Toukhatchevski (Mikhaïl Nikolaïevitch) (suite)
La paix revenue, il fait naturellement partie de l’équipe chargée par Lénine de reconstruire l’« armée régulière et fortement disciplinée » que le maître de la Russie entend donner à la patrie du socialisme. Premier commandant de la nouvelle académie militaire (1921), où il professe la stratégie, Toukhatchevski est ensuite adjoint à M. V. Frounze (1885-1925), commissaire aux Affaires militaires, avant de devenir de 1924 à 1928 chef d’état-major général. Après les années de guerre, cette période marque le début de la construction de l’appareil militaire soviétique, que Toukhatchevski conduit avec passion : « Il avait, écrit Joukov*, beaucoup d’idées perspicaces sur la guerre future. » Mais cette époque est aussi celle du traité de Rapallo, suivi d’une secrète et très efficace collaboration militaire germano-soviétique. Toukhatchevski effectuera dans ce cadre plusieurs voyages en Allemagne, où il est bien connu de l’état-major de la Reichswehr et de son chef, le général von Seeckt (1866-1936). Il est nommé commandant de la région militaire de Leningrad en 1928, puis adjoint au commissaire du peuple à la Défense et chef des armements de l’armée rouge en 1931. C’est à ce titre qu’en septembre 1932, invité du général von Schleicher (1882-1934) aux manœuvres allemandes, il passe encore quinze jours en Allemagne et négocie la fabrication de matériels allemands d’aviation pour l’aviation soviétique. Quelques mois plus tard, Hitler prend le pouvoir, et il semble que, dès l’été de 1933, Toukhatchevski, inquiet de la résurrection de la puissance allemande, se soit tourné vers la France pour lui demander le concours de son industrie au bénéfice de l’armée rouge. Promu en 1935 maréchal de l’Union soviétique, il représente son pays avec M. M. Litvinov (1876-1951) aux obsèques du roi George V d’Angleterre en février 1936. À son retour, il rencontre longuement à Paris le général Gamelin*, puis ses anciens camarades d’Ingolstadt. Au cours de l’été, une mission soviétique visite la ligne Maginot, tandis qu’un général français invité aux grandes manœuvres de l’armée rouge à Kiev est surpris des progrès accomplis par les forces soviétiques... Il semble pourtant qu’à cette date le sort du jeune maréchal « rouge » soit déjà réglé. Conscient de sa valeur, Hitler a fait fabriquer de toute pièce par ses services spéciaux (Himmler ou Heydrich) un dossier de faux documents sur les prétendus rapports de Toukhatchevski avec l’état-major allemand dans le dessein de renverser Staline et d’établir un régime communiste national. Le dossier, parvenu « par hasard » à Prague, est transmis à Staline par le président Benes, qui en ignore l’origine. En mai 1937, Staline « libère » Toukhatchevski de ses fonctions ministérielles. Arrêté le 26 mai, jugé à huis clos le 11 juin avec les généraux I. E. Iakir (1896-1937), I. P. Ouborevitch (1896-1937), V. M. Primakov (1897-1937) et V. K. Poutna (1893-1937), il est condamné à mort avec ses camarades, et tous sont fusillés. Cette liquidation sera le signal d’une purge dramatique opérée par Staline dans l’armée et touchera en 1937-38 deux autres maréchaux (Iegorov et Blücher), environ 400 généraux et 30 000 officiers. « Nous avons neutralisé la Russie pour dix ans », dira Hitler en apprenant l’exécution de Toukhatchevski. Il est certain que, lors de l’attaque de l’U. R. S. S. par l’Allemagne en 1941, les conséquences de cette épuration pèseront lourd sur le destin des forces soviétiques. Il faudra attendre 1961 pour que Toukliatchevski soit réhabilité par Khrouchtchev. En 1962 a commencé à Moscou la réédition des œuvres du maréchal, dont des extraits ont été traduits en France par le général André Nolde (Écrits sur la guerre, 1967).
P. D.
➙ Polono-soviétique (guerre).
G. Castellan, le Réarmement clandestin du Reich, 1930-1935 (Plon, 1954). / J.-B. Duroselle, les Relations germano-soviétiques de 1933 à 1939 (A. Colin 1954). / M. Garder, Histoire de l’armée soviétique (Plon, 1959). / V. Alexandrov, l’Affaire Toukhatchevsky (Laffont, 1962).