Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
T

Toukhatchevski (Mikhaïl Nikolaïevitch) (suite)

La paix revenue, il fait naturellement partie de l’équipe chargée par Lénine de reconstruire l’« armée régulière et fortement disciplinée » que le maître de la Russie entend donner à la patrie du socialisme. Premier commandant de la nouvelle académie militaire (1921), où il professe la stratégie, Toukhatchevski est ensuite adjoint à M. V. Frounze (1885-1925), commissaire aux Affaires militaires, avant de devenir de 1924 à 1928 chef d’état-major général. Après les années de guerre, cette période marque le début de la construction de l’appareil militaire soviétique, que Toukhatchevski conduit avec passion : « Il avait, écrit Joukov*, beaucoup d’idées perspicaces sur la guerre future. » Mais cette époque est aussi celle du traité de Rapallo, suivi d’une secrète et très efficace collaboration militaire germano-soviétique. Toukhatchevski effectuera dans ce cadre plusieurs voyages en Allemagne, où il est bien connu de l’état-major de la Reichswehr et de son chef, le général von Seeckt (1866-1936). Il est nommé commandant de la région militaire de Leningrad en 1928, puis adjoint au commissaire du peuple à la Défense et chef des armements de l’armée rouge en 1931. C’est à ce titre qu’en septembre 1932, invité du général von Schleicher (1882-1934) aux manœuvres allemandes, il passe encore quinze jours en Allemagne et négocie la fabrication de matériels allemands d’aviation pour l’aviation soviétique. Quelques mois plus tard, Hitler prend le pouvoir, et il semble que, dès l’été de 1933, Toukhatchevski, inquiet de la résurrection de la puissance allemande, se soit tourné vers la France pour lui demander le concours de son industrie au bénéfice de l’armée rouge. Promu en 1935 maréchal de l’Union soviétique, il représente son pays avec M. M. Litvinov (1876-1951) aux obsèques du roi George V d’Angleterre en février 1936. À son retour, il rencontre longuement à Paris le général Gamelin*, puis ses anciens camarades d’Ingolstadt. Au cours de l’été, une mission soviétique visite la ligne Maginot, tandis qu’un général français invité aux grandes manœuvres de l’armée rouge à Kiev est surpris des progrès accomplis par les forces soviétiques... Il semble pourtant qu’à cette date le sort du jeune maréchal « rouge » soit déjà réglé. Conscient de sa valeur, Hitler a fait fabriquer de toute pièce par ses services spéciaux (Himmler ou Heydrich) un dossier de faux documents sur les prétendus rapports de Toukhatchevski avec l’état-major allemand dans le dessein de renverser Staline et d’établir un régime communiste national. Le dossier, parvenu « par hasard » à Prague, est transmis à Staline par le président Benes, qui en ignore l’origine. En mai 1937, Staline « libère » Toukhatchevski de ses fonctions ministérielles. Arrêté le 26 mai, jugé à huis clos le 11 juin avec les généraux I. E. Iakir (1896-1937), I. P. Ouborevitch (1896-1937), V. M. Primakov (1897-1937) et V. K. Poutna (1893-1937), il est condamné à mort avec ses camarades, et tous sont fusillés. Cette liquidation sera le signal d’une purge dramatique opérée par Staline dans l’armée et touchera en 1937-38 deux autres maréchaux (Iegorov et Blücher), environ 400 généraux et 30 000 officiers. « Nous avons neutralisé la Russie pour dix ans », dira Hitler en apprenant l’exécution de Toukhatchevski. Il est certain que, lors de l’attaque de l’U. R. S. S. par l’Allemagne en 1941, les conséquences de cette épuration pèseront lourd sur le destin des forces soviétiques. Il faudra attendre 1961 pour que Toukliatchevski soit réhabilité par Khrouchtchev. En 1962 a commencé à Moscou la réédition des œuvres du maréchal, dont des extraits ont été traduits en France par le général André Nolde (Écrits sur la guerre, 1967).

P. D.

➙ Polono-soviétique (guerre).

 G. Castellan, le Réarmement clandestin du Reich, 1930-1935 (Plon, 1954). / J.-B. Duroselle, les Relations germano-soviétiques de 1933 à 1939 (A. Colin 1954). / M. Garder, Histoire de l’armée soviétique (Plon, 1959). / V. Alexandrov, l’Affaire Toukhatchevsky (Laffont, 1962).

Toulon

Ch.-l. du départ. du Var et port militaire sur la Méditerranée ; 185 050 hab. (Toulonnais) [390 000 dans l’agglomération].


Le nom de la ville reste associé à celui de sa rade : à l’ouest, la petite rade, fermée par la presqu’île de Saint-Mandrier ; à l’est, la grande rade, moins bien abritée du large par le cap Brun et la pointe de Carqueiranne, au fond de la baie qui s’ouvre entre la presqu’île de Six-Fours et celle de Giens. Les buttes calcaires et, à l’arrière-plan, la crête du mont Faron ont guidé l’extension de la ville selon un axe ouest-est, entre la montagne et la mer. Elle se prolonge par une série de satellites et de communes-dortoirs, parmi lesquelles La Seyne-sur-Mer (51 669 hab.), Six-Fours-la-Plage, La Valette-du-Var et La Garde (qui comptent entre 14 000 et 21 000 hab.), Ollioules, Le Pradet et Saint-Mandrier-sur-Mer.

R. D. et R. F.


L’histoire

Toulon s’est développé au début de notre ère autour d’une manufacture impériale de pourpre. Évêché au ve s., ce n’était encore au xive s. qu’une bourgade de 3 000 habitants enfermée dans ses remparts romains. Successivement placé sous l’autorité des vicomtes de Marseille, puis des comtes de Provence, souvent dévasté par des raids sarrasins, Toulon entra dans le royaume de France en 1481 lors du rattachement de la Provence* à la Couronne.

Toulon est alors un très modeste port situé sur une rade magnifique, relativement à l’abri du mistral, mais dépourvu de tout moyen de support des flottes de galères de l’époque, grosses mangeuses de vivres et assoiffées d’eau potable. Chaque fois que les Impériaux veulent bloquer Marseille ou s’en emparer, ils cherchent, notamment en 1524 et 1536, à prendre Toulon comme base d’opérations. Inversement, pour protéger Marseille, la flotte de Barberousse, allié de la France, passe six mois à Toulon en 1543-44. Cette situation explique la lente création aux xvie et xviie s. de la base navale de Toulon. En 1514, Louis XII fait construire la Grosse Tour sur la pointe de la Mitre, dont les canons sont censés interdire tout passage entre le banc de l’Âne au nord et la presqu’île de Saint-Mandrier au sud ; en 1555, Henri II établit à Toulon l’amirauté de Provence, et, en 1595, Henri IV y fait édifier un arsenal (l’actuelle Darse vieille) et y nomme un gouverneur. En 1639, à la suite du rapport d’Infreville, Richelieu confirme Toulon, dont la population atteint environ 18 000 habitants, dans son rôle de base méditerranéenne de la France destinée à la construction de vaisseaux et chargée des radoubs, du ravitaillement et de la mise en œuvre des escadres. Dès 1661 apparaît la nécessité de développer le mouillage de Toulon, et Colbert se fait le promoteur du « grand établissement de la marine au Levant ». Vauban* en sera de 1680 à 1701 le réalisateur avec la construction des cales de radoub, le doublement du plan d’eau de l’arsenal (Darse neuve) et la construction d’une enceinte fortifiée englobant la ville et le port. À la fin du xviie s., Toulon est devenu un grand port de guerre : en 1693, une flotte de 87 vaisseaux et de 50 bâtiments légers peut s’y abriter et s’y ravitailler. En 1707, Toulon repousse une attaque des Impériaux, et les vaisseaux sont mis à l’abri des bombes par immersion. En 1720-21, la ville, ravagée par la peste, qui fait plus de 15 000 morts, voit sa population tomber de 28 000 à 13 000 âmes. En 1749, les galères de Marseille sont supprimées et leur chiourme répartie entre Brest, Rochefort et Toulon, qui reçoit 2 000 forçats affectés aux travaux de la base, où les bassins de radoub de la Darse neuve sont édifiés à partir de 1773 par l’ingénieur Antoine Groignard (1727-1799).