Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Tite-Live (suite)

On ne saurait juger suivant nos critères Tite-Live historien. Il est vrai que sa documentation est de seconde main et qu’il se contente sans esprit critique des dires de ses prédécesseurs. Il suit la tradition, sans recourir aux documents originaux, aux monuments figurés ; sa curiosité ethnographique est faible et il ignore la géographie et la topographie. Il n’y a pas chez lui de distinction entre le sentiment subjectif et le renseignement objectif. Toute son enquête est axée sur les causes morales : il est indifférent aux causes économiques, physiques, politiques. On ne peut néanmoins déprécier la valeur historique de l’œuvre : le mérite de Tite-Live est d’avoir fixé la tradition par une synthèse des écrits des annalistes et d’avoir mis en évidence une vérité humaine.

Il a voulu, en effet, « veiller à la mémoire du premier peuple du monde ». Il a su, en dépit d’une certaine idéalisation, peindre les vieux Romains et, par là même, exprimer l’âme d’un peuple. Et en fait, c’est essentiellement grâce à lui que nous avons, dans sa continuité mouvante, le portrait d’une nation, dont on voit siècle après siècle se dessiner le caractère. Cette œuvre d’exaltation patriotique est constamment morale : l’Histoire romaine vise à l’enseignement. (« Le fruit le plus important, le plus salutaire de la connaissance de l’histoire, c’est qu’on considère toute sorte d’exemples instructifs, mis sur un socle, en pleine lumière. On trouve là, pour soi, pour sa cité des modèles à imiter, là, aussi, des entreprises, honteuses par leur début, honteuses par leur issue, à éviter [...]. Jamais aucun État ne fut plus grand que Rome, plus scrupuleux, plus riche en bons exemples. »)


Puissance de l’évolution

Au service de cette hauteur d’inspiration, une expression qui situe Tite-Live parmi les plus grands écrivains de la langue latine. Ce qui frappe d’emblée, c’est la « présence » du récit. Tite-Live semble vivre les faits qu’il décrit, au point qu’il peut dire sa joie d’« être parvenu à la fin de la guerre punique, comme s’il avait en personne partagé ses fatigues et ses peines ». De là l’apparence d’actualité des faits qu’il expose, de là, à travers toutes les pages, une extrême intensité dramatique (par exemple le récit du combat des Horaces et des Curiaces, la prise de Rome par les Gaulois, les batailles de Trasimène, de Cannes, les sièges de Syracuse, de Capoue) qu’anime un véritable souffle épique (ainsi la mort et l’apothéose de Romulus, le passage des Alpes par Hannibal, le départ de Scipion pour l’Afrique...). Ces chefs-d’œuvre narratifs sont coupés par des portraits (Hannibal, Scipion, Fabius, Caton...) qui, malgré quelque grandeur de convention, révèlent l’acuité de l’analyse psychologique. Plus encore, Tite-Live est sensible aux mouvements de foule, aux sentiments collectifs. Rome est le centre de ses préoccupations, et l’image de l’Urbs, sans doute idéalisée, mais d’un puissant relief, ne cesse d’être sous ses yeux : ainsi impose-t-il à son lecteur une noble idée de la cité romaine et de ses vertus. Par ailleurs, on a pu parler d’une évolution dans la fermeté harmonieuse de cet ensemble (que scandent plus de quatre cents discours d’une éloquence chaleureuse) : à la vivacité des premiers livres succède la grandeur épique de la troisième décade, tandis que les derniers livres révèlent leur rigueur oratoire, mais perdent en brillant. Reste la séduction de la variété de cette œuvre qui échappe au danger de la monotonie.

Elle échappe aussi au risque d’être impersonnelle. À la sécheresse des annalistes, Tite-Live substitue une discrète émotion (il n’hésite pas à intervenir par des notations teintées d’humour, d’ironie ou de sensibilité). Comment ne pas voir, dans ces paroles qu’il prête à Camille, l’expression de ses propres sentiments : « Toutes les fois que la patrie revenait à ma pensée, tout cela aussitôt se présentait à moi, ces collines, ces plaines, ce Tibre, ce pays qui, avant, s’offrait d’ordinaire à mes yeux, et le ciel sous lequel je suis née et fus élevée » ? En fixant de l’ancienne Rome une image personnelle et exaltante, Tite-Live apparaît comme le plus parfait représentant du nationalisme historique romain.

A. M.-B.

➙ Latine (littérature).

 R. Ullmann, Étude sur le style de discours de Tite-Live (Oslo, 1929). / H. Bornecque, Tite-Live (Boivin, 1933). / P. Zancan, Tito Livio : Saggio storico (Milan, 1940). / A. Klotz, Livius und seine Vorgänger (Leipzig, 1941). / L. Catin, En lisant Tite-Live (Les Belles Lettres, 1945). / P. G. Walsh, Livy. His Historical Aims and Methods (New York, 1961). / R. Bloch, Tite-Live et les premiers siècles de Rome (Les Belles Lettres, 1965).

Titelouze (Jehan)

Compositeur français (Saint-Omer 1563 - Rouen 1633).


Saint-Omer, où il naquit, était alors dépendant des Pays-Bas espagnols. Peut-être originaires de Toulouse, mais nullement de noble sang irlandais, les Titelouze avaient été reçus bourgeois de Saint-Omer en 1497. Après de sérieuses études dans sa ville natale, d’abord à la maîtrise de la cathédrale, puis au collège Saint-Bertin tenu par les Jésuites, Titelouze fut ordonné prêtre en 1585. D’abord intérimaire au grand orgue de la cathédrale de Saint-Omer, dû à Jehan Crinon, de Mons, il est nommé, en cette même année, titulaire de l’orgue de l’église Saint-Jean à Rouen, avant d’obtenir le 13 avril 1588, à la suite d’un concours où il fit montre de ses dons d’improvisateur, la place laissée vacante par François Josseline aux claviers du grand orgue de la cathédrale de Rouen, un grand 32-pieds à trois claviers, chef-d’œuvre d’Oudin Hestre († 1493), de Cambrai. Titelouze se montre très averti de tout ce qui touche l’orgue à tuyaux. Très vite, on le mande comme expert ou l’on sollicite un devis tant à Rouen (1588, Notre-Dame-la-Ronde ; 1597, Saint-Michel ; 1603, Saint-Jean ; 1632, Saint-Godard) qu’ailleurs (1604, abbaye Saint-Denis ; 1613, cathédrale de Poitiers ; 1622, Neuville ; 1625, cathédrale d’Amiens ; 1629, Eu). De là l’influence qu’il exerce sur la facture d’orgues française, qui connaît alors de constants progrès (Crespin Carlier, les frères de Héman...). Ses préférences allaient à un orgue doté de deux claviers manuels et d’un pédalier de trente notes « à l’unisson des jeux de huict pieds... pour y toucher la basse-contre à part, sans la toucher à la main, la taille sur le second clavier, la haute-contre et le dessus sur le troisiesme ». Par le devis écrit pour l’orgue de Saint-Godard, on sait exactement ce qu’il attendait de cet instrument riche de vingt-cinq jeux, dont quinze au grand orgue, sept au positif, trois à la pédale.