Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

symbolisme (suite)

De l’allégorie au symbole

D’ailleurs, la psychanalyse, en établissant, comme le fait Claude Girard à propos d’Ernest Jones, la différence fondamentale entre le symbole et l’allégorie, « le symbole étant une image ayant un contenu inconscient, et l’allégorie une image libre de tout refoulement », nous invite à reconnaître dans le symbolisme artistique le champ par excellence où s’inscrit cette différence. Le parcours opéré par un même mythe dans trois œuvres du xixe s. permettra de s’en rendre compte. En 1808, dans Œdipe et le Sphinx, Ingres* fait dialoguer comme dans un salon le héros porteur de lumière et le monstre issu de la nuit, le premier pénétré de la double suprématie masculine et occidentale, le second marqué de la double barbarie féminine et orientale. En 1864, Gustave Moreau nous montre au contraire le Sphinx agrippé à la poitrine et à la cuisse d’Œdipe ainsi que dans un début d’étreinte amoureuse : le refoulé, c’est ici le mélange de fascination et d’horreur que provoque la femme chez Moreau, ce qui fait basculer cette image de la célébration de la sagesse grecque vers une illustration de la guerre des sexes. En 1896, c’est au tour de Fernand Khnopff de nous présenter, sous le titre très ambigu l’Art ou les Caresses ou le Sphinx, une vision de panthère à la tête de femme faisant des câlins à un Khnopff-Œdipe dont le visage a été posé par la sœur de l’artiste. Le Sphinx se montrant infiniment plus viril ici que son interlocuteur, nul doute que ce tableau ne nous révèle un refoulé autrement complexe que celui de Moreau, à savoir une homosexualité latente de nature masochiste avec fixation incestueuse sur la sœur. À travers ces trois exemples, on est donc en mesure d’affirmer que le symbolisme s’accomplit par un renforcement de la présence du refoulé dans le mythe, qui, en même temps, concourt à la destruction de sa représentation traditionnelle. Car plus le refoulé s’investit dans le mythe et moins il devient possible de décrire celui-ci en termes impersonnels.


Une esthétique du porte-à-faux

Cependant, le symbolisme, art du caché, de l’ailleurs, de l’invisible, n’a pas d’autres recours, dans le domaine des arts plastiques, que d’en passer par le truchement du visible, objets ou figures. Les symboles peints ou sculptés sont donc des signes qui signifient plus qu’ils ne paraissent, et le plus de signification qu’ils recèlent indique le refoulé. Ce décalage entre ce qui est montré et ce qui est signifié fortifie par conséquent tous les autres types de décalages formels, dont l’art symboliste est particulièrement prodigue. Ainsi, chez Böcklin, une facture robuste et sensuelle, qui n’est pas si éloignée de celle de Courbet*, sert-elle à la description de personnages de la Fable : centaures, sirènes, tritons... Chez Gauguin, les « images chinoises », comme disait Cézanne*, imposent un style à deux dimensions que dément la dimension à la fois voluptueuse et mythique de la couleur portée à l’incandescence majeure. Chez Gustav Klimt, à l’inverse, le rendu des visages et des chairs en général, d’un naturalisme saisissant, se découpe sur un décor géométrique sans profondeur (v. art nouveau). Et si les allégories de Puvis* de Chavannes et de Hodler* déroulent à nos yeux un panorama exempt, à première vue, de tout refoulement, le rigorisme même de la composition trahit en réalité une gêne secrète dans le déploiement de ces nudités d’une chasteté si recherchée. Cela pour ne point parler du jardin des âmes qu’explorent sans relâche les peintres Rose-Croix et dans lequel les pures vestales et autres communiantes n’élèvent si souvent les yeux au ciel que pour ne pas voir quelles obscènes excitations elles entretiennent chez ceux qui les peignent ! Si l’art symboliste tout entier est gouverné par le refoulement et orchestré par le porte-à-faux entre la forme et le sens, reste, bien entendu, que, lorsque se découvre dans la béance une émotion assez vigoureuse, la peinture est sauvée — et que, sinon, on ne franchit pas les limites du mièvre et de l’alambiqué. Mais certains pensent aussi que le mérite est à la mesure du risque et que, si les symbolistes n’évitent pas toujours le ridicule, ceux qui ne le risquent pas, comme les impressionnistes*, sont de nul mérite.


L’idéalisme académique

Comme avant lui le romantisme et après lui le surréalisme*, le symbolisme veut voir dans la peinture un moyen beaucoup plus qu’une fin. Cela ne veut pas dire qu’il se désintéresse des propriétés plastiques, bien au contraire. Mais il se préoccupe de leurs vertus magiques plus que de leur capacité de plaire ou de satisfaire à des exigences exclusivement formelles. C’est ce qui explique l’attachement de nombreux peintres de la mouvance symboliste à une exactitude académique que l’on pourrait dire dans certains cas photographique (et, en effet, il n’est pas niable que certains préraphaélites ou un Khnopff ont étroitement mis la photographie à contribution), ce qui a permis à leurs adversaires de les amalgamer généreusement avec les « pompiers » du temps, dont les ambitions sont pourtant on ne peut plus différentes. Sans doute attendent-ils d’une description aussi illusionniste d’un geste, d’un visage ou d’un objet que se dégage par contraste le non-décrit, le secret, le mystère, en vertu de ce décalage précédemment signalé. Les plus nobles représentants de cet idéalisme académique seraient donc le Belge Fernand Khnopff (1858-1921) et son compatriote Xavier Mellery (1845-1921), admirables témoins du silence. À différents degrés de la compromission avec un mysticisme parfois insupportable de niaiserie, on trouverait en France Lucien Lévy-Dhurmer (1865-1953) ou Edgar Maxence (1871-1954) et, fidèles comme les deux derniers des Salons Rose-Croix, le Belge Jean Delville (1867-1953) et le Suisse Carlos Schwabe (1866-1926). Une variante serait l’idéalisme naturaliste de Puvis de Chavannes et d’Eugène Carrière (1849-1906) en France, de Hans Thoma (1839-1924) en Allemagne, de Léon Frédéric (1856-1940) en Belgique, de Hodler en Suisse, d’Akseli Gallen-Kallela (1865-1931) en Finlande.