Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

symbolisme (suite)

L’idéalisme baroque

Au contraire des précédents, certains peintres symbolistes attendent tout de la plénitude des moyens plastiques, et, justement, cette efficacité que les autres demandaient à un rendu photographique, ils la demandent à une pâte savoureuse qui les apparente parfois aux Vénitiens ou à Rubens. C’est tout particulièrement le cas de Böcklin, puissant animateur de la mythologie grecque, comme, avec moins d’éclat, dans l’aire germanique, de Hans von Marées (1837-1887), de Max Klinger (1857-1920), de Franz von Stuck (1863-1928) et enfin d’Alfred Kubin (1877-1959), nettement orienté, lui, du côté du fantastique* onirique. Gustave Moreau participe avec éclat, et sans doute plus de modernité dans le recours aux moyens picturaux que Böcklin, de ce même mouvement baroque, voie dans laquelle il est suivi avec moins d’assurance par Odilon Redon*. On pourrait en dire autant du Russe Mikhaïl Aleksandrovitch Vroubel (1856-1910), du Tchèque Jan Preisler (1872-1918), du Belge Henri de Groux (1867-1930). Une variante de cet idéalisme baroque serait l’idéalisme impressionniste (ou néo-impressionniste*), lorsque les mêmes préoccupations tentent de se concilier les séductions lumineuses de l’école de Monet* ou de celle de Seurat*. En France, si Henri Fantin-Latour (1836-1904) s’était montré sensible à l’impressionnisme, Alphonse Osbert (1857-1939), Henri Martin (1860-1943) et surtout Henri Le Sidaner (1862-1939) sacrifient à une sorte de symbolisme néo-impressionniste, comme le firent en Italie avec plus de lyrisme Giovanni Segantini (1858-1899), Gaetano Previati (1852-1920) et Giuseppe Pelizza da Volpedo (1868-1907).


L’idéalisme synthétique

Si l’idéalisme académique se référait somme toute à la tradition classique et l’idéalisme baroque à celle des Vénitiens, de Rubens et de Rembrandt, voire de Watteau, le synthétisme élaboré par Gauguin et Émile Bernard (1868-1941) se veut délibérément moderne, résolument en dehors d’une tradition, bien qu’il n’ignore ni les miniatures médiévales, ni la peinture égyptienne, ni l’art khmer, ni les estampes japonaises. Aussi est-ce avec lui que le symbolisme se fait le plus révolutionnaire en tant que novation dans l’histoire des styles, nouvelle proposition d’organisation picturale, nouveau rapport de la plastique avec le sens. Le retentissement de la formule synthétique sera d’autant plus grand que, portée par le génie de Gauguin, celle-ci a prouvé sa faculté de servir à la peinture du mythe et du rêve. Outre les nabis* et l’école de Pont-Aven, elle vient stimuler et, au moins passagèrement, féconder non seulement le mouvement général de l’Art nouveau, mais ce que l’on pourrait nommer l’idéalisme décadent, dans lequel les travers du symbolisme s’exacerbent à plaisir et qu’illustrent diversement l’Anglais Aubrey Beardsley (1872-1898), les Néerlandais Jan Toorop (1858-1928), Johan Thorn Prikker (1868-1932) et Christophe Karel Henri de Nerée tot Babberich (1880-1909), les Autrichiens Gustav Klimt (1862-1918), Koloman Moser (1868-1918) et Egon Schiele (1890-1918), les Belges Émile Fabry (1865-1966) et Leon Spilliaert (1881-1946), enfin l’Italien Vittorio Zecchin (1878-1947). Ce n’est pas un hasard si plusieurs des artistes nommés trahissent déjà des traits expressionnistes. En effet, Gauguin excepté, le plus génial représentant de l’idéalisme synthétique, ce sera le Norvégien Edvard Munch*, père de l’expressionnisme* germanique.


Les idéalismes médiumnique et sculptural

Deux des plus remarquables parmi les peintres symbolistes trouvent malaisément leur place dans les trois catégories entre lesquelles on a tenté de répartir l’art du symbolisme. Ce sont William Degouve de Nuncques (1867-1935), à qui on doit de fantastiques paysages nocturnes, et Alberto Martini (1876-1954), qui illustre tardivement Edgar Poe de cinquante gravures (1905-1908) bien faites, à notre avis, pour renvoyer dans l’oubli celles d’Odilon Redon. Le caractère extatique de leur inspiration autoriserait à les englober dans une catégorie inattendue, celle des artistes médiumniques, que le spiritisme a suscités depuis le milieu du xixe s. Ceux-ci se manifestent plastiquement soit par des figurations idéalistes qui ne sont pas si éloignées de celles des artistes de la Rose-Croix, soit, au contraire, par des œuvres « automatiques » auxquelles les surréalistes emprunteront plus tard leurs divagations inventives. André Breton a également considéré comme médiumnique le Palais idéal que Ferdinand Cheval (1836-1924) commença à édifier en 1879 et acheva en 1912, ce qui couvre amplement la période symboliste. C’est une invitation à ne pas oublier les sculpteurs dans l’aventure du symbolisme, du Tchèque František Bílek (1872-1941) au Norvégien Gustav Vigeland (1869-1943), du Belge George Minne (1866-1941) au Finlandais Ville Vallgren (1855-1940), de l’Italien Adolfo Wildt (1868-1931) au Polonais Bołeslaw Biegas (1878-1954), d’Antonio Gaudí* à Medardo Rosso*, sans oublier Auguste Rodin*.

Médiums et sculpteurs apparaissent, en effet, placés aux deux extrémités d’une même tendance à donner corps à l’invisible, qu’il s’agisse avec les premiers de traduire graphiquement les vœux des « désincarnés » ou avec les seconds de conférer les trois dimensions de la réalité aux vœux les plus secrets de l’âme. Ici comme là, ou encore, ainsi que nous avons pu le vérifier, d’Ingres à Moreau et à Khnopff, et, ainsi que nous pourrions assurément le vérifier, dans le symbolisme tout entier, c’est Œdipe, bien entendu, qui tente son impossible réconciliation avec le Sphinx. Tentative qui n’a pas cessé de s’agiter dans les coulisses de l’art du xxe s., puisque le symbolisme s’est réincarné par Boccioni dans le futurisme*, par De Chirico* dans le surréalisme, par Kandinsky* et Kupka* dans l’abstraction* — et qu’à certains signes on serait prêt à croire qu’il ne demande qu’à refaire surface en cette très proche fin de siècle.

J. P.

➙ Art nouveau / Romantisme / Surréalisme.