Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

symbolisme

Peu de notions sont aussi controversées que celle de symbolisme et d’école symboliste. Verlaine déjà s’écriait : « Symbolisme ? Connais pas ! Ce doit être un mot allemand ! » Et plus d’un poète réputé symboliste n’accepterait l’étiquette que du bout des lèvres, comme un terme commode et rien de plus. Quant aux critiques et aux historiens, ils ont souvent tendance à en élargir les contours jusqu’à n’y plus voir qu’un avatar — ou la queue — du romantisme.


Le courant

Le symbolisme a pourtant sa réalité et son originalité, qu’on le considère dans son déroulement chronologique, dans son extension géographique ou dans son contenu esthétique et ses manifestations.

Si ses racines doivent être cherchées dans le romantisme allemand, dans la philosophie de Hegel et de Schopenhauer, dans le préraphaélisme anglais et l’œuvre de Swinburne, dans la tradition ésotérique du xixe s., ses origines et sa naissance sont françaises.


Une « crise d’âmes »

Vers 1880 prend corps dans la jeunesse littéraire et artistique un état d’esprit fait à la fois de frémissement devant la vie et de lassitude désabusée à l’égard d’une civilisation trop vieille. On se sent également solidaire et prisonnier du monde moderne, exilé au cœur d’un univers hostile et fascinant. Ce n’est pas encore le symbolisme, mais seulement la sensibilité décadente. Dans les cafés et les tavernes se réunissent des clubs qui s’appellent Hydropathes, Hirsutes, Zutistes, Je-m’en-foutistes ; Rodolphe Salis (1851-1897) crée le cabaret du Chat-Noir (1881) ; des revues apparaissent, comme Lutèce, la Nouvelle Rive gauche. Émile Goudeau (1849-1906), le fondateur des Hydropathes, chante la ville et ses Fleurs de bitume (1878). Alphonse Allais (1855-1905), Charles Cros (1842-1888) introduisent dans la vie et le langage la dimension de l’absurde. Maurice Rollinat (1846-1903) avec ses paroxysmes des Névroses (1883) et Jules Laforgue* avec ses complaintes douces-amères expriment leur angoisse sur des registres divers.

La décadence a ses maîtres, ses modèles. Dans les Essais de psychologie contemporaine (1883), Paul Bourget (1852-1935) consacre des études à Stendhal, à Taine, à Renan, à Flaubert et surtout à Baudelaire. En 1884, Verlaine* révèle dans ses Poètes maudits les œuvres alors pratiquement inconnues de Mallarmé, de Cros, de Corbière et de Rimbaud. La même année, J.-K. Huysmans* définit dans À rebours le type de l’esthète décadent. Son héros, Floréas des Esseintes, vit confiné dans un univers artificiel de sensations rares et de rêveries nourries des œuvres de Poe, de Baudelaire, de Verlaine, de Mallarmé, de Gustave Moreau ; son extrême lucidité le condamne à une angoisse sans recours.

Tous ceux qui devaient jouer un rôle dans le symbolisme ont, à des degrés divers, connu cette « crise d’âmes » de 1880-1885. Dans sa revue les Taches d’encre (1884-85), Maurice Barrés publie un essai sur Baudelaire. En 1889 encore, les Serres chaudes de Maurice Maeterlinck sont plus décadentes que symbolistes. Il en est de même en 1891 de l’André Walter d’André Gide. À dix-huit ans, le jeune Valéry ne jure que par À rebours, sa « Bible ». Le premier recueil de Milosz (1899) s’intitule le Poème des décadences. Et des écrivains comme Jean Lorrain (1855-1906) et Robert de Montesquiou-Fezensac prolongent jusqu’aux premières années du xxe s. une atmosphère décadente.

Cependant, l’esprit décadent comme phénomène collectif disparaît après 1885, malgré les efforts d’Anatole Baju pour lancer en 1887, avec le soutien éphémère de Verlaine, une école décadente. Des préoccupations idéologiques et esthétiques nouvelles s’affirment. Les jeunes poètes commencent à fréquenter rue de Rome les « Mardis » de Mallarmé. Ils y apprennent à donner un sens aux aspirations qui les appelaient au-delà des raffinements et des dégoûts de la décadence, et à chercher un fondement métaphysique à la poésie ; ils retiennent aussi de l’exemple et de la parole du maître que l’art doit être hermétique et réservé aux initiés. Ils se tournent également vers A. Villiers* de L’Isle-Adam, qui répand les thèmes idéalistes : le monde où nous vivons n’est qu’un rêve où nous projetons les reflets de notre Moi. Enfin, Édouard Dujardin (1861-1949), dans la Revue wagnérienne, qu’il crée en 1885, et Édouard Schuré (1841-1929), dans le Drame musical, réédité la même année, développent d’après le maître de Bayreuth l’idée d’une solidarité fondamentale entre les arts.


Une conscience commune

Le 18 septembre 1886, Jean Moréas publie dans le supplément littéraire du Figaro un article en forme de manifeste qu’on tient communément pour l’acte de naissance du symbolisme. En fait, ce texte est sans grande portée théorique et ne manque pas de confusion, dans la pensée comme dans la langue. Il a surtout le mérite de cristalliser autour du mot symbolisme les tendances qui se cherchent.

Aussi bien ne s’agit-il pas d’une école qui s’organise autour d’une doctrine, mais d’une conscience commune qui se découvre. Les leçons de Mallarmé ont été préférées à l’exemple de Verlaine, l’idée à la sensation, le rêve à là vie, la musique pure à la chanson. On élabore une conception exigeante de la poésie, dans ses buts comme dans sa facture ; on met l’accent sur la valeur suggestive du langage, qui ne sera pleinement exploitée que par un emploi sûr et savant des mots. On se réfère à la formule de Mallarmé dans son Avant-dire au Traité du Verbe (1886) de René Ghil (1862-1925), qui établit la fonction poétique du langage, médiateur magique entre le réel et l’idée : « Je dis : une fleur ! et, hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour, en tant que quelque chose d’autre que les calices sus, musicalement se lève, idée rieuse ou altière, l’absente de tous bouquets. »

Mais si l’on se réclame du symbole comme du secret de la poésie, sa définition manque de clarté : il est pour certains, quoi qu’ils en disent, peu différent de l’allégorie, pour les wagnériens formulation du mythe, correspondance pour ceux qui n’ont pas oublié Baudelaire, déchiffrement du mystère par la suggestion pour les disciples de Mallarmé.