Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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surréalisme (suite)

De 1922 à 1924, les surréalistes se livrent principalement au sommeil hypnotique, dû à l’initiative de René Crevel (1900-1935). Robert Desnos s’y montre expert. Le groupe tout entier vit dans un état second : « Une épidémie de sommeil s’abattit sur les surréalistes. [...] Ils sont sept ou huit qui ne vivent plus que pour ces instants d’oubli où, les lumières éteintes, ils parlent sans conscience, comme des noyés en plein air. » Ils baignent dans un climat d’ivresse, d’exaltation continues. Ils ne connaissent aucune limite à leur prospection dans l’imaginaire. « Poursuite de quoi, je ne sais, mais poursuite » (Breton). Malgré les apparences, ces rêveries volontaires ne sont qu’un faux départ dans l’idéalisme où les surréalistes semblent s’engager.


Manifestes et théories

Bien vite, les surréalistes se ressaisissent, donnent le bilan de leurs investigations fantasmagoriques. En 1924, Breton publie le Manifeste du surréalisme. Il se montre le théoricien lucide et rigoureux de ce nouvel art de vivre, où le sommeil et le rêve ne sont que des préliminaires pour établir dans la conscience un vide capable ultérieurement d’accueillir de nouvelles formes de pensée.

Le surréalisme se réfléchit et s’organise : 1924 est également la date de la fondation officielle du mouvement autour de la personne d’André Breton, qui s’est imposé d’emblée. Au groupe initial viennent se joindre encore Man Ray, Francis Picabia*, Max Ernst*, Pierre Unik, Roger Vitrac, Pierre de Massot, André Masson, Georges Limbour, Maxime Alexandre. Une permanence est instituée : le « Bureau des recherches surréaliste », « une romantique auberge pour les idées inclassables et les révoltes poursuivies ». À partir du 1er décembre, le groupe a une revue, la Révolution surréaliste, qui paraîtra sous ce titre jusqu’en 1929. Les surréalistes se manifestent encore par des tracts, des papillons apposés çà et là, des pamphlets. Dans un pamphlet intitulé Un cadavre, le groupe célèbre à sa façon la mort d’Anatole France : « Avec France, c’est un peu de la servilité humaine qui s’en va. Que ce soit la fête, le jour où l’on enterre la ruse, le traditionalisme, le patriotisme, l’opportunisme, le scepticisme et le manque de cœur. » Le coup d’envoi est donné pour attaquer la société bourgeoise. C’est le scandale. Il ne sera pas le seul. Au cours d’un banquet donné en l’honneur de Saint-Pol Roux, Rachilde fait l’erreur de proclamer qu’« une Française ne doit pas épouser un Allemand ». Or, le chauvinisme, la haine anti-allemande étaient, pour les surréalistes, la marque même de l’esprit petit-bourgeois borné, qu’ils haïssaient. Les cris « Vive l’Allemagne », « À bas la France » fusent. La soirée se termine au commissariat de police. À la suite de cet incident, les surréalistes ont mauvaise presse. Paul Claudel qualifie leur activité de « pédérastique »... Généralement, on préfère considérer les surréalistes comme de jeunes bourgeois oisifs qui s’amusent.

Mis à part ces manifestations spectaculaires, les rêveurs en chambre poursuivent leur activité onirique. Ils élargissent le champ de leurs investigations et recherchent à présent le rêve dans le quotidien, et plus particulièrement dans la rue : « La rue que je croyais capable de livrer à ma vue ses surprenants détours ; la rue, avec ses inquiétudes et ses regards, était mon véritable élément ; j’y prenais comme nulle part le vent de l’éventuel » (Breton). Les surréalistes explorent la ville. Ils fréquentent les lieux les plus ordinaires : les cafés (le Certâ, le Grillon, le Cyrano). Ils découvrent des lieux qu’ils considèrent comme privilégiés : les passages, les cinémas de quartiers où se donnent des films de préférence mauvais, les théâtres qui donnent des pièces idiotes, les bordels. D’après eux, il se joue dans ces lieux des spectacles qui ont l’avantage de ne pas avoir été déformés par la culture. Ils les valorisent. Le Paysan de Paris (1926), Nadja (1928) rendent compte de cette attitude vis-à-vis du monde, qui se caractérise par le goût d’errer à la recherche du surprenant et de l’insolite, rencontrés dans l’élément le plus anodin, valorisé. Le rêve se trouve quasi réalisé par le désir opiniâtre de l’obtenir. Cette quête ininterrompue tente de révéler ce qui se cache derrière les apparences, de forcer les barrières de l’invisible.

Telles sont les activités essentielles de ces années : la création, à proprement parler, est surtout présente dans les manifestes, les pamphlets et les tracts. Avant de se livrer à toute élaboration artistique, il est nécessaire de retrouver la vie telle quelle, non pour être en mesure d’en parler après coup, mais pour réduire l’écart qui sépare ordinairement la vie de l’œuvre d’art, pour, à la limite, les fondre en une seule et même chose de manière à les effacer l’une et l’autre en élaborant une vie qui serait une œuvre d’art, l’art n’étant plus qu’un moyen pour mieux vivre.


L’engagement politique

Mais, bientôt, les surréalistes s’aperçoivent des limites, voire de la vanité et même de la puérilité de leur attitude face à la société. Ils se veulent scandaleux. Ils ne font que susciter l’intérêt amusé des intellectuels, l’indignation, qui tourne vite à l’indifférence, des bourgeois. Pour les uns comme pour les autres, ces incartades, si scandaleuses soient-elles, ne risquent guère de provoquer quelques changements. Finalement, elles n’ont aucun effet sur le monde. L’engagement politique devient nécessaire.

La guerre du Maroc sert de prétexte. Breton et ses amis prennent position contre la répression dont sont victimes les Marocains. Sans encore entrer dans les rangs des communistes, ils adoptent leurs points de vue sur cette question et collaborent à leur revue Clarté : « Nous ne sommes pas des utopistes : cette révolution, nous ne la concevons que sous sa forme sociale » (oct. 1925). Le surréalisme entre dans la période que Maurice Nadeau a appelée « raisonnante ». Les lectures de Lénine, d’Engels et de Trotski ont influencé Breton. L’idéalisme subversif laisse la place au matérialisme dialectique.