Sun Yat-sen (suite)
De retour à Canton, Sun Yat-sen entreprend de constituer une base révolutionnaire restreinte en se servant des « seigneurs de guerre » cantonais et assume la présidence d’un gouvernement militaire (sept. 1917). Mais il perd dès mai 1918 tout pouvoir au sein de cette alliance douteuse, dont il fut un temps le « Grand Maréchal », et repart pour Shanghai (Chang-hai) en 1919. C’est là qu’il assiste au « Mouvement du 4 mai 1919 », qui marque un tournant décisif dans l’histoire de la Chine contemporaine. Les étudiants de Pékin protestent ce jour-là contre les décisions de la conférence de la Paix à Paris, qui remettent au Japon les anciens privilèges allemands en Chine. Le mouvement s’étend bientôt à tout le pays. Pour la première fois, un puissant courant populaire met en cause avec vigueur les défenseurs de l’ordre ancien et les puissances étrangères. Pour la première fois aussi, l’intelligentsia, le prolétariat et la bourgeoisie urbaine font cause commune. Sun ne tardera pas à percevoir quelles nouvelles voies s’ouvrent désormais à la révolution chinoise.
Une politique nouvelle
Sun est de nouveau à Canton en 1920 grâce à l’alliance avec le seigneur de guerre local, le général Chen Jiongming (Tch’en Kiong-ming), et se fait élire le 5 mai 1921 président de la République. Canton devient alors la première expérience chinoise de gestion municipale sur une base démocratique. Une fois de plus, son « allié » se retourne contre lui (juin 1922), et Sun revient à Shanghai, où le parti communiste, malgré sa faiblesse numérique et sa jeunesse — il a tout juste un an —, s’affirme déjà une force politique. Des contacts s’établissent. Sun n’est pas indifférent à la Révolution russe et à la décision du gouvernement soviétique de renoncer aux « traités inégaux ».
En janvier 1923, à la veille de se réinstaller à Canton, il signe à Shanghai avec l’envoyé officiel de Moscou une déclaration précisant sur quelles bases l’U. R. S. S. accordera son appui au Guomindang. Cette fois, il ne négligera ni la jeunesse intellectuelle, ni le mouvement paysan, ni le mouvement ouvrier. Cette nouvelle politique se fera en collaboration avec les communistes chinois et avec le soutien de l’U. R. S. S. Mikhaïl Borodine devient le conseiller politique de Sun Yat-sen. Le Guomindang, dont le premier congrès national se réunit à Canton en janvier 1924, est alors réorganisé suivant un modèle léniniste. Une académie militaire présidée par Tchang Kaï-chek* est fondée à Huangpu (Houang-p’ou). Canton se transforme bientôt en une véritable base révolutionnaire de mieux en mieux contrôlée par des milices syndicales. À la fin de l’année 1924, Sun quitte Canton via le Japon pour négocier avec le nouveau maître de Pékin, le général Feng Yuxiang (Fong Yuh-siang), qui affirme vouloir favoriser les forces de progrès et qui a proposé la réunion à Pékin d’une conférence de restauration de la Chine. Le 12 mars 1925, il meurt sans avoir réussi à mener à bien l’unité nationale qu’il souhaitait réaliser.
Premier homme d’État moderne de la Chine, Sun Yat-sen a été profondément marqué par son empirisme : il a fini par s’appuyer sur les forces organisées du monde du travail après avoir cru que la bourgeoisie des villes était capable de diriger la révolution et par dénoncer l’impérialisme des puissances après avoir rêvé de parlementarisme à l’occidentale. De même, les « Trois Principes du peuple », qu’il invoquera toujours, prennent sur le tard une autre signification : le nationalisme auquel il fait référence s’oppose à l’« impérialisme occidental », la suppression du militarisme est le préalable indispensable à toute évolution démocratique, et le « bien-être du peuple » prend à la fin de sa vie l’aspect du « socialisme ».
C. H.
➙ Chine.
L. Sharman, Sun Yat-sen. Its Life and its Meaning (New York, 1934 ; nouv. éd. Stanford, 1968). / M. B. Jansen, The Japanese and Sun Yat-sen (Cambridge, Mass., 1954). / J. Chesneaux, Sun Yat-sen (Club fr. du livre, 1959). / H. Z. Schiffrin, Sun Yat-sen and the Origins of the Chinese Revolution (Berkeley, 1968).

