Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Titien (suite)

Dans la même période, celle de l’exaltation de la forme par la couleur, Titien commençait sa carrière de cour en peignant pour le cabinet d’Alfonso Ier d’Este à Ferrare (1518 à 1523) des compositions mythologiques où l’humanisme est vivifié par une sève vigoureuse : l’Offrande à Vénus et la Bacchanale (Prado), Bacchus et Ariane (National Gallery, Londres).


La consécration internationale

À partir de 1530 environ, la renommée italienne et européenne de Titien élargit le champ de son activité. La libération de la touche, l’atténuation des contours, la recherche d’accords plus subtils et l’étude des reflets marquent alors l’évolution de sa manière. De brillants portraits accompagnent des tableaux de format modeste comme la Vierge au lapin (Louvre). La cour ducale d’Urbino commanda la Vénus d’Urbino (1538, Offices), dont la composition raffinée enveloppe un nu au modelé magnifique. Dans Alfonso de Ávalos haranguant ses troupes (Prado), une noblesse de bas-relief antique s’allie à la force du coloris. Les grandes commandes vénitiennes ne cessaient pas pour autant. Si l’on ne connaît que par la gravure et des copies la vive animation de la Bataille de Cadore du palais ducal, brûlée en 1577, on voit encore à son emplacement d’origine — la scuola della Carità, devenue l’Accademia — la Présentation de la Vierge peinte entre 1534 et 1538, vaste composition en frise, de caractère plus narratif et plus analytique, où apparaissent des accents de réalisme familier.


L’intermède maniériste

Ouvert à toute expérience, Titien ne pouvait totalement ignorer ce mouvement du maniérisme* qui triomphait en Italie et dans une partie de l’Europe, mais auquel Venise opposait une ferme résistance. Un court épisode de sa carrière, entre 1541 et 1545 environ, le montre tenté par une version mâle du maniérisme, dérivée de Michel-Ange* et importée en Vénétie par le Pordenone (v. 1484-1539). La Vision de saint Jean l’Évangéliste, morceau central du plafond de la scuola di San Giovanni (National Gallery de Washington), et les trois scènes bibliques provenant du plafond de Santo Spirito a Isola (sacristie Santa Maria della Salute) témoignent de l’orientation nouvelle avec leur perspective oblique, leurs raccourcis, le jeu tendu des musculatures et la subordination de la couleur au dessin, évidente aussi dans des compositions non plafonnantes comme le Couronnement d’épines provenant de Santa Maria delle Grazie de Milan (Louvre).


Le retour à la couleur

Le tempérament vénitien eut cependant vite fait de reprendre l’avantage, si bien que la période allant de 1545 à 1560 environ semble continuer celle d’avant la « crise » maniériste. On y compte peu de grandes commandes religieuses (le Martyre de saint Laurent de l’église des Jésuites de Venise, 1559, nouveau par ses effets de clair-obscur). Titien fut alors surtout le peintre des cours italiennes et européennes, confirmant sa maîtrise dans le portrait, le petit tableau religieux, le sujet mythologique où l’interprétation humaniste de la culture païenne se pare d’un coloris raffiné. Pour les Farnèse fut peinte en 1545 la Danaé (galerie nationale de Capodimonte, Naples), où la gamme, plus sourde, gagne en délicatesse ce qu’elle perd en éclat. Charles Quint et Philippe II multiplièrent les commandes : Vénus et l’Amour avec un joueur d’orgue (Prado), thème repris deux fois avec des variantes (Prado et musée de Berlin) ; la Vierge de douleur (Prado) ; en 1553, Vénus et Adonis (Prado) ; en 1556-1559, Diane et Actéon, Diane et Callisto (National Gallery d’Édimbourg).


La période finale

En 1560, Titien avait encore seize ans à vivre ; cela lui permit de confirmer sa faculté de renouvellement. La manière de sa vieillesse tend à l’effacement des contours. La forme se dilue dans une pâte lentement travaillée, et surtout avec les doigts ; les tons rompus et changeants, plus sombres mais traversés d’éclairs, sont d’une gamme à dominante chaude. C’est ce que fait apparaître vers 1560 une Diane et Actéon (National Gallery, Londres), scène au climat mystérieux et romanesque, peinte pour Philippe II comme l’Enlèvement d’Europe (1562, Gardner Museum, Boston). Vers 1565, cette orientation se confirme avec un grand ouvrage vénitien, l’Annonciation de San Salvatore. À partir de 1570, l’éparpillement de la touche et l’ambiance crépusculaire achèveront de dissoudre la forme ; ce que montrent la Nymphe avec un berger (Kunsthistorisches Museum, Vienne), Tarquin et Lucrèce (Fitzwilliam Museum, Cambridge), enfin la tragique Pietà de l’Accademia de Venise, que Titien destinait à sa sépulture.


Titien portraitiste

D’un bout à l’autre de sa carrière, Titien a peint d’admirables portraits*. Déjà, vers 1510, ceux d’un homme au pourpoint bleu sur fond bleu et d’une femme derrière un bas-relief (National Gallery, Londres) frappent autant par l’efficacité de la mise en page que par la maîtrise des accords de tons ; et dans le Concert du palais Pitti à Florence, attribué à Titien avec vraisemblance, la tête du musicien est d’une expressivité saisissante. De plus en plus, Titien s’attachera à donner le sentiment de la vie par le choix de l’attitude, l’intensité du regard, la palpitation des chairs, et aussi par le soin apporté à l’étude des mains. Il est certes des portraits où l’économie des moyens renforce l’impression de présence du modèle : Vincenzo Mosti (palais Pitti, Florence) et l’Homme au gant (Louvre), de 1525 environ, avec leurs belles modulations de gris pour le premier, de noirs pour le second ; le Jeune Anglais (palais Pitti), de 1535 environ ; les autoportraits de la dernière période (Prado et Stiftung Staatlicher Museen, Berlin). Cependant, Titien, plus souvent, a voulu dépasser les limites du genre, faire du portrait un tableau.

En coloriste vénitien, il a tiré parti des somptueux costumes du temps : costumes des patriciens et des dignitaires de la République, comme en témoigne le doge Andrea Gritti (National Gallery de Washington) ; costumes de cour, surtout, car Titien fut le plus grand portraitiste de cour de son siècle, habile à faire concourir la mise en scène et les accessoires à la définition du modèle — comme le montre aussi la statuette tenue par l’antiquaire Jacopo Strada (Kunsthistorisches Museum, Vienne). Frédéric II de Gonzague avec son chien (Prado), le cardinal Ippolito de Medici en habit hongrois (palais Pitti) précèdent les portraits peints entre 1536 et 1538 pour la cour d’Urbino : la Bella (palais Pitti) au corsage bleu, proche de la Jeune Femme à la fourrure (Vienne) ; Francesco Maria Della Rovere, à l’armure riche en reflets, et son épouse Eleonora Gonzaga (Offices). Rassemblés dans la Galerie nationale de Capodimonte, les portraits des Farnèse comprennent notamment celui de Paul III avec Alessandro et Ottavio Farnèse (1545). Peint en 1538 d’après une médaille de Cellini*, le portrait de François Ier (Louvre) ne fait pas oublier que Titien s’est surpassé dans ceux des Habsbourg conservés au Prado : Charles Quint debout avec un chien (1532), à cheval à la bataille de Mühlberg (1548), assis et méditatif ; Philippe II en pied, peint en 1551 à Augsbourg.