Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

structuralisme (suite)

Les débuts

On peut situer la première étape du structuralisme des débuts du xxe s. aux années 1925-1930, date à laquelle se constituent les principales écoles. La linguistique se définit alors comme un domaine de recherches particulier à l’intérieur du champ scientifique hérité du positivisme. Celui-ci tend, en effet, à séparer nettement chacune des « disciplines » qui formeront les sciences humaines, toutes issues de la philosophie : la psychologie, la sociologie et la linguistique. Dans le même temps, la linguistique cherche à définir clairement son objet et ses méthodes d’analyse. La notion de langue apparaît alors comme un concept fondamental. Ainsi, F. de Saussure* oppose langue et parole, E. Sapir* pattern (= structure) et réalité parlée. Ces deux linguistes apparaissent en effet comme deux « précurseurs » du structuralisme : ils ont posé avant 1925, et indépendamment l’un de l’autre, les questions qui feront l’objet des discussions théoriques et méthodologiques ultérieures.

F. de Saussure, à partir d’une critique approfondie des méthodes pratiquées en linguistique au xixe s., élabore dès 1900, devant ses disciples parisiens, puis genevois, une hypothèse théorique générale sur la nature du langage et sur son fonctionnement. De manière plus dispersée, E. Sapir entreprend, à partir de la riche matière que lui confère sa connaissance des langues indo-européennes et des langues amérindiennes, une réflexion qui rejoint celle de F. de Sausure.


Des principes théoriques et méthodologiques communs

On peut considérer comme fondamental le principe d’immanence selon lequel l’énoncé réalisé (ce qui fonctionne dans la communication) n’est analysable qu’à partir de ses propriétés internes. Celles-ci permettent de définir l’énoncé comme une « structure close », descriptible en tant que telle, en dehors de tout processus historique. Par exemple, ce qui fera l’objet de la description de l’océan berce les barques, ce sera, en premier lieu, l’ensemble des rapports qu’entretiennent entre eux les différents éléments : le, océan, etc. ; dans cette perspective, le linguiste ne s’intéressera pas au fait que l’élément océan provient du latin oceanus, lui-même lié au grec okeanos. Le principe d’immanence est lié ainsi à l’une des distinctions fondamentales posée par Saussure entre l’étude synchronique, qui « s’occupera des rapports logiques et psychologiques reliant des termes coexistants et formant système, tels qu’ils sont aperçus par la même conscience collective », et l’étude diachronique, qui « étudiera au contraire les rapports reliant des termes successifs non aperçus par une même conscience collective et qui se substituent les uns aux autres sans former système entre eux ».

Le principe d’immanence implique également la coupure théorique entre l’énoncé produit et les différents participants de la communication linguistique (les sujets d’énonciation). Cela signifie que l’énoncé ne peut être décrit à partir des motivations psychologiques du sujet parlant ou d’un contexte situationnel capable de rendre compte de la signification et de la structure de l’énoncé. Les écoles peuvent différer quant à l’insertion théorique des conditions de la communication à un certain niveau de la théorie linguistique, mais toutes, au départ, limitent volontairement leurs analyses à l’énoncé réalisé, coupé de ses conditions de production. On s’appuie alors sur un corpus constitué d’un ensemble d’énoncés réunis à partir de « locuteurs-informateurs » de la langue. Ce corpus doit répondre à un certain nombre de critères, dépendant de l’analyse que se propose le linguiste : conditions d’homogénéité, de représentativité par rapport à la communauté linguistique envisagée, définie elle-même géographiquement et/ou socialement de manière précise.

Le principe d’immanence est également sous-jacent à la distinction théorique entre langue et parole. Dans cette perspective, la parole est identifiable au corpus, tel qu’il a été défini précédemment. Autrement dit, il s’agit d’un « texte clos » sur lequel diverses procédures d’analyse pourront être appliquées afin de dégager les unités de la langue et les règles de combinaison de ces unités entre elles. Ainsi la langue apparaît-elle chez F. de Saussure comme la face « abstraite » (et homogène) de la réalité des actes de parole. Saussure donne dans le Cours de linguistique générale deux autres définitions du couple langue/parole : la langue est aussi « ce qui est social », par opposition à « ce qui est individuel » ; c’est encore « un fait de mémoire », par opposition au « fait de création » qu’est la parole. Mais c’est la première définition, mettant en relation « code » et « réalisation du code », qui a d’abord retenu l’attention. Aujourd’hui, les trois aspects de l’opposition langue/parole sont au centre d’un débat qui dépasse le cadre du structuralisme proprement dit.

La nature des unités linguistiques dégagées dérive également du principe d’immanence par l’introduction de la notion d’interdépendance entre les unités. Sans doute un des apports essentiels du structuralisme réside-t-il dans la formation du concept de valeur en linguistique. La valeur de l’unité linguistique n’est réductible ni à son aspect signifié (le concept : plan du contenu), ni à son aspect signifiant (l’image acoustique : plan de l’expression). Elle est liée à l’union de ces deux aspects, tous deux de nature psychique, ce qui permet d’opposer une unité à toutes les autres unités appartenant au même système linguistique. C’est dans ce sens qu’il est possible d’affirmer avec F. de Saussure que les unités linguistiques n’ont que des valeurs négatives : « Leur plus exacte caractéristique est d’être ce que les autres ne sont pas. »

Cela signifie que la délimitation des unités linguistiques ne peut être conçue comme l’énumération des entrées d’un dictionnaire qui associerait certaines « tranches de sons » à certaines « tranches de sens ». Ce n’est que par la comparaison des énoncés entre eux qu’il est possible de déterminer les unités les unes par rapport aux autres, selon leur fonctionnement à l’intérieur d’un système linguistique donné.

Dans l’exemple donné précédemment, l’océan berce les barques, l’unité océan n’est délimitable (ou segmentable) que par rapport à ses contextes, le, berce, et par rapport à d’autres unités susceptibles de lui être substituées dans le même contexte : par exemple le « vent » berce les barques.