialisme (Éd. sociales, 1974). / G. Tanugi, Tunisie (Arthaud, 1975).


L’art ancien de la Tunisie

La grande école architecturale tunisienne, dont l’influence se fera sentir jusqu’à nos jours, s’est formée sous la domination des Arhlabides (800-909). L’œuvre la plus représentative de cette dynastie est la mosquée Sīdī ‘Uqba de Kairouan*, fondée antérieurement (viiie s.), mais à laquelle ils donnèrent sa plus grande beauté. Ce magnifique édifice inspirera non seulement les monuments de l’Ifrīqiya — ainsi la Zaytūna de Tunis, remaniée au ixe s. et présentant une salle à quinze nefs surmontée d’une très belle coupole de 864, les mosquées de Gafsa et de Béja, la Grande Mosquée (850) et la mosquée Bū Fatātā de Sousse —, mais encore ceux du reste du Maghreb. À peu près contemporains de ces sanctuaires sont les vastes bassins de Kairouan et de Raqqāda, réussites parfaites de l’art et de la science, ainsi que les ribāṭs, couvents fortifiés, fort nombreux alors en Afrique du Nord et en Espagne, et dont nous conservons au moins deux exemplaires tunisiens, à Monastir et à Sousse. Celui de Sousse, en particulier (v. 821), n’a presque rien perdu de son caractère d’origine : une porte unique donne accès à une cour carrée centrale, bordée de portiques sur lesquels s’ouvrent deux étages de cellules. Une tour d’angle accentue la lourdeur de cet ensemble robuste, parfaitement équilibré et d’une belle nudité. Il ne reste, en revanche, presque rien des palais que les fouilles seules ont fait partiellement connaître. Aux Arhlabides aussi, la Tunisie est redevable d’une immense impulsion donnée aux arts mineurs. On signalera principalement les reliures et la menuiserie, remarquable par les éclatants chefs-d’œuvre de Kairouan (minbar et maqṣūra de la Grande Mosquée).