Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
T

Tobey (Mark) (suite)

Installé à Seattle en 1939, il expose régulièrement, à partir de 1944, à New York, où une rétrospective lui est consacrée en 1951. Il séjourne en 1954-55 en Europe, où sa première exposition se tient à Paris, à la galerie Jeanne Bucher. En 1960, il s’installe à Bâle. C’est dans les années 50 qu’il en vient à une complète non-figuration : ainsi dans Edge of August (1953, Museum of Modern Art, New York) ou dans la « Série méditative » de 1954.

Qu’elle s’appuie ou non sur des formes directement reconnaissables, l’œuvre reste toujours une émanation du monde extérieur, ressenti à travers les disciplines orientales de concentration. Tobey maintient l’exercice du dessin d’après nature, et le « pur » graphisme de ses peintures se réfère, parfois explicitement (forme des signes, tonalité), à l’univers naturel, que ce soit celui de l’infiniment petit ou celui de l’infiniment grand, de l’un ou du multiple, de la limite ou de l’illimité. Il varie les procédés : lavis proprement orientaux, nerveuses calligraphies blanches ou noires (sur fond rougeâtre : Sagittarious Red, grande huile du musée de Bâle, 1963), réseaux mêlés, couleurs ouatées de touches blanches... Idée et réalisation sont simultanées, selon la tradition zen. Tobey exprime ce faisant, comme l’écrit Dora Vallier (l’Art abstrait, 1967), « ce qui est pour lui le contenu de la réalité : un mouvement tissé au plus profond du temps ».

G. G.

 C. Roberts, Tobey (G. Fall, 1960). / F. Choay, Tobey (Hazan, 1961). / W. Schmied, Tobey (New York, 1966). / J. Russel et coll., Exhibition Mark Tobey (Bâle, 1970). / C. Olivier et M. Stoecklin, Mark Tobey (Fac. des lettres, Nanterre, 1972).

toccata

Forme musicale destinée aux instruments (orgue, clavecin, piano) dont on « touche » le clavier, selon l’expression consacrée.


La toccata (de l’italien toccare) se distingue ainsi des autres formes instrumentales (par exemple de la sonate [du latin sonare]). Cependant, en 1607, dans l’imprécision de la terminologie musicale de l’époque, Claudio Monteverdi* ouvre L’Orfeo par une toccata confiée aux cuivres.

Avec les toccatas des Vénitiens Claudio Merulo, Andrea et Giovanni Gabrieli*, la caractéristique de cette forme se dessine en Italie au seuil du xvie s. Elle ira en s’accusant à l’aube du xviie s. avec les toccatas de Luzzasco Luzzaschi et surtout celles de son élève, le grand organiste de Saint-Pierre de Rome, Girolamo Frescobaldi*. Tantôt libre et improvisée, tantôt recueillie et expressive ou encore témoignant de la virtuosité de son auteur, la toccata, forme évoluée de l’intonazione italienne et du prélude, s’apparente aussi à la fantaisie pour clavier. Elle s’en différencie cependant fondamentalement par l’alternance d’épisodes lents et d’épisodes vifs. Les premiers sont souvent harmoniques, quelquefois canoniques ; les seconds sont tout en gammes, en arpèges et en traits parcourant la totalité du clavier. D’abord floue (clavecin ou orgue), la spécificité instrumentale se précise dès les premières années du xviie s. C’est ainsi que certaines toccatas s’accordent mieux à l’instrument du culte qu’au clavecin : d’abord par le statisme de l’écriture, qui nécessite fréquemment une partie de pédalier ; ensuite par leur référence aux modes ecclésiastiques, lesquels témoignent d’une destination liturgique, qui se confirme dans le rôle de la toccata, d’introduire le service divin. Il n’est, dès lors, pas rare de voir celle-ci précéder un ricercare, ébauche du futur diptyque « toccata et fugue ».

Apparue et fleurie de l’autre côté des Alpes, la toccata, par le biais de l’influence italienne, alors prépondérante en Europe, s’épanouit en Flandre (J. P. Sweelinck*), en Angleterre (H. Purcell*), en Allemagne du Sud (J. J. Froberger*, G. Muffat, J. K. von Kerll) et en Allemagne du Nord (Samuel Scheidt, Philipp Scheidemann), sans toutefois, et curieusement, laisser de trace en France, où les organistes-clavecinistes lui préfèrent d’autres formes d’expression (prélude non mesuré, danses, « portraits »).

À la fin du xviie s., sous l’impulsion de Luigi Rossi, de Bernardo Pasquini et de A. Scarlatti*, la toccata, par sa construction en un mouvement à épisodes, tend à s’identifier à la sonate libre, qui apparaît. Puis, délaissée en Italie au profit de cette nouvelle forme promise au plus bel avenir, elle est alors largement exploitée par Nikolaus Bruhns, D. Buxtehude*, J. Pachelbel* et Johann Gottfried Walther, précurseurs immédiats de Bach. Il appartiendra au cantor de Leipzig d’en synthétiser les tendances diverses et de lui donner une orientation définitive.

Si, par leur division épisodique, les sept toccatas pour clavecin écrites par J.-S. Bach* vraisemblablement à Weimar (1710-1720) sont redevables à celles du siècle passé, le génie de leur auteur s’y manifeste pourtant dans la référence quasi permanente à l’écriture contrapuntique et dans l’énoncé, à l’intérieur de l’un des épisodes de la toccata, du thème de la fugue qui suivra (BWV 910 et 914). Bien que contemporaines (1707-1716), les cinq toccatas pour orgue apparaissent nettement plus différenciées ; la toccata en mineur, la plus connue (BWV 565), reste fidèle au principe de liberté et d’improvisation. Mais, dans les toccatas en ut (BWV 564), en « dorienne » (BWV 538), en mi (BWV 566) et en fa (BWV 540), ce caractère a pratiquement disparu pour laisser place à deux aspects fondamentaux chez Bach : l’un structurel et l’autre rythmique. L’ébauche même d’un second thème fait de ces pages un jalon important dans l’histoire de la forme sonate.

Cependant, c’est dans un cadre moins rigoureux que s’inscriront les futures compositions de ce type. Page de virtuosité d’une immuable pulsation dynamique, la toccata est désormais un « mouvement perpétuel » dont tout caractère expressif est souvent absent.