Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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symbole (suite)

 J. Piaget, la Formation du symbole chez l’enfant (Delachaux et Niestlé, 1945). / M. Éliade, Images et symboles (Gallimard, 1952). / E. Ortigues, le Discours et le symbole (Aubier, 1962). / G. de Champeaux et S. Sterckx, Introduction au monde des symboles (Zodiaque, La Pierre-qui-Vire, 1966 ; 2e éd., 1972). / J. Chevalier et A. Gheerbrant (sous la dir. de), Dictionnaire des symboles (Laffont, 1969 ; nouv. éd., Seghers, 1973, 4 vol.). / H. Peyre, Qu’est-ce que le symbolisme ? (P. U. F., 1974). / D. Sperber, le Symbolisme en général (Hermann, 1974).


Le symbole dans les arts plastiques

Selon l’étymologie, une représentation symbolique serait une image renvoyant à une réalité partiellement invisible. Depuis longtemps, on s’est accordé à reconnaître qu’une fresque, un tableau ne sont pas de simples assemblages de couleurs, qu’un temple n’est pas une simple accumulation matérielle de pierres. Ils traduisent des nécessités dont certaines n’apparaissent guère à un premier examen. Dans le langage courant, on a d’ailleurs coutume de nommer symboliques les œuvres d’art qui posent un problème d’interprétation. Ainsi, on est plus tenté de l’appliquer aux diableries de Jérôme Bosch* qu’aux paisibles troupeaux peints par Paulus Potter ou Constant Troyon — ces derniers ayant trouvé une raison d’être dans leur habileté à reproduire la réalité objective, recueillant l’admiration qui s’attache généralement à la précision du dessin.

Pourtant, si l’on remonte le cours de l’histoire des arts, ceux-ci apparaissent non pas comme des activités de loisir, mais comme des moyens pour exprimer une réalité qui dépasse la représentation figurée. Il ne s’est agi que rarement, par ailleurs, de révéler par des images une aventure intérieure propre à l’artiste. Lorsque, au viiie s., le pape Grégoire II, s’adressant aux iconoclastes, écrit que !a fonction de l’art est de « démontrer ce qui est invisible par ce qui est visible », on se doute bien qu’il s’agit de révéler une vérité surnaturelle considérée comme universellement acceptable. La fonction symbolique apparaît alors comme la justification même de l’activité artistique, médiatrice indispensable entre les hommes et le monde invisible. Les croyances religieuses ont d’ailleurs orienté de tout temps la création artistique.


L’outillage symbolique

Les fidèles des grandes religions ont trouvé des images qui suggèrent l’essentiel de leurs croyances en un raccourci à valeur magique : la croix des chrétiens, la clef de vie des anciens Égyptiens, le disque ailé commun aux religions antiques du Proche et du Moyen-Orient... Mais il faut aussi évoquer tout un travail de représentation de notions abstraites, soit de type moral, comme les Vertus et les Vices, soit de type cosmogonique, comme les Vents ou les Forces telluriques, généralement intégrées dans un système religieux. Ici intervient le procédé de la personnification, qui correspond à une attitude fondamentale de la pensée, l’anthropomorphisme. Ainsi, dans l’art classique européen, décrit-on la Charité sous les traits d’une femme qui donne à manger à des enfants, les Vents comme des hommes ou des enfants aux joues gonflées par leur souffle. Pour préciser au maximum les notions ainsi humanisées, des siècles d’érudition ont ajouté des accessoires à ces figures. Le Temps est un vieillard ailé à barbe blanche, porteur d’une faux et d’un sablier ; lorsque la faux ou le sablier sont représentés seuls, ils prennent alors valeur de symboles. L’importance de l’inspiration littéraire a été considérable dans la création de ces images, faites de personnifications et d’objets symboliques, et auxquelles on donne le nom d’allégories. Elles ont souvent donné lieu à des compositions de type dramatique, comme la psychomachie, si souvent peinte et sculptée par les artistes du Moyen Âge, et qui montre le combat des Vertus contre les Vices, imaginé au début du ve s. par le poète Prudence.

Si l’on s’en tient à la signification la plus simple du mot symbole (le sablier symbole du temps), il ne concernerait pas les représentations des grands récits sacrés comme la Bible, la vie du Bouddha, ni celles des grandes épopées. Leur déchiffrement suppose la connaissance des textes qui les ont inspirés ; c’est donc apparemment un problème historique que l’iconographie* est à même de résoudre à l’aide d’une solide connaissance du contexte. Cependant, dans certaines conditions, ces images peuvent signifier autre chose que la suite des épisodes illustrés souvent de façon littérale. Ainsi, la façon dont certains des événements sont mis en rapport avec d’autres, de manière à faire ressortir le lien profond qui les unit, conformément à une typologie en honneur à la fin du Moyen Âge, témoigne d’un esprit symbolique — le terme étant alors entendu dans un sens beaucoup plus large.


Histoire et symboles

Dans cet esprit, on peut remarquer l’influence qu’a exercée sur les arts une œuvre de la fin du Moyen Âge comme le Speculum humanæ salvationis, ou Miroir de la Rédemption de l’humain lignage. Cette histoire de la Chute et de la Rédemption fait de l’histoire antérieure à la naissance du Christ une préfiguration de la vie de Jésus et de celle de Marie. À chaque fait de l’histoire évangélique correspondent trois préfigurations. Des sculptures du portail de la cathédrale de Strasbourg, les verrières de l’église Saint-Étienne de Mulhouse, celles d’églises de Colmar et de Wissembourg, entre autres, les présentent de façon synoptique. Les personnages ne sont pas allégoriques ; ils sont historiques (ou supposés tels), mais leur juxtaposition est symbolique. Le souci de semblables programmes iconographiques, dont on sait qu’ils étaient généralement respectés avec scrupule, était de suggérer une vision synthétique et non pas historique de l’évolution de l’humanité.

C’est une des propriétés de l’art symbolique que de pouvoir ainsi accumuler en une vision unique des éléments empruntés à des milieux relativement éloignés dans le temps et dans l’espace, et issus de traditions philosophiques, religieuses ou plastiques différentes. Prenons l’exemple des représentations sculptées d’un épisode biblique, le char d’Élie enlevé au ciel. Ce thème apparaît sur plusieurs sarcophages (romains, arlésien, ...) et aussi à la porte de l’église Santa Sabina à Rome. L’exégèse a fait la relation entre l’image du char d’Élie et le nom grec donné au baptême par certains Pères de l’Église des premiers siècles, qui signifie « véhicule vers Dieu ». Le même mot (okhêma) avait un sens platonicien, tiré du Timée, celui de « corps véhicule de l’âme », et un sens néo-platonicien, relatif à l’ascension de l’âme dans les sphères planétaires. Il s’y ajoutait un sens biblique, rappelant la vision d’Ézéchiel dans laquelle les séraphins sont les roues du char qui porte Dieu. Une analogie avec le char ailé de Zeus, dont il est question dans le Phèdre de Platon, a sans doute joué aussi ; de même le thème hellénistique de l’apothéose (thème plastique celui-là), conçue comme un enlèvement sur le char d’Hélios, dont le nom fut — sciemment — confondu avec celui d’Élie (Hélias en grec). Le thème de l’émersion-ascension, aspect essentiel de la symbolique du baptême, apparaît en outre lorsque le char d’Élie passe au-dessus du corps d’un homme couché, qui représente un fleuve dans l’art gréco-latin et, dans ce cas précis, le Jourdain.