Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
T

Titelouze (Jehan) (suite)

Toutefois, Titelouze est avant tout connu comme compositeur pour orgue. D’une certaine manière, on peut le considérer comme le fondateur de l’école d’orgue française. Certes, avant lui on avait écrit en France pour l’orgue, mais ces compositions, au demeurant assez peu nombreuses et le plus souvent anonymes, étaient inconnues du public comme de Titelouze lui-même, qui déclare qu’« il est hors de la souvenance des hommes qu’on en ait imprimé pour l’orgue ». Il fait paraître en 1623 les Hymnes de l’Église et, en 1626, le Magnificat ou Cantique de la Vierge. Excellent contrapuntiste, il commente à sa manière les douze mélodies d’hymnes en trois ou quatre versets, ici les sept versets du Magnificat en ses huit tons ecclésiastiques, faisant entendre la mélodie soit intégralement comme un cantus firmus, soit en de courts fragments, utilisant tour à tour les contrepoints fleuri, canonique, par imitation du cantus firmus ou le contrepoint fugué. Ses fugues et ses « recherches » traduisent en de savantes combinaisons polyphoniques, le plus souvent à quatre voix, la connaissance profonde qu’il a du monde musical et des théoriciens de la Renaissance. On connaît quelques-unes de ses œuvres vocales : messes à quatre voix et à six voix. Il correspondit avec Marin Mersenne*. Devenu Français, en 1604, par naturalisation, puis, en 1610, chanoine de la cathédrale de Rouen, Titelouze fit montre de certains talents littéraires (cf. ses Avis au lecteur) qui lui valent d’abord, en 1613, puis en 1630, d’être lauréat du puy des palinods à Rouen.

M. V.

Titien

En ital. Tiziano, pour Tiziano Vecellio. Peintre italien (Pieve di Cadore v. 1490 - Venise 1576).



Introduction

Titien appartient incontestablement à l’école vénitienne, dont il a été l’un des chefs de file au xvie s. Cependant, à la différence d’un Tintoret*, voire d’un Véronèse*, son activité ne s’est pas exercée entièrement dans le cadre de Venise ou de la Vénétie, et une visite de Venise ne permet pas d’en avoir une vue d’ensemble ; elle a débordé largement ce cadre, prenant des dimensions italiennes et même européennes. La société de Venise* — gouvernement, familles patriciennes, églises, scuole — a certes sa part dans l’œuvre de Titien ; mais le renom du peintre, longtemps entretenu par la plume de l’Arétin, dont il fut l’ami, lui valut la faveur des cours : cours princières de l’Italie (Ferrare, Mantoue, Urbino) ; cours pontificale et de la famille Farnèse, à Rome et à Parme ; cour des Habsbourg surtout, à partir de 1530 environ, grâce à la protection de Charles Quint puis de Philippe II d’Espagne. Peintre de cour, et de stature internationale, Titien a fait des voyages lointains, notamment à Rome en 1545, à Augsburg en 1548 et en 1550. L’étendue de sa clientèle est pour beaucoup dans le fait que son œuvre se partage très largement entre les grands musées du monde, le Prado de Madrid et le Kunsthistorisches Museum de Vienne venant en premier lieu. Venise et les villes placées autrefois dans la sphère vénitienne ont gardé surtout les grandes peintures religieuses.

La carrière de Titien présente un autre trait dominant : sa longueur. Avec la capacité de renouvellement qui fut toujours celle du maître, on comprend que l’œuvre accuse une évolution très sensible.


Le peintre à la recherche de son style

Venu très jeune à Venise, Titien entra dans l’atelier de Giovanni Bellini* ; puis il devint le disciple de Giorgione*, avec qui il se mesurait dès 1508 dans la décoration à fresque, aujourd’hui à peu près disparue, du Fondaco dei Tedeschi. L’influence de ces deux maîtres, du second surtout, a évidemment marqué la formation de Titien. Dès le début, cependant, celui-ci prit ses distances avec le giorgionisme, grâce à un tempérament robuste et plus enclin au ton héroïque qu’au lyrisme intime. C’est ce qu’atteste son premier grand ouvrage, de 1511, les fresques de la scuola dei Santo de Padoue, qui illustrent trois miracles de saint Antoine et où les oppositions de tons accusent le relief des formes. Vers la même époque, avec le Saint Marc trônant entre quatre saints (église Santa Maria della Salute à Venise), Titien reprend avec plus d’assurance le schéma de la Pala de Castelfranco de Giorgione. D’autres compositions, comme le Concert champêtre longtemps attribué à ce maître (Louvre, Paris) ou le Noli me tangere (National Gallery, Londres), placent les figures au sein d’une nature poétique, dans l’esprit du giorgionisme, mais sans laisser une aussi grande part à l’imprécision du rêve. Des figures à mi-corps (v. 1515), Salomé (galerie Doria, Rome), Flore (Offices, Florence), chantent déjà voluptueusement la beauté féminine. Elles nous conduisent à un chef-d’œuvre, l’Amour sacré et l’Amour profane (galerie Borghèse, Rome), tableau dont le sujet reste mystérieux ; une lumière cristalline y baigne les figures, qui, appuyées à un sarcophage sculpté, se détachent harmonieusement sur le fond de paysage.


L’affirmation du génie

Commandée en 1516, inaugurée en 1518, l’Assomption du maître-autel de Santa Maria dei Frari, à Venise, est le premier grand tableau religieux de Titien, qui y trouva sa consécration officielle. Une impérieuse unité d’action, qui s’inspire peut-être de Raphaël et annonce le baroque, lie les différentes parties et marque la rupture avec les types traditionnels de composition ; la sonorité puissante du coloris exalte la vivacité de la lumière et impose au regard la densité des formes. Ce souffle unitaire anime d’autres grands tableaux d’églises : la Madone apparaissant à deux saints et à un donateur (1520, Pinacoteca civica Podesti, Ancône), l’Annonciation de la cathédrale de Trévise, avec sa perspective architecturale éloignant vers l’arrière-plan la figure de l’archange. Dans le Polyptyque Averoldi (Santi Nazzaro e Celsio, Brescia), peint à Brescia entre 1520 et 1522, la division, probablement voulue par le donateur, en cinq panneaux, dont le principal représente la Résurrection, est archaïque, mais la vivacité de la touche et des effets lumineux témoigne d’un esprit moderne. Titien revint à la fresque en 1523 avec la figure de Saint Christophe, puissante et mouvementée, qui subsiste au palais ducal de Venise. Dans la Mise au tombeau (1525, Louvre), l’agencement des masses colorées se prête à l’expression de la douleur. Commandée en 1519, inaugurée en 1526, la Madone de la famille Pesaro fait écho, dans l’église dei Frari, au coup d’éclat de l’Assomption, tout en innovant par l’incorporation habile de portraits et par un dynamisme que traduit l’architecture en perspective. Un souffle encore plus convaincant animait le Martyre de saint Pierre Dominicain, des Santi Giovanni e Paolo de Venise (1528-1530), détruit en 1867 par un incendie.