Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
T

Thomas Becket (saint) (suite)

Regrettant d’avoir prêté le serment demandé par le roi, contraire au droit canon, refusant surtout d’authentifier ce document, qui, étant écrit, est destiné à faire loi, le primat entre brutalement en conflit avec Henri II, qui le cite au château royal de Northampton sur plainte d’un officier royal, Jean Le Maréchal, à qui la cour ecclésiastique avait refusé de remettre un manoir de l’archevêché. Condamné par défaut, accusé ensuite de félonie pour avoir renié sa parole, mis en cause pour sa gestion des fonds publics au temps de sa chancellerie, il se rend en ornements sacerdotaux devant l’assemblée de Northampton (oct. 1164) et fait appel au siège apostolique du jugement du roi.

Les Constitutions de Clarendon

Rédigées par les clercs d’Henri II conformément aux coutumes en vigueur sous Henri Ier Beauclerc (1100-1135), les seize articles de la charte de Clarendon du 30 janvier 1164 visent d’abord à renforcer l’inféodation de l’épiscopat anglais à la monarchie : élection des évêques dans la chapelle royale ; prestation, par le nouvel élu, de l’hommage lige au roi avant sa consécration ; extension de la compétence des tribunaux royaux aux litiges opposant des clercs aux laïques ; remise immédiate au bras laïque des clercs dégradés pour crime par leur évêque ; interdiction d’excommunier les hommes du roi, ses officiers et ses tenants en chef sans l’autorisation du souverain ou sans celle du grand justicier, autorisation également nécessaire pour la mise en interdit de leurs terres ; interdiction, enfin, faite aux prélats de faire appel en cour de Rome ou de s’y rendre en visite ad limina sans cette même autorisation royale ; etc. Assujettissant totalement l’Église d’Angleterre à l’autorité royale contrairement aux prescriptions canoniques du Décret de Gratien, ces statuts provoquent l’opposition de Thomas Becket. Se sentant engagé par le serment préalable prêté par lui d’observer les anciennes coutumes, ce dernier se retire sans protester ouvertement à l’assemblée de Clarendon, mais il se suspend de ses fonctions avant de demander l’absolution du pape. Ainsi débute brutalement le conflit opposant le roi au primat.


L’exilé

Thomas Becket, menacé d’arrestation dans la nuit qui suit le prononcé de la sentence, se réfugie en France, où il débarque près de Gravelines le 2 novembre 1164. Recevant à Soissons l’hospitalité de Louis VII*, confirmé sur son siège par le pape Alexandre III, qui condamne en sa présence neuf des articles de Clarendon et le délie de son serment d’en observer les prescriptions, il se retire à Pontigny, où il revêt l’habit cistercien (fin nov. 1164 - nov. 1166) et où il accueilli : ses parents et les clercs de l’Église de Canterbury dépouillés et bannis par Henri II.

Nommé légat en Angleterre par le pape le 24 avril 1166, l’archevêque de Canterbury promulgue à Vézelay, le 12 juin, la condamnation pontificale contre les Constitutions de Clarendon et excommunie les ministres et officiers qui en ont appliqué les dispositions. Pour éviter à ses hôtes la confiscation de leurs biens en Angleterre, il se retire dans une cellule de l’abbaye bénédictine de Sainte-Colombe de Sens (nov. 1166 - juill. 1170). Perdant l’appui de nombreux évêques, qui s’allient à la cause de son adversaire, le roi d’Angleterre rencontre l’archevêque à Montmartre le 18 novembre 1169. Mais il refuse encore le baiser de paix. Pour éviter la mise en interdit de son royaume, il se réconcilie pourtant publiquement avec Thomas Becket à Fréteval le 22 juillet 1170. Acceptant, comme à Montmartre, de passer sous silence les coutumes du royaume, il obtient en échange la promesse du renouvellement solennel du couronnement d’Henri le Jeune, auquel avait procédé illégalement l’archevêque d’York le 14 juin précédent. Mais Henri II ne respectant pas ses engagements, Thomas Becket se fait confirmer par Alexandre III ses pouvoirs de légat pontifical et promulgue, à la veille de son retour en Angleterre, les bulles suspendant les évêques coupables d’avoir participé au couronnement d’Henri le Jeune et d’avoir juré d’observer les Constitutions de Clarendon. En tournant ainsi les mesures prohibitives frappant outre-Manche les porteurs des lettres pontificales, le prélat aggrave le conflit qui l’oppose au roi. Aussi celui-ci multiplie-t-il les vexations à son encontre lors de sa marche triomphale vers Canterbury le 1er décembre 1170.


Le martyre et ses conséquences

« N’y aura-t-il donc personne pour me débarrasser de ce clerc outrecuidant ? » Par ces paroles, manifestant sa haine contre Thomas Becket, coupable de n’avoir pas levé l’excommunication des évêques qui lui sont fidèles, Henri II arme le bras de quatre chevaliers de son entourage. Quittant la Normandie, où réside la cour royale, obtenant de Ranulf de Broc l’aide d’une petite troupe d’hommes en armes, les chevaliers insultent l’archevêque en conférence avec des clercs, puis, à l’heure des vêpres, l’assassinent le mardi 29 décembre 1170 au pied de l’autel dédié à saint Benoît, dans le bras nord du transept de la cathédrale ; ils s’enfuient ensuite après avoir pillé le palais archiépiscopal.

Ayant précieusement recueilli le sang du martyr, les moines de Christchurch ensevelissent son corps dans un tombeau de marbre dans la crypte de la cathédrale.

L’archevêque de Sens, légat du pape, frappe alors d’interdit, dès le 25 janvier 1171, les terres continentales d’Henri II ; le jeudi saint, Alexandre III confirme cette sanction, qu’il étend même à la personne du roi, tout en excommuniant les meurtriers et tous ceux qui leur ont prêté assistance. Aussi Henri II est-il contraint de faire publiquement sa soumission inconditionnelle le 22 mai 1172, c’est-à-dire de promettre notamment l’abolition des Constitutions de Clarendon. Par-delà sa mort, le prélat impose donc sa loi au roi. Réconcilié officiellement avec l’Église en l’église Saint-André d’Avranches, Henri II doit accepter de se faire fustiger le 12 juillet 1174 par des évêques et par des moines sur la tombe de Thomas Becket, dont la canonisation avait été annoncée le 10 mars 1173 par le pape en raison des nombreux miracles qui s’étaient multipliés soit sur la tombe du martyr, soit au contact des ampoules contenant son sang. Célébrée le 29 décembre, jour de sa passion, la fête du nouveau saint prend un grand éclat après la translation, en 1220, de son corps dans la chapelle édifiée pour abriter la châsse le contenant et qui devient le lieu de nombreux pèlerinages en provenance de toute la chrétienté où se célèbre son culte public.

P. T.

➙ Alexandre III / Angleterre / Henri II Plantagenêt / Louis VII / Plantagenêt.