Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

superfluidité (suite)

Les divers phénomènes s’expliquent alors soit par la possibilité pour le seul superfluide de s’écouler dans des zones où le fluide normal ne peut, du fait de sa viscosité, qu’assurer un débit négligeable (par exemple, les pores d’une poudre très fine, des fentes très étroites ou le film formé sur des parois), soit par l’existence d’un écoulement des deux fluides avec des débits égaux et de sens inverses, créé par le chauffage, le fluide normal étant le seul à exercer une action sur l’hélice.

Le modèle à deux fluides devait recevoir de 1944 à 1946, en U. R. S. S., deux confirmations : l’une constituée par la détection du second son et la mesure de sa vitesse de propagation par V. P. Pechkov ; l’autre constituée par l’expérience dite « de la pile de disques » par E. L. Andronikachvili. Ce dernier faisait osciller dans l’hélium liquide un pendule de torsion comportant 180 disques très fins et très proches les uns des autres, et il déduisait de la variation de la période du système la proportion ρn/ρ en fonction de la température du fluide normal, qui est entraîné entre les disques par viscosité. Or, l’expression de la vitesse du second son permettait de déduire de la mesure de celle-ci et des valeurs de S et Cv connues à partir de mesures calorimétriques une autre détermination de ρn/ρ en fonction de T. L’accord entre les deux déterminations s’avéra excellent.

Cependant, en 1950, le modèle à deux fluides connaît un échec apparent : le Britannique D. V. Osborne, en observant le ménisque du liquide en rotation, constate que le creux parabolique de celui-ci ne disparaît pas lorsque la température diminue et que, mieux encore, celui-ci est indépendant de la température, ce qui montre que tout le fluide participe à la rotation.

Pour tenter de comprendre ce phénomène, il faut, comme R. Feynman l’a fait en 1955, essayer d’étendre les conséquences de l’explication même de la superfluidité. Cette explication, abordée par Landau et Fritz London, peut se résumer ainsi : conformément au troisième principe de la thermodynamique, l’entropie d’un corps, mesure de son désordre, doit tendre vers zéro en même temps que la température de celui-ci. Mais, pour s’ordonner, tout en rendant la somme de son énergie cinétique et de son énergie potentielle minimale, le corps a le choix entre deux solutions : ou bien fixer la position de ses atomes (processus de solidification), ou bien fixer leur quantité de mouvement. Conformément au principe d’incertitude de Heisenberg, selon lequel le produit des incertitudes Δx sur la position et Δp sur la quantité de mouvement doit rester inférieur à la constante de Planck h, divisée par 4π, la première solution, où Δx tend vers 0, sera coûteuse en quantité de mouvement p et, par conséquent, pour des corps légers, de faible masse m, en énergie cinétique p2/2m. La seconde solution autorise au repos une énergie cinétique nulle et en mouvement une énergie cinétique bien déterminée et qui reste faible au prix d’une incertitude très grande sur la position de chaque atome.

C’est cette situation qui se rencontre dans l’hélium, corps léger, dont les forces d’attraction entre atomes sont assez faibles pour que le « puits de potentiel » où chaque atome tendrait à se fixer soit peu profond et pour qu’une tentative de fixation de la position crée une énergie cinétique suffisante pour que l’atome sorte du puits et se « délocalise ». Tel n’est pas le cas, par contre, pour l’hydrogène, pourtant plus léger, mais dont le puits de potentiel est beaucoup plus profond.

L’hélium reste donc liquide jusqu’à des températures suffisamment basses pour que la longueur d’onde de De Broglie associée à la quantité de mouvement due à l’agitation thermique, devienne plus grande que la distance interatomique. Les mouvements des atomes ne peuvent plus alors être indépendants, et les chocs qui en résultent tendent à disparaître. La superfluidité apparaît donc pour une partie du fluide. Pour cette partie, la mécanique quantique ne décrit plus l’état d’un atome, mais celui de tout le superfluide, qui doit être représenté par une fonction d’onde unique.

On peut donc s’attendre non seulement à l’apparition d’une composante caractérisée par la valeur nulle de la viscosité et aussi de l’entropie, mais également à la manifestation à l’échelle macroscopique de phénomènes habituellement rencontrés à l’échelle des dimensions atomiques.

C’est ainsi que Feynman émet en 1955 l’hypothèse que dans l’hélium en rotation doivent exister des tourbillons rectilignes parallèles à l’axe de rotation et que le moment cinétique de chaque atome du superfluide autour d’un de ces tourbillons est nh/2π, où h est la constante de Planck et n un entier. Il revient au même d’écrire que la circulation Γ de la vitesse superfluide sur un contour fermé entourant un tourbillon est quantifiée

m est la masse de l’atome d’hélium. La situation n = 1, étant la moins coûteuse en énergie cinétique, représente le comportement le plus probable.

Ces tourbillons quantifiés ont été détectés par W. F. Vinen, qui a observé la précession du plan de vibration d’une corde vibrante à laquelle s’attache dans l’hélium liquide en rotation un tourbillon. Celui-ci et, par conséquent, la corde à laquelle il s’est attaché subissent une force dite « force de Magnus », bien connue en aérodynamique, normale au plan de vibration et provoquant une lente rotation de celui-ci, dont on déduit la valeur du quantum de circulation.

Il existe une autre méthode, plus commode, pour observer non seulement des tourbillons rectilignes, mais aussi, éventuellement, des tourbillons déformés. Il s’agit de la mesure de l’atténuation du second son par les tourbillons. Ceux-ci, du fait des vitesses très intenses règnent à de faibles distances r de leur axe, jouent le rôle de centres diffuseurs pour les excitations constituant le fluide normal, et il en résulte une atténuation importante de toute vibration relative du fluide normal et du superfluide, et donc, en particulier, du second son. Cette atténuation, observée en 1956 par H. E. Hall et W. F. Vinen, traduit l’existence d’une force de friction mutuelle entre le fluide normal et le superfluide associée à la présence des tourbillons et à leur mouvement relatif par rapport au fluide normal et au superfluide. Cette atténuation est proportionnelle non seulement à la densité de tourbillons, mais aussi, localement, au carré des sinus de l’angle entre un élément de tourbillon et la direction de propagation du second son, et au moment cinétique des atomes superfluides tournant autour du tourbillon.