Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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surréalisme (suite)

La Révolution surréaliste fait part de ces préoccupations nouvelles : « Il faut aboutir à une nouvelle déclaration des droits de l’homme. » Le même numéro déclare (au début de 1925) : « Ouvrez les prisons, licenciez l’armée. » Dans un tract du 27 janvier de la même année, les surréalistes s’expliquent clairement : « Le surréalisme n’est pas une forme poétique. Il est le cri de l’esprit qui se tourne vers lui-même et est bien décidé à broyer désespérément ses entraves. Et, au besoin, par des moyens matériels. » Le surréalisme met l’accent sur son aspect révolutionnaire, qui ne se cantonne pas à une révolution des formes artistiques : « Le mouvement surréaliste n’est pas un mouvement dans l’abstrait et spécialement dans un certain aspect poétique au plus haut point haïssable, mais est réellement capable de changer quelque chose dans les esprits. »

Malgré cet engagement politique, ce flirt avec les communistes (la fusion de Clarté et de la Révolution surréaliste avait même été envisagée), les surréalistes continuent de former un groupe autonome et poursuivent les activités qui leur sont propres. Dans Légitime Défense, Breton affirme cette indépendance indispensable : « Dans le domaine des faits, nulle équivoque. Il n’est personne d’entre nous qui ne souhaite le passage du pouvoir des mains de la bourgeoisie à celle du prolétariat. En attendant, il n’en est pas moins nécessaire, selon nous, que les expériences de la vie intérieure se poursuivent, et cela bien entendu sans contrôle extérieur, même marxiste. »

Et les surréalistes commencent à donner les produits de leurs expériences de l’inconscient : 1924, le Libertinage d’Aragon, Mourir de ne pas mourir d’Eluard ; 1926, le Paysan de Paris d’Aragon, Capitale de la douleur d’Eluard ; 1927, la Liberté ou l’amour ! de Robert Desnos, Babylone de René Crevel. L’année 1928 voit une floraison d’œuvres capitales. Breton fait paraître le Surréalisme et la peinture et Nadja, Aragon Traité du style, Benjamin Péret le Grand Jeu, Crevel l’Esprit contre la raison. Luis Buñuel* exerce la démarche surréaliste dans le cinéma : Un chien andalou. L’Âge d’or sera réalisé en 1930. La Révolution surréaliste rend compte des expériences qui se poursuivent dans le domaine du rêve, de l’hallucination, de l’hystérie. Le cinquantenaire de l’hystérie est célébré. Mais, à partir de juillet 1930, la Révolution surréaliste devient le Surréalisme au service de la Révolution (SASDLR).


Dissensions et exclusions

La mise en œuvre du surréalisme au service de la révolution ne se fait pas sans ce que Breton a appelé des « tiraillements ». Peu à peu, les surréalistes commencent à douter du fait que l’amélioration des conditions matérielles, prônées par le marxisme, soit nécessaire et suffisante pour rendre meilleure la situation de l’homme dans le monde. Ils deviennent sceptiques et, par voie de conséquence, suspects aux yeux des « politiques ». La crise latente éclate à la suite du IIe Congrès international des écrivains révolutionnaires, qui se tient à Karkhov (nov. 1930). Aragon a pour mission de représenter la ligne surréaliste. Il revient en France converti au communisme, dénonçant le freudisme comme idéaliste et antirévolutionnaire. Il écrit Front rouge. Accusé de faire appel à l’assassinat politique, il est menacé de prison. Les surréalistes, par solidarité, prennent sa défense, mais la rupture avec Aragon est consommée. Breton en rend compte dans Misère de la poésie : « Front rouge n’ouvre pas à la poésie une voie nouvelle. » Dans ce même article, il s’en prend aux conceptions réalistes socialistes du parti communiste. À la suite de cette prise de position sans équivoque, Aragon est exclu du groupe et, peu de temps après, en 1933, Breton quitte le parti, auquel il avait adhéré en 1927. Pour lui, le surréalisme ne peut être inféodé au marxisme ; celui-ci ne peut se permettre d’imposer des limites à l’activité surréaliste, qui a justement pour but de les faire éclater toutes.

C’est également à partir de cette époque que le surréalisme commence à perdre la vigueur de l’élan initial qui l’avait motivé. Breton exerce sur le groupe un attrait, une autorité, une pression qui commencent à peser sur certains membres. Dès 1926, Philippe Soupault, un surréaliste de la première heure, avait été exclu. Ce fut le tour d’Antonin Artaud*, pour avoir osé composer avec la société bourgeoise en faisant représenter une pièce de Strindberg dans le circuit commercial. Dans le Second Manifeste du surréalisme (dans la Révolution surréaliste, 1929 ; en vol., 1930), Breton s’en prend aux « déviationnistes » qui s’écartent de la « voie royale » du surréalisme : Desnos, pour « trop grande complaisance envers soi-même » ; Pierre Naville, pour « passage inconditionnel à l’activité politique » ; Limbour, pour « scepticisme, coquetterie littéraire ». Georges Ribemont-Dessaignes, Michel Leiris, Raymond Queneau, Jacques Prévert, Georges Bataille font partie des condamnés. Ensemble, ils réagissent et composent Un cadavre, réplique parodique du pamphlet qui avait été rédigé contre Anatole France. Cette fois, c’est Breton qui est pris à parti : curé, flic sont les injures qui reviennent le plus souvent. La conclusion est la même que celle qui fut écrite par Breton, quelques années plus tôt, au sujet d’Anatole France : « Il ne faut plus que cet homme fasse de la poussière. »


Breton et le renouveau du mouvement

Plus solitaire, Breton poursuit son œuvre tout en continuant d’essayer d’intervenir dans la vie politique. Mais, à l’occasion du Congrès des écrivains pour la défense de la culture (juin 1935), il prend conscience de « l’écroulement des espoirs qu’envers et contre tout, durant des années (les surréalistes avaient) mis dans la conciliation des idées surréalistes et de l’action politique sur le plan révolutionnaire ». Ces années marquent aussi un renouveau du groupe surréaliste, dans lequel entrent Pierre Mabille, Gisèle Prassinos et Jacques Herold. Breton fait paraître Qu’est-ce que le surréalisme ?, Point du jour, l’Air de l’eau (1934), Eluard la Rose publique (1934), Salvador Dalí* la Conquête de l’irrationnel (1936). Et le surréalisme s’internationalise. En 1936, une exposition a lieu à Londres. Breton voyage, en Europe centrale, où il fait des conférences, en Suisse, aux Canaries. En 1938, il est au Mexique, où il rencontre Trotski. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le surréalisme se transporte aux États-Unis, où Breton s’est réfugié. Celui-ci y retrouve André Masson et Yves Tanguy. Il publie en 1942 les Prolégomènes à un Troisième Manifeste du surréalisme ou non. L’Anthologie de l’humour noir (1940) et Fata Morgana (1942) avaient été censurés par le gouvernement de Vichy.