Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Trotski (suite)

Dans l’immédiat, les pourparlers s’ouvrent à Brest-Litovsk après la conclusion d’un armistice. Les conditions germano-autrichiennes sont draconiennes, mais Lénine pense qu’il faut gagner du temps en cédant de l’espace. Après plusieurs semaines de discussions dramatiques au sein de la direction du parti bolchevik, Lénine l’emporte sur Boukharine et les « communistes de gauche », favorables à la guerre révolutionnaire, et sur Trotski, partisan de la formule équivoque « ni paix ni guerre ». Trotski s’incline et s’abstient pour permettre la signature de la paix. En même temps, il abandonne ses fonctions de commissaire du peuple aux Affaires étrangères. Il devient commissaire du peuple à la Guerre : ce poste est capital dans les circonstances actuelles.


L’armée rouge et la guerre civile

La guerre civile a commencé dès le début de la révolution d’Octobre. La première grande bataille se déroule près de Petrograd, à Gattchina, et sur les hauteurs de Poulkovo. Les gardes rouges commandées par Lev Davidovitch mettent en déroute les troupes de Kerenski. C’est pourquoi, en 1923, le nom de Trotsk sera donné à la ville de Gattchina. Cependant, la guerre s’avère longue et sanglante, aggravée par l’intervention étrangère. À la terreur blanche, les bolcheviks opposent la terreur rouge. Aux armées blanches s’oppose l’armée rouge. Celle-ci a dû être créée de toutes pièces. En mars 1918, la seule force militaire dont disposait le jeune pouvoir soviétique était une petite armée de quelques milliers de volontaires, les gardes rouges. En moins de trois ans, l’armée rouge devient une force considérable de 5 millions d’hommes. Trotski — contre l’avis de nombreux bolcheviks, mais avec l’appui de Lénine — utilise le concours de nombreux anciens officiers de l’armée tsariste et impose une rigoureuse discipline révolutionnaire. Il crée un corps de commissaires politiques qui, dans chaque unité, ont pour mission de veiller au moral des troupes et à la loyauté du commandement. Lui-même dirige les opérations à bord d’un train blindé qui circule des mois durant d’un front à l’autre selon les péripéties et les nécessités de la guerre civile.

Dans toute cette période, le rôle de Trotski est essentiel : sans doute, il n’est pas le seul à remporter la guerre civile, mais, en raison même de ses responsabilités, c’est à lui qu’en revient l’honneur suprême.


Lénine et Trotski

Au lendemain de la victoire du pouvoir soviétique dans la guerre civile, le prestige de Trotski est à son apogée. Jusqu’à la maladie qui écarte Lénine du pouvoir en mars 1923, ses rapports avec celui-ci sont complexes. Les deux hommes ont eu des désaccords pendant la guerre civile ; ils en auront d’autres par la suite à propos de la « militarisation du travail », que Trotski veut développer, et du rôle des syndicats. Mais en même temps, Lénine et Trotski rapprochent leurs points de vue sur de nombreux points, en particulier au cours de l’année 1922 : c’est ainsi qu’ils sont d’accord pour critiquer la politique brutale de Staline en Géorgie et pour maintenir le monopole du commerce extérieur.

Dans son « testament », c’est-à-dire dans les notes qu’il rédige avant d’être écarté totalement de la vie publique, Lénine met en garde le parti bolchevik contre le danger de scission. S’il reproche à Trotski son goût pour l’« administration », il reconnaît que c’est « peut-être l’homme le plus capable du Comité central ».


Après la mort de Lénine Trotski et Staline

Avec la disparition de Lénine (le 21 janv. 1924), l’Union soviétique perd son fondateur, et Trotski un maître qui a su utiliser ses immenses qualités dans l’intérêt de la révolution. Dès lors, la situation de Trotski devient difficile. L’Union soviétique applique une nouvelle politique économique, la NEP, qui permet de reconstruire l’économie d’un pays dévasté par la guerre civile, tandis que le parti bolchevik, devenu parti unique, contrôle toute la vie du pays. Entouré d’un cordon sanitaire, victime du boycottage et de l’hostilité des grands pays développés de l’Occident, l’Union soviétique ne peut compter que sur ses propres forces pour construire le socialisme en raison de l’échec de la révolution partout ailleurs. Plus que tout autre, Trotski sent les dangers qui menacent les jeunes républiques soviétiques de l’intérieur, mais en même temps il ne peut les combattre qu’en parole. La construction du « socialisme dans un seul pays » s’impose comme le résultat des processus historiques qui ont abouti à la situation de 1924. La « dictature du prolétariat » s’est identifiée à la « dictature du parti », et cette dictature est fragile, comme le montre la Constitution de 1918, remaniée en 1924, qui prévoit un député pour 25 000 électeurs dans les villes, et 125 000 électeurs pour un député dans les campagnes. Seule l’unité monolithique du parti et de sa direction lui permettra de subsister au lendemain de la guerre civile.

Nombreux sont les bolcheviks qui, comme Trotski, sentent la nécessité de développer la démocratie et de lutter contre la bureaucratie, mais la plupart font bloc contre Trotski : ils soutiennent Staline, qui s’est fait le champion de la construction du socialisme dans un seul pays, parce qu’ils ont le sentiment profond de cette nécessité. Trotski lui-même doit accepter — non sans tergiverser — cette situation pendant plusieurs années ; il admet que le « testament » de Lénine ne soit pas communiqué au parti et que Staline reste secrétaire général. Il n’en est pas moins isolé dans le parti et dans le Komintern.

En 1925, Trotski, dont la popularité reste cependant très grande, perd son poste de commissaire du peuple à la Guerre. Nommé membre du Conseil supérieur de l’économie nationale, il préside trois sous-comités, ceux des concessions aux sociétés capitalistes étrangères, de l’électrotechnique et de la direction scientifique et technique de l’industrie. Au XIVe Congrès du parti bolchevik, en décembre 1925, il est réélu membre titulaire du bureau politique.