Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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symbole (suite)

La classification des symboles

Alors que le goût de la description détaillée se généralise dans l’art de la fin du Moyen Âge — pensons aux Très Riches Heures du duc de Berry, à la flore (symbolique ou non) des tableaux de Van Eyck* —, que la philologie devient l’instrument essentiel de la connaissance des textes, la nécessité se fait sentir, dès le xve s., de classer les symboles. Cela peut sembler opposé à la nature même du symbole, dont nous avons vu qu’il peut réunir des éléments hétérogènes, mais difficiles à séparer et encore plus malaisés à dater rigoureusement.

Pourtant, les recueils d’images symboliques fleurissent à la Renaissance. Au xve s., les Hiéroglyphes d’Horatius Apollo et le Discours du songe de Poliphile de Francesco Colonna, au siècle suivant les Emblèmes d’André Alciat, l’Iconologie de Cesare Ripa (rééditée jusqu’en 1764), les Immagini degli Dei degl’ Antichi de Vincenzo Cartari fixent pour deux siècles au moins un vocabulaire symbolique où presque toute l’Europe cultivée se reconnaît, où les artistes peuvent puiser pour réaliser les grandes œuvres décoratives. À y regarder de près, on s’aperçoit que l’influence la plus littérale de ces livres s’est exercée sur le décor des fêtes : carrousels, défilés de chars, architectures éphémères inventées pour les mariages, les entrées et les funérailles des princes. Les décors et les costumes à symboles, les personnages allégoriques conviennent bien au mode d’expression théâtral, symbolique par excellence. La statuaire est sans doute l’art qui s’accommode le mieux de l’allégorie, et la décoration sculptée d’un parc comme celui de Versailles* peut être entièrement consacrée à l’illustration d’un symbole (la puissance solaire), chaque statue ou groupe allégorique contribuant à la signification de l’ensemble. Mais il existe aussi de grands décors peints qui font appel à l’arsenal du symbolisme classique (galerie François-Ier à Fontainebleau).

Il ne faudrait pas oublier, dans l’activité symbolique des artistes de la Renaissance, les créateurs de cités idéales, les utopistes qui rompent avec la tradition médiévale, dans laquelle la cité était surtout la Jérusalem céleste. La Sforzinda du Filarete (Antonio Averlino) ou la ville qui surgit du De re ædificatoria d’Alberti* sont des créations symboliques plus que des modèles à exécuter tels quels (v. visionnaire [architecture]).


Le symbolisme dans l’art moderne

Le fort courant rationaliste qui habite l’Europe de la fin du xviiie s. fait se vider de son sens le vocabulaire symbolique de l’âge classique. On s’en aperçoit en lisant les œuvres que J. J. Winckelmann a consacrées à l’art antique : on y trouve les réflexions d’un archéologue et d’un esthète, mais les images qu’il commente ont perdu leur dynamisme.

Si les romantiques semblent surtout préoccupés de révéler leur aventure personnelle, ils libèrent par là même des courants favorables à la reconnaissance de l’imaginaire. Déjà, une œuvre comme celle de Caspar David Friedrich manifeste une aspiration à l’universalité, qui fut d’ailleurs peu comprise de ses contemporains (v. romantisme). Mais la fin du xixe s. voit apparaître un mouvement littéraire et pictural qui se nomme ouvertement symboliste, réagissant contre le pitoyable réalisme des Salons académiques (v. symbolisme). Ces peintres et ces poètes se veulent des visionnaires et souhaitent trouver un nouveau langage qui leur permettrait de traduire cette « autre moitié des choses » qui n’intéresse pas la société bourgeoise de leur temps. Leurs ambitions, au-delà de la réalité quotidienne et des recherches formelles, les mènent aux grands thèmes éternels : la vie et la mort, la fécondité, l’écoulement du temps. La précision du dessin chez Léon Frédéric, Fernand Khnopff, Xavier Mellery est alliée à l’étrangeté du traitement de la lumière. Surtout, on voit, chez les symbolistes, apparaître le rêve comme source d’inspiration primordiale. Les éclairages nocturnes de William Degouve de Nuncques, les visions grandiloquentes de Jean Delville sont l’écho à peine transposé d’un appel onirique. Peu importe que ces artistes se soient nourris à des sources pseudo-philosophiques d’une solidité douteuse. L’essentiel est qu’ils aient frayé une nouvelle voie par des moyens plastiques. Les professions de foi en l’invisible sont fréquentes : celle de Gustave Moreau*, déclarant n’ajouter foi qu’à ce qu’il ne voyait pas ; celle du poète et aussi graveur Tristan Corbière, recommandant de peindre « uniquement ce qu’on n’a jamais vu et ce qu’on ne verra jamais ».

Avec l’art surréaliste, le symbole prend une signification autre (v. surréalisme). L’absence totale de cohérence historique frappe au premier regard dans une œuvre comme celle de Paul Delvaux*, qui mêle des éléments de paysage de la grande tradition classique — ruines, bords de mer, perspectives de bâtiments à la romaine — avec des thèmes empruntés à la « modernité » — chemins de fer, tramways, verrières de gares —, des hommes sanglés dans leur redingote avec des femmes nues coiffées de grands chapeaux à fleurs. L’indifférence de l’esprit symbolique au temps historique est affirmée avec plus de force que jamais. Mais on n’avait pas encore vu, avant les surréalistes, des artistes ignorer totalement le souci de cohérence logique, au moins en apparence. René Magritte* disait : « ce que l’on voit sur un objet c’est un autre objet caché ». Et il intitulait un tableau où le ciel se reflète dans un œil le Faux Miroir. Mais il refusait que l’on cherche dans sa peinture un sens symbolique, s’étonnant, d’ailleurs, que l’on puisse se délecter à interpréter des symboles. Il comprenait donc le mot symbole dans son sens le plus simple, celui dans lequel l’entendaient les auteurs du xvie s. : une représentation codifiée, dont le sens caché est restituable à l’aide d’une clé. L’œuvre des surréalistes, en fait, est symbolique à un plus haut niveau, dans la mesure où elle découvre des éléments fondamentaux du psychisme humain, éclaire la face diurne de celui-ci par sa face nocturne.