Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
T

T’ai-wan (suite)

Ce développement industriel a pour corollaire des progrès urbains rapides, dans une population qui, en 1960, était encore rurale pour 80 p. 100. La capitale, Taibei (T’ai-pei ou, usuellement, Taipeh), a 1 600 000 habitants ; elle constitue avec son port de Jilong (Kilong ou, usuell., Keelung) la plus grande zone urbaine et industrielle. Gaoxiong (Kao-hiong ou, usuell., Kaohsiung), port prospère et centre industriel moderne, compte 720 000 habitants. Cinq autres villes ont plus de 100 000 habitants, dont, notamment, la vieille cité de Tainan (375 000 hab.).

Taiwan n’est plus un pays sous-développé. L’île a cessé de bénéficier de l’aide économique américaine depuis 1965. Le niveau de vie de la population a considérablement progressé et le revenu par tête augmente. Mais l’avenir politique de la république de Chine (qui occupe aussi les îles Matsu [en chin. Mazu] et Quemoy [en chin. Jinmen] aux portes de la République populaire) est incertain.

J. D.


L’histoire

Originellement peuplée par une ethnie probablement proto-malaise très tôt refoulée par les immigrants chinois et japonais, cette île, admirablement située au carrefour des routes du Sud-Est asiatique, fut convoitée depuis le xvie s. et changea plusieurs fois de mains.

Colonisée par les Chinois venus du Guangdong (Kouang-tong) et du Fujian (Fou-kien) au xiie s. et surtout à partir du xvie, l’île est découverte en 1590 par les Portugais, qui lui donnent le nom d’Ilha Formosa, mais qui ne parviennent pas à s’y implanter. Plus heureux, les Hollandais occupent le Sud à partir de 1624 (fondation de Fort Zélande [Anping] et chassent en 1642 les Espagnols installés au nord. En 1661, un pirate chinois, Zheng Chenggong (Tcheng Tch’eng-kong) [Koxinga pour les Occidentaux], favorable à la dynastie déchue des Ming, s’en empare. Son fils lui succède de 1662 à 1683, mais les nouveaux maîtres de la Chine, les Mandchous, qui viennent de fonder la dynastie des Qing (Ts’ing), annexent l’ouest de Taiwan, dont ils mettent les terres en valeur. À l’est cependant, les populations aborigènes continuent de vivre selon leurs propres coutumes.

À la fin du xixe s., l’affaiblissement de l’Empire chinois rend l’île extrêmement vulnérable ; en 1860, les Occidentaux obtiennent l’« ouverture » de plusieurs ports ; les Japonais débarquent au sud en 1874 et se retirent après avoir reçu une indemnité. Pendant la guerre du Tonkin, l’amiral Courbet occupe le port de Jilong (Ki-Long) au nord, mais Lespès échoue devant Danshui (Tanchouei) en 1884. La France renonce à la conquête de Taiwan par le traité de Tianjin (T’ien-tsin) en 1885.

L’île, qui dépendait jusqu’alors du Fujian, devient province chinoise en 1887 et, sous l’impulsion de son gouverneur, Liu Mingchuan (Lieou Ming-tch’ouan), se modernise très vite : les premiers chemins de fer apparaissent ainsi que le télégraphe ; une ligne de navigation relie l’île au continent. Des écoles nouvelles, où est enseigné l’anglais, ouvrent leurs portes. Mais la hardiesse des réformes amènera la chute du gouvernement.

Par le traité de Shimonoseki (1895), qui conclut la guerre sino-japonaise, la Chine doit céder Taiwan et l’archipel des Pescadores (en chin. Penghu [P’eng-hou]) au Japon. La résistance de la population chinoise de l’île et la proclamation d’une éphémère république de Taiwan n’empêchent pas l’occupation nippone.

Taiwan devient alors une colonie de type classique qui sert directement les intérêts des Japonais en produisant les denrées dont ils ont le plus besoin, comme le riz, le sucre, la patate douce, la banane. Les échanges se font presque exclusivement avec la nouvelle métropole. Une infrastructure ferroviaire, routière et portuaire est mise en place. La production agricole s’intensifie considérablement grâce au réseau d’irrigation qui permet une double récolte annuelle de riz sur plus de la moitié des terres arables.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Taiwan devient une base d’invasion vers le continent. Cependant, à la conférence du Caire en 1943, le maréchal Jiang Jieshi (Tchang Kaï-chek*) se voit promettre la restitution de l’île. Les Japonais, qui favorisent dès lors le séparatisme formosan, évacuent Taiwan en août 1945 mais n’en reconnaîtront officiellement la cession à la Chine qu’au traité de San Francisco (sept. 1951).

En 1949, Jiang Jieshi et le Guomindang (Kouo-min-tang), après avoir perdu le combat qui les opposait aux communistes, se réfugient dans l’île. Les États-Unis vont désormais assurer leur protection : la VIIe flotte ne cessera pas de patrouiller dans le détroit qui sépare l’île du continent. Alors qu’à Pékin est proclamée la République populaire de Chine (1er oct. 1949), sous l’autorité du parti communiste et la présidence de Mao Zedong (Mao Tsö-tong), une seconde république, présidée par Jiang Jieshi, est instaurée à Taibei, avec son propre gouvernement et sa propre Assemblée nationale qui est censée représenter non seulement l’île, mais la Chine tout entière. Outre Taiwan, cette république, dite communément république de la Chine nationaliste, comprend les îles Penghu, Quemoy et Matsu.

C’est cette république qui, pendant plus de vingt ans, assumera l’apparence de la légalité chinoise dans les organismes internationaux et dans la plupart des capitales du monde occidental. Cette dualité entre un pouvoir théorique et un pouvoir réel freine considérablement l’évolution des relations internationales dans cette partie du monde. Elle n’est pas étrangère à l’intervention de l’armée chinoise contre les troupes américaines en Corée* dans la mesure où le gouvernement de Pékin craint le glacis mis en place peu à peu par les États-Unis. Cette guerre permet d’ailleurs, grâce aux capitaux et à l’aide américaine, de développer l’industrie formosane.

Dès la fin de la conférence de Genève en 1954, le gouvernement de Pékin réaffirme hautement ses droits sur l’île et propose d’ouvrir des négociations directes avec les autorités de Taibei après le retrait de la flotte américaine. Cette tentative se heurte à l’intransigeance des États-Unis et de Jiang Jieshi, qui ne cesse de parler d’une contre-attaque contre les « bandits rouges », maintient sur un pied de guerre une armée de 600 000 hommes et harcelle continuellement les régions côtières de la Chine populaire. En 1955, puis en 1958, les troupes communistes tentent de reprendre les îles de Quemoy et de Matsu. Mais la lutte la plus décisive se mène au niveau diplomatique : la reconnaissance progressive du régime de Pékin par de nombreuses puissances étrangères, la rupture sino-soviétique, la fin de la guerre du Viêt-nam et le rapprochement avec les États-Unis rendent inéluctable l’expulsion de Taiwan des Nations unies. C’est chose faite en octobre 1971. Les différentes déclarations sino-américaines à la suite du voyage du président Nixon à Pékin en février 1972, l’établissement de relations diplomatiques entre la Chine communiste et le Japon en septembre 1972 affaiblissent considérablement les positions de Jiang Jieshi. Les invitations à revenir au bercail se multiplient et Zhou Enlai (Tcheou Ngen-lai) offre un poste honorifique au vieil adversaire des communistes. Mais Jiang Jieshi meurt en avril 1975 et est remplacé par son fils Jiang Jingguo (Tsiang King-kouo).