Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

structuralisme (suite)

La notion de valeur linguistique est liée aux opérations qui ont été effectuées sur cet exemple très simple : opération de segmentation et opération de substitution dans un contexte identique. La procédure générale de l’analyse structurale tend, en effet, à délimiter les unités au travers des relations qui les unissent. Ces relations sont de deux types : 1o relations syntagmatiques, qui définissent les rapports entre des unités coexistant à l’intérieur d’un même énoncé (par exemple entre océan et berce) ; 2o relations paradigmatiques, qui définissent les rapports entre des unités susceptibles d’apparaître dans une même position à l’intérieur d’un énoncé (par exemple entre océan et vent).

L’application de cette procédure à un corpus donné conduit à une description de la structure linguistique organisée en différents niveaux d’analyse, chaque niveau comportant ses propres unités : par exemple le phonème au niveau phonologique et le morphème au niveau morphologique. Chaque unité est substituable (ou commutable) avec des unités de même niveau ; chaque unité s’intègre dans une unité de niveau supérieur, dont elle est un constituant. Par exemple, les phonèmes /d/ et /b/ en français sont substituables dans le contexte /–o/ : /do/ et /bo/ ; en même temps /d/ et /b/ sont constituants respectifs des morphèmes « dos » et « beau ».

E. Benveniste distingue ainsi quatre niveaux d’analyse : le niveau des traits distinctifs (mérismatique), le niveau phonologique, le niveau morphologique et le niveau phrastique. Les limites de l’analyse apparaissent aux deux niveaux extrêmes, qui ne comportent plus qu’une seule opération : « en bas », c’est-à-dire au niveau mérismatique, est seule possible l’opération de substitution ; « en haut », c’est-à-dire au niveau phrastique, est seule possible l’opération de segmentation.

On peut remarquer, par ailleurs, que, du trait distinctif au morphème, les constituants de l’unité supérieure sont toujours des constituants immédiats (par exemple, le phonème est constituant immédiat du morphème). Par contre, si les morphèmes sont bien des constituants de la phrase, ils n’en sont plus les constituants immédiats ; autrement dit, il existe nécessairement entre le niveau morphologique et le niveau phrastique des niveaux d’analyse intermédiaires dont la description linguistique doit rendre compte.


Les principales écoles


Le Cercle linguistique de Prague

Fondé en 1926 à l’initiative de Vilém Mathesius, il est dominé dès le début de ses activités par la personnalité de deux linguistes russes : N. Troubetskoï* et R. Jakobson*.

Les Thèses de Prague, présentées au Congrès international de La Haye en 1928, sont d’abord un programme de recherche : elles envisagent les questions fondamentales de la linguistique, mais aussi les problèmes relevant de la langue littéraire et poétique ainsi que les problèmes de description des dialectes slaves. Pour les linguistes de Prague, la langue a une finalité : elle est un système fonctionnel qui a pour but de permettre l’expression et la communication humaines. Les Thèses de Prague ont également été une base pour le développement de la phonologie*. Cependant, si les « pragois » reconnaissent leur dette envers F. de Saussure quant aux grands principes théoriques, ils émettent certaines réserves quant à la distinction entre synchronie et diachronie, dans la mesure où cette distinction nécessite une trop grande abstraction par rapport à la réalité linguistique, toujours très complexe (coexistence de générations diverses, de groupes sociaux différents, etc.). Ils reconnaissent également comme l’un de leurs précurseurs le linguiste polonais Jan Baudouin de Courtenay, en particulier pour la détermination de la notion de phonème et de trait distinctif.

Si la personnalité de N. Troubetskoï est liée particulièrement aux recherches en phonologie, la tendance « fonctionnaliste » du Cercle de Prague s’exprime dans l’œuvre de R. Jakobson, qui cherche à inclure dans un ensemble cohérent de « fonctions du langage » les différentes hypothèses émises par le Cercle de Prague.

En France, Émile Benveniste et André Martinet, au travers d’œuvres originales, ont été les introducteurs et les continuateurs des théories linguistiques de Prague.


Le Cercle linguistique de Copenhague

Sa création, en 1931, est due à la collaboration de deux linguistes danois : L. Hjelmslev* et Viggo Brøndal.

L. Hjelmslev se réclame exclusivement de la pensée de F. de Saussure. À partir de 1933, avec la participation de Hans Jorgen Uldall, il envisage la création d’une nouvelle sorte de linguistique structurale, la glossématique, en partant de deux notions fondamentales déjà aperçues par F. de Saussure : le principe d’immanence et la notion de valeur.

La glossématique reprend les principaux concepts saussuriens, mais en tentant de les élargir de telle manière qu’on puisse, à l’aide de traits logiques très généraux, définir non seulement toute langue naturelle, mais également toutes les formes de langage ou, selon la terminologie de L. Hjelmslev, toute sémiotique. Sont caractéristiques, par exemple, de toute sémiotique les deux plans de l’expression et du contenu (proches des notions saussuriennes de signifiant et de signifié). Ces deux plans sont liés par la fonction de commutation (toute modification d’un élément de l’un des plans entraînant une modification — à décrire — dans l’autre plan), et l’on doit distinguer à l’intérieur de chacun d’entre eux une forme et une substance.

L. Hjelmslev a poussé à leurs extrêmes limites logiques les distinctions saussuriennes, puisqu’il refuse, pour définir une unité linguistique, toute autre considération que la somme des relations dans laquelle entre cette unité. Sa principale originalité réside sans doute dans sa volonté d’élargir le système linguistique à un vaste système logique où toutes les relations de « langage » seraient déductibles les unes des autres. Par ailleurs, Hjelmslev est un des premiers structuralistes à avoir posé le problème de la constitution d’une sémantique générale en postulant l’existence d’un isomorphisme entre les deux plans de l’expression et du contenu. Enfin, il est également l’un des premiers à avoir repris et approfondi le projet saussurien de « sémiologie », et ses continuateurs en France, tels Aljirdas Jules Greimas et Roland Barthes, ont souvent souligné ce qu’ils lui devaient.