Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
T

Thomas (Albert) (suite)

En janvier 1920, Albert Thomas est officiellement nommé directeur. Il le demeurera jusqu’à sa mort. Avec la même énergie qu’il avait mise à organiser la production des armements, il se consacre à mettre sur pied la nouvelle institution. Il la veut et il la rend la plus indépendante qu’il soit possible de la Société des Nations, dont les prudences diplomatiques l’agacent. Il lui assure la compétence la plus vaste en étendant son domaine à l’agriculture ; il conçoit le B. I. T. non pas comme l’exécutif de la conférence internationale du travail, mais comme le moteur qui propulse toute l’Organisation. Il recrute des collaborateurs dans les milieux les plus divers et anime la lourde machine que devient le B. I. T. en multipliant les contacts personnels.

Après le vote de la convention internationale des huit heures, il charge son ami Edgard Milhaud de mener une monumentale Enquête sur la production, qui, en 1925, établit que la nouvelle loi a finalement accéléré le progrès technique et augmenté la productivité. Persuadé que « la présence réelle vaut dix années de correspondance » (1924), il visite un grand nombre de pays pour obtenir des gouvernements et des parlements les ratifications indispensables. Vingt semaines par an, en moyenne, il est absent de Genève, où il continue, cependant, d’assumer ses fonctions directoriales. Sa « diplomatie de la présence » ne suscite pas que des approbations : les militants socialistes et syndicalistes acceptent la collaboration de l’O. I. T. avec l’Église et avec les mouvements confessionnels, mais non avec l’Italie fasciste.

Venue la crise de 1929, A. Thomas souhaite élargir l’action de l’O. I. T. à l’économie, puisqu’à la S. D. N. c’est le libéralisme économique qui demeure la doctrine officielle. Il voudrait aussi mettre sur pied à Genève une université internationale du travail avec le concours d’Henri de Man, le socialiste belge auteur d’Au-delà du marxisme. Il préside le Comité national des loisirs, mis sur pied par la Fédération nationale des coopératives de consommation. Peut-être songe-t-il un jour à reprendre un rôle actif dans la politique française. Léon Blum, parfois, a dit que, le jour venu, Thomas serait son ministre des Affaires étrangères.

Ce jour n’est pas venu : le 7 mai 1932, Albert Thomas, de passage à Paris, s’effondre, terrassé par une congestion.

G. L.

➙ Socialisme.

Thomas (Dylan)

Poète gallois (Swansea 1914 - New York 1953).


En ce xxe s., où le monde cherche son âme, le vieux « spirit of wonder » de la littérature anglaise, refusant de mourir, rayonne en pays de Galles d’étranges feux. Un grand souffle panthéiste s’élève de l’œuvre d’hommes comme les frères Powys, Vernon Watkins et, bien sûr, Dylan Marlais Thomas, fils d’un maître d’école qui puisait dans Shakespeare pour émerveiller son enfance. Qu’on ne s’étonne pas alors que Thomas rêvât d’égaler Keats en un temps où, note-t-il : « Je voulais écrire ce que je voulais écrire avant de savoir comment écrire ou ce que je voulais écrire. » Ses études abandonnées dès l’âge de dix-sept ans, Thomas se lance dans le journalisme (South Wales Evening Post, Herald of Wales) et joue au Swansea Little Theatre (par exemple, en 1932, Hay Fever de Noel Coward) tout en polissant son image de marque : celle du « poète maudit », dont la « Ballad of the Long-Legged Bait » présente quelque parenté avec « le Bateau ivre ». Cette image est noyée peu à peu dans l’alcool (One Warm Saturday, Old Garbo), la dissolution des mœurs, les scandales, l’impécuniosité chronique frisant la misère et bientôt la déchéance. Et pourtant que d’espérances porte en lui le jeune poète, ami de Vernon Watkins (1906-1967), de Richard Hughes (1900-1976) et de Pamela Hansford Johnson (née en 1912) qu’il faillit même épouser. Entre 1931 et 1936, D. Thomas lit énormément (en particulier T. S. Eliot, rencontré en 1933 et qu’il n’aime guère). Il écrit, surtout : non seulement les Eighteen Poems (1934), mais presque tous ces Twenty-Five Poems (1936) si prisés d’Edith Sitwell ainsi que bon nombre de nouvelles de The Map of Love (prose et vers, 1939) et de A Prospect to the Sea (1955). Le souvenir des jeunes années de Swansea plane sur les nouvelles de A Portrait of the Artist as a Young Dog (1940), l’une de ses meilleures œuvres en prose, comme il flotte sur le poème à la mémoire de la tante Ann, chez qui le poète passait ses vacances à la campagne (« After the Funeral — In Memory of Ann Jones »). Vers 1933 commencent ses séjours à Londres, où il mène une vie de bohème désargenté. Dylan Thomas commence également un roman, Adventures in the Skin Trade (1955), lequel, comme bien d’autres de ses entreprises littéraires, demeurera inachevé, et, en 1937, son mariage avec Caitlin ouvre l’histoire d’un amour traversé de nombreux orages. Après l’édition de plusieurs poèmes par le Sunday Referee en 1933-34, après le succès et les remous des Twenty-Five Poems, la considération et la consécration artistique viennent avec la publication de Deaths and Entrances (1946). Mais non la fortune, que ne lui apportent pas non plus les scripts pour des films (tels The Doctor and the Devil [1944], à l’origine d’ennuis avec la censure, ou Me and My Bike [1948]), les émissions pour la radio, avec le pourtant célèbre Under Milk Wood (« Pièce pour voix », 1953), ou les tournées de lectures aux États-Unis (1950, 1952, 1953). Marquées de remous scandaleux et d’excès qui achèveront de ruiner sa santé, ces tournées conduiront le poète à une mort subite à New York. Ainsi, D. Thomas détruit lui-même un poète dont le dernier écho des promesses d’avenir se trouve dans Collected Poems de 1952.

« [...] Ma théorie sur la poésie. En fait, je n’en ai pas. J’aime les choses qui sont difficiles à écrire et difficiles à comprendre [...]. J’aime opposer mes images, dire deux choses en un mot, quatre en deux et une en six. La poésie est un moyen d’expression, non un gribouillis sur du papier. »