Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
T

Thomas (Albert)

Homme politique français (Champigny-sur-Marne 1878 - Paris 1932).



Issu du peuple

Reçu à l’École normale supérieure (1898), Albert Thomas est premier à l’agrégation d’histoire en 1902, ce qui lui vaut une bourse de séjour en Allemagne et une bourse de voyage autour de la mer Égée, de la Crète à Constantinople. Avant même d’entrer à l’École normale supérieure, il était socialiste de cœur ; l’influence qu’exercent à l’École normale supérieure Lucien Herr et Charles Andler le confirme dans cette option.


Journaliste et publiciste socialiste

Pendant sept années, vivant surtout de leçons particulières et de préceptorats, Albert Thomas va se consacrer au journalisme. Lui, qui n’est ni germaniste ni philosophe, semble alors avoir projeté de continuer l’œuvre doctrinale de Charles Andler en donnant une structure intellectuelle à un révisionnisme qui s’appuierait sur l’action syndicale et sur l’action coopérative. C’est à ce moment qu’il donne à la Bibliothèque socialiste une brochure intitulée le Syndicalisme allemand, résumé historique — 1848-1903.

Il admire l’Allemagne pour sa vigueur scientifique, pour sa puissance d’organisation, pour sa législation sociale. Mais il lui reproche de ne pas avoir le sens de la démocratie ; en quoi il se retrouve d’accord avec Charles Andler et avec Lucien Herr. Parallèlement, il s’intéresse aux pionniers du socialisme français, à Babeuf, à Blanqui, à Benoît Malon.

Sans doute sur la suggestion d’Andler et de Lucien Herr, Jaurès* lui a confié dans l’Histoire socialiste la rédaction du tome sur le second Empire, qu’il mène à bien en deux ans et dont il reprend l’essentiel dans la Cambridge Modern History. Pour les élèves des écoles primaires, Thomas rédige semaine par semaine trente-huit récits composant une Histoire anecdotique du travail, qui paraît d’abord dans la Revue de l’enseignement primaire, puis qui est réunie en volume (1910).

En 1904, Jaurès l’a chargé de la rubrique syndicale de l’Humanité ; la même année, Thomas rédige le compte rendu du congrès d’Amsterdam ; en 1905, il assure la rubrique de politique étrangère de l’Information politique, économique et financière ; de 1905 à 1910, il est rédacteur en chef de la Revue syndicaliste (orientée dans un sens réformiste), qui, en 1909, devient la Revue syndicaliste et coopérative et bientôt fusionne avec la Revue socialiste. La même année 1909, avec Félicien Challaye, il publie l’Année, où il se réserve « l’Année sociale ». Initiative qui demeure sans lendemain.


Jeune parlementaire, puis ministre dans les cabinets de Défense nationale

Conseiller municipal de Champigny en mai 1904, Albert Thomas est élu député S. F. I. O. de la Seine en 1910. En 1911, son ami Edgard Milhaud propose au congrès socialiste de Saint-Quentin la nationalisation générale des chemins de fer. Albert Thomas le félicite d’essayer de donner une doctrine positive à un parti qui, à ses yeux, n’en possède pas. Peut-être Jaurès craint-il alors de voir Albert Thomas évoluer vers une participation ministérielle du type de celle qui est alors pratiquée par Alexandre Millerand*, et qui est rejetée par le socialisme. Il n’en sera rien. Thomas, désigné comme rapporteur du budget des chemins de fer, élabore des rapports très hostiles aux compagnies qui contrôlent alors la majeure partie du réseau français.

Mobilisé au début de la Première Guerre mondiale, il est rapidement rappelé des armées et chargé de coordonner les relations des chemins de fer et de l’état-major sous l’égide du ministre des Travaux publics, le socialiste Marcel Sembat, dont Léon Blum* est le chef de cabinet.

À ce titre, il prépare, après Charleroi, l’évacuation de Paris. En octobre 1914, son rôle s’élargit : il a pour mission d’organiser les fabrications de guerre dans une France dont l’infrastructure industrielle s’est révélée terriblement insuffisante pour la guerre moderne.

En mai 1915, à trente-sept ans, il est sous-secrétaire d’État à l’Artillerie et aux Munitions, et s’entoure d’une pléiade de collaborateurs, pour la plupart universitaires : Mario Roques, Fernand Maurette, William Oualid, François Simiand. De décembre 1916 à septembre 1917, il est ministre de l’Armement. Son activité est alors comparable à celle de Walter Rathenau en Allemagne. L’une de ses préoccupations essentielles est de prévenir les grèves par l’institution provisoire de délégués du personnel. L’ascendant qu’il exerce sur Léon Jouhaux et sur la plupart des leaders syndicalistes révolutionnaires d’avant guerre est alors considérable. Thomas est probablement l’homme qui a fait le plus pour les convertir à une « politique de la présence », dont certains redoutent qu’elle ne mène à une intégration définitive du syndicalisme dans l’État.

En septembre 1917, il est écarté du gouvernement au profit de Louis Loucheur.


En difficulté dans le parti socialiste

Au Congrès de Tours (1920), Albert Thomas, qui est toujours demeuré fidèle à la défense nationale, se prononce avec vigueur contre le bolchevisme, qui, pour lui, n’est pas un socialisme authentique. Il va jusqu’à souhaiter une intervention de la S. D. N. en Russie, au nom des quatorze points du président Wilson, pour y rétablir la démocratie.

Certain de ne pas être, en novembre 1919, représenté à la députation par la Fédération de la Seine, qui est passée à la gauche, il accepte, dans le Tarn, de prendre la tête de la liste socialiste, et il est élu au siège de Jaurès.

Peut-être, au cours de ces mois incertains, songe-t-il à créer un mouvement travailliste appuyé sur les amis de Jouhaux. Le journal l’Information sociale, qui paraît alors sous la direction de son ami Charles Dulot, répond peut-être à cette vue.


Une grande carrière de fonctionnaire international

À la fin de 1919 se tient à Washington la conférence qui doit mettre au point les grandes lignes de l’Organisation internationale du travail (O. I. T.), prévue par la partie XIII du traité de Versailles. La candidature d’Albert Thomas à la direction du Bureau international du travail (B. I. T.), principal organe permanent de l’Organisation, est proposée par Léon Jouhaux, secrétaire général de la C. G. T., et par Robert Pinot, du Comité des forges. Non sans difficulté, elle l’emporte sur celle de Harold Butler (1883-1951), candidat britannique qui deviendra directeur adjoint.