Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Trotski (suite)

Lors du IIe Congrès du parti ouvrier social-démocrate de Russie, qui se tient en juillet-août 1903 à Bruxelles (puis à Londres), Trotski critique les positions de Lénine. Le congrès se divise : les majoritaires avec Lénine (les bolcheviks) entendent donner au parti une structure centralisée et faire de tous les adhérents des militants actifs par leur participation à une organisation de base, ce que n’acceptent pas les minoritaires (les mencheviks). Sans se rallier tout à fait aux mencheviks, Trotski s’oppose cependant à Lénine et aux bolcheviks. Dans deux pamphlets — Rapport de la délégation sibérienne (Trotski représente la Sibérie au IIe Congrès) et Nos tâches politiques (1904) —, il dénonce la politique supercentralisatrice de Lénine, qu’il surnomme « Maximilien Lénine », l’assimilant ainsi à Maximilien Robespierre.

Trotski vit ensuite à Munich et à Genève avec sa nouvelle compagne, Natalia Sedova, rencontrée à Paris. À l’annonce de la fusillade du 22 (9) janv. 1905 (le « Dimanche rouge ») à Saint-Pétersbourg (le tsar a donné l’ordre de tirer contre une manifestation populaire pacifique), il fait ses bagages et retourne en Russie. Il est à Kiev, puis à Saint-Pétersbourg et doit se réfugier en Finlande (mai-mi-octobre). Mais, à la nouvelle de la grève des ouvriers de Saint-Pétersbourg, Trotski est de nouveau dans la capitale. Il anime le soviet de Saint-Pétersbourg jusqu’en décembre 1905, où il est arrêté. Condamné à la déportation à vie en Sibérie (nov. 1906), il est envoyé à Tobolsk en janvier 1907, d’où il s’évade pour s’établir finalement à Vienne. À partir d’octobre 1908, il y dirige la Pravda, qui sera reprise plus tard par Lénine. N’étant ni bolchevik ni menchevik, Trotski se trouve dans une situation politique inconfortable ; il essaie en vain de réconcilier les deux tendances de la social-démocratie russe : si ses orientations politiques et idéologiques le portent vers les bolcheviks, ses amitiés l’orientent davantage vers les mencheviks.

Réfugié à Zurich dès le début de la Première Guerre mondiale, Trotski, journaliste, y publie une brochure, la Guerre et l’Internationale, dans laquelle il dénonce l’impérialisme et critique les positions de l’Internationale socialiste et des partis sociaux-démocrates qui soutiennent leur propre gouvernement. De Zurich, il se rend à Paris, où il publie de nombreux articles dans Golos (« la Voix »), le journal de Martov (İouli Ossipovitch Zederbaum, 1873-1923), hostile à la guerre. Ses positions le rapprochent des bolcheviks, qui avec Lénine dénoncent la guerre impérialiste. Il participe aux conférences des socialistes européens de gauche à Zimmerwald en 1915 et à Kienthal en 1916. Il dirige avec Martov un nouveau journal, Nache Slovo (« Notre parole »), auquel collaborent nombre de futurs leaders de la révolution russe de 1917. Le gouvernement français interdit Nache Slovo en septembre 1916 et expulse Trotski en octobre.


Trotski et la révolution russe

Après un bref séjour en Espagne, Trotski se réfugie à New York. Là, il collabore au journal créé par Boukharine*, Novyï Mir (« le Nouveau Monde »). Arrivé en janvier 1917 à New York, il apprend l’explosion de la révolution russe ; évidemment, il brûle de retourner en Russie ; mais il doit attendre le 27 mars 1917 pour s’embarquer à bord d’un vapeur norvégien à destination de Londres et de Petrograd. Les autorités canadiennes l’arrêtent à son passage à Halifax et l’internent dans un camp de prisonniers allemands. Il ne quitte ce camp que le 29 avril 1917 et n’arrive que le 17 (4) mai 1917 à Petrograd, bien après tous les dirigeants socialistes russes.

Immédiatement, Trotski se met totalement au service de la révolution. Il prend la tête d’une petite organisation d’intellectuels, l’Organisation interdistricts, dont les positions sont proches de celles des bolcheviks. Lénine lui propose, le 23 (10) mai, de rejoindre le parti bolchevik et lui offre des postes dans les organismes de direction du parti. Trotski refuse, car il souhaite la création d’un nouveau parti.

La révolution, cependant, progresse en raison de l’opposition du gouvernement provisoire à la paix et à toute réforme sérieuse. L’influence bolchevik s’étend à travers le pays. Partout, des conseils (soviets) d’ouvriers, de soldats et de paysans sont constitués. Les mencheviks et les sociaux-révolutionnaires sont encore majoritaires au Ier Congrès panrusse des soviets, qui se tient le 16 (3) juin 1917. Mais dans des endroits décisifs — les entreprises de la banlieue de Petrograd et l’armée —, ils perdent du terrain.

Membre du soviet de Petrograd, Trotski joue un rôle essentiel de propagandiste. Son journal Vpered (« En avant ») n’ayant pu s’imposer, c’est par le verbe qu’il agit dans le cadre du Cirque moderne, où il s’adresse à des foules immenses et enthousiastes ; il parle aussi dans les usines et les casernes de l’armée et de la marine à Kronchtadt.

Le gouvernement provisoire, présidé par Kerenski*, inquiet des progrès bolcheviks, fait occuper le siège du parti à Petrograd et arrêter de nombreux dirigeants. Lénine se réfugie dans la clandestinité, tandis que Trotski, qui s’est solidarisé avec les bolcheviks, est arrêté le 5 août (23 juill.) 1917. Mais le VIe Congrès du parti bolchevik voit la participation de l’Organisation interdistricts ; quatre de ses représentants, dont Trotski, sont élus au Comité central.

Le gouvernement provisoire est menacé par un coup d’État militaire dirigé par le général Kornilov et dont l’échec est dû aux bolcheviks. Les progrès des bolcheviks dans les soviets sont rapides en août et septembre 1917 malgré la répression. Trotski, libéré de prison le 17 (4) septembre, est élu le 6 octobre (23 sept.) président du soviet de Petrograd. Son rôle dans la préparation de la révolution d’Octobre sera essentiel : Lénine est alors encore clandestin et le restera jusqu’au jour de l’insurrection.

Trotski soutient Lénine au sein du Comité central bolchevik pour faire décider le principe même de l’insurrection. Sans doute y a-t-il quelque désaccord entre les deux hommes quant à la date du soulèvement : Trotski est partisan d’attendre le terme du IIe Congrès des soviets, et Lénine veut placer celui-ci devant le fait accompli. Il n’en reste pas moins qu’avec İakov Mikhaïlovitch Sverdlov (1885-1919) et Staline, Trotski est un des plus fermes soutiens des thèses de Lénine. Président du soviet de Petrograd, fondateur du comité militaire révolutionnaire du soviet, il est l’« organisateur pratique » de l’insurrection d’octobre, comme Staline devait se plaire à le rappeler dans un article publié par la Pravda pour le premier anniversaire de la révolution.

Au lendemain de la prise du pouvoir, Trotski devient commissaire du peuple aux Affaires étrangères, poste difficile, car il faut négocier la paix avec l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie. Trotski considère qu’il est nécessaire de gagner du temps jusqu’au triomphe de la révolution allemande ; Lénine lui rétorque que celle-ci n’est point certaine.