Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Tou Fou

En pinyin Du Fu, poète chinois (au Henan [Ho-nan] 712 - sur le Xiangjiang [Siang-kiang], au Hunan [Hounan], 770).


Né dans une famille de petits fonctionnaires, Du Fu voyage pendant dix années de sa jeunesse. En 744, il rencontre par hasard Li Bo (Li* Po), à qui il vouera une admiration passionnée. En 746, refusé aux examens impériaux, il mène à Chang’an (Tch’ang-ngan) une vie difficile de solliciteur toujours évincé avant d’obtenir un poste insignifiant. Il part alors chercher sa famille dans le Shănxi (Chen-si), où il trouve un de ses fils mort de faim. Cependant, en 755-56, l’Empire est brutalement secoué de son rêve doré par la dramatique rébellion d’An Lushan (Ngan Lou-chan). Traînant avec soi sa nombreuse famille, Du Fu prend la fuite. Puis, alors qu’il essaye de rejoindre le nouvel empereur, il est pris par les rebelles et emmené à Chang’an, qu’il trouve en ruine (poèmes Vision de printemps, la Rivière sinueuse). Il arrive enfin à retrouver l’empereur, qui lui donne un poste à la capitale. Ces deux années de troubles et de difficultés multiples ont mûri le poète, dont l’inspiration réaliste et humanitaire s’affirme avec puissance. En 759, au cours d’une famine, Du Fu reprend la route. Malgré mille obstacles, il arrive à Chengdu (Tch’eng-tou), au Sichuan (Sseu-tch’ouan), où il passe quelques années tranquilles et fécondes. Sa vie matérielle étant plus aisée, il se laisse charmer par la beauté des sites qui l’entourent et chante les fleuves et les montagnes. Tout à la fin de sa vie, il doit repartir de nouveau, et c’est en bateau sur le Xiangjiang (Siang-kiang) que le poète âgé finit ses jours.

Son œuvre, qui comporte quelque mille quatre cents poèmes, est essentiellement autobiographique. Du Fu ne parle que de ce qu’il voit, de ce qu’il vit. Toute son existence, les paysages qu’il a parcourus, les gens qu’il a rencontrés et surtout son âme avec ses espoirs et ses craintes, ses élans et ses déceptions, ses joies et ses tristesses se retrouvent dans ses vers. Jusqu’en 760, Du Fu, en confucianiste et patriote convaincu, participe avec passion aux événements politiques. Il s’insurge contre les abus de la Cour, des riches et des militaires, s’indigne de la misère du peuple, décrit les horreurs de la guerre. Il faut dire que, démuni de tout, il est directement plongé dans les difficultés matérielles et souffre personnellement des conséquences de la guerre civile. Les poèmes les plus célèbres de cette veine sont Chanson des chars de guerre, la Campagne du Nord, En allant de la capitale à Fengxian, En apprenant que l’armée impériale a repris le Henan et le Hebei, Chanson des belles dames, Lamentation sur la bataille de Chentao, Lamentation sur le fleuve, les Trois Conscripteurs, les Trois Adieux. Les Sept Poèmes écrits à Tonggu résument les sept grands maux de l’existence du poète et, à travers elle, celle de beaucoup de ses contemporains : misère, exil, séparation d’avec ses frères, éloignement de sa sœur, inutilité de sa vie, incapacité d’aider son pays et vieillesse qui arrive. Au Sichuan, ce sont surtout ces derniers thèmes et la nature qui prennent le pas. Toute la grandeur de l’art de Du Fu est de transcender son expérience personnelle et limitée, pour atteindre à une généralité universelle et profondément humaine. Ce sont les poèmes Rêvant à Li Bo, Chanson du toit de chaume abîmé par le vent d’automne, le Pavillon Yueyang, En montant à un pavillon, Chanson du vieux cèdre et cette Confession d’un voyage nocturne :
Herbe légère et douce brise, au bord de l’eau
Seul dans la nuit, le mât dressé d’une chaloupe.
La plaine se déploie, escortée des étoiles,
Le grand fleuve s’écoule, aux remous de la lune.
Comment par mes écrits rendre illustre mon nom ?
Malade et vieux, le mandarin doit s’effacer.
Tournoyant tourbillon, à qui donc ressemblé-je ?
Pris en ciel et terre, à la mouette des sables.

Le style très personnel de Du Fu est un chef-d’œuvre ciselé avec patience et amour, bien éloigné des improvisations de Li Bo. Le poète dédaigne les procédés tels que le parallélisme des vers, les allusions littéraires ou les termes rares. La densité et la profondeur naissent de la sobriété des moyens, du choix rigoureux, des mots employés au plus fort de leur valeur. Mais l’audace verbale reste toujours dans les limites d’un équilibre savamment composé.

D. B.-W.

Toukhatchevski (Mikhaïl Nikolaïevitch)

Maréchal soviétique (Aleksandrovskoïe, gouvern. de Smolensk, 1893 - Moscou 1937).


Issu d’une famille d’ancienne noblesse, il est élevé avec ses huit frères et sœurs jusqu’à l’âge de seize ans dans un domaine du gouvernement de Penza, où il fait ses premières études ; une gouvernante française lui apprendra sa langue, qu’il parlera désormais couramment. En 1909, la famille de Toukhatchevski s’installe à Moscou, où, attiré par la vocation militaire, celui-ci entre à l’école des cadets, puis à l’école militaire Alexandre, d’où il sort sous-lieutenant en 1914. Affecté au célèbre régiment d’infanterie de la garde Semionovski, Toukhatchevski se bat sur le front de Galicie, où il reçoit la croix de Saint-Vladimir. Fait prisonnier en février 1915, il est transféré en novembre 1916, après trois tentatives d’évasion, au fort IX d’Ingolstadt (Bavière). Visage très pâle, teint mat, cheveux noirs, tel apparaît ce jeune officier de vingt-trois ans à ses camarades russes, anglais et français (parmi lesquels se trouvent le général aviateur de Goys, le capitaine de Gaulle et Remy Roure). À tous, il donne l’impression d’un homme d’une grande ambition, dictée par un amour passionné de son pays et une inébranlable confiance en lui. À l’automne de 1917, il s’évade, gagne la Suisse et rejoint Petrograd, bouleversée par une révolution à laquelle il adhère aussitôt. Entré à la section militaire du Comité exécutif panrusse des soviets, il rencontre Lénine et s’inscrit au parti communiste dès avril 1918, Deux mois plus tard, à vingt-cinq ans, il est mis à la tête de la Ire armée rouge, engagée contre les « blancs » sur le front de la Volga. En 1919, il commande la Ve armée, qui poursuit durant 1 000 km les forces de l’amiral Koltchak, dont il occupe la capitale Omsk. Après avoir continué la lutte dans le Caucase contre Denikine, il se voit confier en avril 1920 le commandement en chef du front occidental pendant la guerre polono-soviétique. Entré à Minsk le 11 juillet, il atteint la Vistule au début d’août et menace Varsovie..., mais il est repoussé le 16 par la violente contre-offensive des Polonais sans que viennent à son aide les forces rouges (notamment les cavaliers de Boudennyï) du front du Sud-Ouest, commandé par A. I. Iegorov (1883-1941) et dont Staline est le commissaire politique... Au printemps de 1921, adjoint à Trotski, il dirige l’écrasement de la rébellion des marins de Kronchtadt.