Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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transferts sociaux (suite)

La politique des transferts sociaux peut-elle être simplifiée ?

Les trois objectifs des transferts sociaux (politique, économique et social) étant admis, le problème a été posé de savoir s’il n’était pas possible de réaliser ceux des transferts à objectif essentiellement social d’une manière plus simple et plus économique.


Le concept d’impôt négatif

Un procédé a été envisagé pour réduire et même supprimer une partie des prestations sociales (invalidité, vieillesse, chômage, péréquation des charges familiales), l’impôt négatif : dans ce système, tout « ménage » (au sens statistique du terme, une personne seule constitue un ménage) fait une déclaration de revenus ; dans tous les cas où le revenu déclaré est supérieur à un certain plancher — qui peut varier avec les charges de famille —, un impôt est exigible ; dans tous les autres cas, la collectivité verse au ménage intéressé une allocation égale à la différence entre le revenu déclaré et le plancher.

Le système paraît extrêmement simple ; mais il suppose d’abord des moyens de contrôle qui rendent la fraude impossible et ensuite que la collectivité accepte de prendre à sa charge tous ceux dont le revenu est insuffisant, y compris ceux qui sont eux-mêmes responsables de cette insuffisance, les paresseux notamment : c’est l’abandon du vieux principe des socialistes du xixe s. repris par l’article 12 de la Constitution soviétique : « Le travail est pour chaque citoyen apte au travail un devoir et une question d’honneur [...]. Qui ne travaille pas ne mange pas. » Ce pas a été franchi par les États-Unis, lorsque le président Johnson a fait adopter, en pleine guerre du Viêt-nam, son programme de lutte contre la misère (1964, loi sur la pauvreté) ; toute personne sans ressources peut prétendre au « welfare » : en 1974, l’allocation mensuelle par ménage peut être évaluée à 1 200 F, montant qu’il n’est possible d’apprécier qu’en tenant compte d’un prix de la vie plus élevé qu’en France ; dans les catégories les plus pauvres, il arrive fréquemment que le mari abandonne femme et enfants pour ouvrir droit à deux allocations, l’une pour lui, l’autre pour sa famille. Il convient de rappeler que, pour les économistes de l’école keynésienne, la distribution de pouvoir d’achat supplémentaire aux plus défavorisés favorise la consommation* et, par conséquence, la production*, c’est-à-dire, le plus souvent, une croissance* économique que beaucoup d’entre eux considèrent comme sans limite (les écologistes et beaucoup d’économistes contemporains estiment — au contraire — que cette croissance devrait s’arrêter à la fin du xxe s., du fait, notamment, de l’épuisement des sources de matières premières et de l’obligatoire défense du milieu naturel).


Vers une réforme de l’assurance maladie ?

Sur un autre plan, il n’est pas possible d’ignorer les inquiétudes d’un certain nombre d’économistes et de sociologues en face de l’accroissement démesuré des dépenses de l’assurance maladie : cette dernière apparaît à certains comme une source de gaspillages essentiellement profitables à l’industrie et au commerce pharmaceutiques ainsi qu’aux professions médicales et paramédicales, alors que la prévention et l’hygiène sont trop souvent oubliées. Il est possible de se demander si les sommes considérables affectées à l’assurance maladie n’auraient pas été dépensées plus utilement pour la population si elles avaient été consacrées à la création de centres hospitaliers modernes disposant d’équipes qualifiées suffisamment nombreuses pour associer à la médecine hospitalière classique une médecine hospitalière nouvelle ; celle-ci postulerait : la multiplication des « hôpitaux de jour », du type créé par le professeur Jean Bernard à l’hôpital Saint-Louis à Paris (les examens sont pratiqués et les soins dispensés à l’hôpital alors que le malade continue à vivre dans son milieu familial), et la pratique régulière du « homecare » (soins à domicile) ; la multiplication, de centres de soins, de diagnostic et de médecine préventive, auxquels seraient effectivement associés les omnipraticiens ; la construction de centres de convalescence et de repos, où pourraient se consolider à moindre prix les résultats obtenus dans les centres hospitaliers ou de soins ; la subvention directe de la recherche biologique, médicale et pharmaceutique ; l’éducation du public, enfin.

Si la gratuité des divers soins hospitaliers était effective (à l’exception des exigences particulières des malades des classes aisées), si l’adhésion à une mutuelle était rendue obligatoire (la cotisation des plus défavorisés étant en tout ou partie prise en charge par les pouvoirs publics) et si des caisses, gérées paritairement par les organisations patronales et ouvrières et financées par les entreprises, assuraient le versement des indemnités journalières, l’état sanitaire des populations serait probablement bien meilleur ; il n’en coûterait, en définitive, pas beaucoup plus aux familles, l’élévation du niveau de vie pouvant aisément permettre de faire face à des frais médicaux d’autant plus réduits du fait des équipements réalisés.

En ce qui concerne la France, cette « politique de la santé », qui aurait pu être progressivement substituée à la coûteuse politique de « sécurité sociale », aurait, enfin, mis un terme à une redistribution à rebours des pouvoirs d’achat, qui tend actuellement à s’accentuer : non seulement les cotisations de sécurité sociale restent plafonnées pour leur très grande part, mais encore les « faux salariés » (présidents directeurs généraux ou directeurs des sociétés anonymes, gérants minoritaires des sociétés à responsabilité limitée [dont une fraction des dépenses personnelles est souvent directement ou indirectement prise en charge par l’entreprise]) bénéficient des cotisations des vrais salariés, et enfin le législateur met systématiquement à la charge du régime général des salariés le déficit du régime agricole, des régimes spéciaux (l’iniquité du procédé est encore plus forte en matière d’assurances vieillesse, du fait que les retraites des régimes spéciaux sont toujours beaucoup plus élevées que celles du régime général), des régimes des non-salariés ainsi que le coût des prestations maladie versées à partir de 1975 aux catégories précédemment exclues de l’assurance obligatoire. Il est vrai que l’État rembourse une partie de ces charges au régime général en lui affectant le rapport d’un impôt supplémentaire sur les alcools ; mais il semblerait plus normal que le produit de cet impôt bénéficie à l’ensemble de la population et pas seulement à certaines catégories socioprofessionnelles, parmi lesquelles nombreux sont encore ceux qui échappent en tout ou partie à l’impôt sur le revenu.

R. M.