Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Tunisie (suite)

Raidissement du Néo-Destour

Les éléments les plus avancés du Néo-Destour, déçus par l’expérience du Front populaire, engagent une action plus vigoureuse. Le pouvoir réagit en arrêtant vingt chefs néo-destouriens. En réponse, le bureau politique du Néo-Destour lance un appel à la grève générale pour le samedi 8 avril 1938 et une manifestation pour le lendemain. La manifestation tourne à l’émeute, de nombreux manifestants sont tués ou blessés, le Néo-Destour est dissous, un grand nombre de ses militants, dont Bourguiba, sont arrêtés, et l’état de siège est proclamé.


La Seconde Guerre mondiale

Cependant, la direction du Néo-Destour est, pendant la Seconde Guerre mondiale, favorable aux Alliés. De son lieu d’emprisonnement, H. Bourguiba condamne formellement la politique de l’Axe. Cependant, les chefs clandestins du Néo-Destour sont arrêtés et condamnés.

C’est le bey Muḥammad al-Munṣif (Moncef) qui prend la relève du mouvement nationaliste, décapité par l’arrestation et l’internement de ses chefs. Succédant, le 19 juin 1942, au bey Aḥmad Muḥammad, al-Munṣif est un bey destourien qui accepte l’hypothèse de devenir le premier président de la République tunisienne.

Au mois d’août 1942, il présente aux autorités françaises un programme en douze points dont les plus importants sont la constitution d’un conseil consultatif de législation où l’élément tunisien serait dignement représenté, l’accession des Tunisiens à tous les emplois publics, l’égalité de traitements et de salaires, la refonte de l’administration centrale et sa réorganisation dans le cadre tunisien, l’instruction obligatoire pour tous les Tunisiens avec l’enseignement de la langue arabe et l’expropriation, au profit de l’État, de toutes les entreprises présentant un intérêt général.

Le 12 octobre 1942, Munṣif bey entre en conflit ouvert avec le résident.

La tension subsiste lorsque les troupes allemandes occupent la Tunisie le 11 novembre 1942. Munṣif bey sait maintenir la neutralité de la Tunisie, qu’il notifie aux Alliés et aux puissances de l’Axe. Il refuse, malgré les pressions diverses, de dénoncer les traités franco-tunisiens, de mobiliser la main-d’œuvre civile et de protester contre le bombardement de Kairouan. Et, pour affirmer sa souveraineté, il constitue, le 31 décembre 1942, un ministère national avec Muḥammad Chanīq (Chenik), Māṭirī et Ṣāliḥ Farḥāt. Cependant, le 7 mai 1943, les Britanniques envahissent le palais beylical et arrêtent le bey, mais celui-ci est délivré par le secrétaire général du gouvernement. Le 13 juin suivant, le général Juin lui demande d’abdiquer. Sur son refus, le général Giraud, commandant en chef civil et militaire en Afrique française, le destitue et le transfère d’abord à Laghouat, dans le Sud algérien, puis à Ténés et à Pau, où il mourra en 1948. Munṣif est remplacé à Tunis par al-Amīn (Lamine) bey.


Préludes à la révolte

La destitution de Munṣif, accueillie par le peuple tunisien comme un deuil public, donne au nationalisme une virulence accrue. Après la défaite de l’Axe, le Néo-Destour, fort de son loyalisme pendant la guerre et de la participation de nombreux Tunisiens à la libération de la France, place ses espoirs dans le gouvernement du général de Gaulle. Mais, outre les accusations de collaboration avec l’Italie portées sans aucune preuve sérieuse contre leurs chefs, les réformes de 1945 déçoivent les néo-destouriens. Ḥ. Bourguiba, le chef du parti, quitte clandestinement la Tunisie et arrive au Caire au moment où se constitue la Ligue arabe. Deux ans plus tard, il participera dans cette ville à la création du Bureau arabe du Maghreb.

En Tunisie, la création, en 1945, de l’U. G. T. T. (Union générale des travailleurs tunisiens) constitue un appoint important pour le mouvement national. Le 23 août 1946, un congrès clandestin réunissant les membres des deux Destours et les représentants d’autres partis dénonce le protectorat et rédige une motion qui peut être considérée comme la charte du nationalisme tunisien. Avant d’être dispersée par la police, l’assistance acclame l’indépendance du pays.

Malgré la volonté d’apaisement du résident Jean Mons (1947-1950), le climat n’est pas à la détente. Le 5 août 1947, à Sfax, une grève ordonnée par l’U. G. T. T. pour protester contre l’insuffisance du salaire minimum prend le caractère d’une protestation politique.


Les accords de 1951

En septembre 1949, Bourguiba revient en Tunisie. Quelques mois plus tard, dans une déclaration à l’A. F. P. à Paris, il présente un programme en sept points et affirme la nécessité de la coopération franco-tunisienne. Le 31 mai 1950, Louis Périllier est nommé résident à Tunis : le ministre des Affaires étrangères, Robert Schuman, déclare que le nouveau résident a pour mission d’amener la Tunisie vers l’indépendance. En effet, le 13 juin 1950, L. Périllier annonce des réformes substantielles et reconnaît que la Tunisie doit s’acheminer « par des modifications institutionnelles progressivement vers une autonomie interne ».

Sur cette base, le Néo-Destour accepte de participer au gouvernement et de négocier avec la France. Le 17 août 1950, un gouvernement tunisien se constitue avec Muḥammad Chanīq (Chenik) pour président et Ṣalāḥ ibn Yūsuf (Ben Youssef), le secrétaire général du Néo-Destour, comme ministre de la Justice. Sa mission est « de négocier, au nom de S. A. le bey, les modifications institutionnelles qui, par étapes successives, doivent conduire la Tunisie vers l’autonomie interne ».

Ces négociations aboutissent à une première série de réformes qui font l’objet de quinze décrets scellés par le bey le 8 février 1951 : remise de la présidence du gouvernement tunisien au Premier ministre et non au résident ; parité effective au Conseil des ministres ; investiture par le bey de tous les membres du cabinet ; subordination du secrétaire général du gouvernement au Premier ministre ; réservation pour les Tunisiens de la fonction publique par moitié, deux tiers ou trois quarts selon qu’il s’agit de la première, de la deuxième ou de la troisième catégorie. Mais, dans la pratique, ces réformes échouent ; le gouvernement français cède à la pression des partisans du statu quo.