Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

structuralisme (suite)

Le structuralisme américain

Deux courants de pensée se sont exprimés à l’intérieur du structuralisme américain. Le premier, celui qui est représenté par E. Sapir* dans Language (1921), est assez proche du structuralisme européen. Outre l’importance accordée à la description des langues amérindiennes, on doit noter ici l’hypothèse célèbre émise par E. Sapir et Benjamin Lee Whorf, concernant une possible structuration affective et intellectuelle de la pensée par la langue parlée dans une communauté linguistique donnée. Cette hypothèse, même si elle doit être nuancée, apparaît actuellement comme plus plausible que l’hypothèse classique, retenue par les romantiques, selon laquelle la langue d’un peuple est conditionnée par le « génie » propre à celui-ci (donc par une sorte de « pensée collective »).

La seconde tendance est représentée par L. Bloomfield* et les linguistes regroupés autour de la revue Language, organe fondamental de la linguistique structurale américaine, appelée plus tard, en raison de ses méthodes, linguistique distributionnelle.

La position de L. Bloomfield est très particulière par rapport au structuralisme européen.
1. Aucun des principes théoriques formulés par celui-ci n’est retenu explicitement (sinon la distinction entre étude synchronique et étude diachronique).
2. Il existe une prise de position très marquée par rapport à la théorie psychologique dominante (ce qu’évite la linguistique européenne). L. Bloomfield s’appuie en effet sur le béhaviorisme et se montre très hostile à toutes les tendances « mentalistes » ou « subjectivistes ». Le béhaviorisme représente en effet non seulement une psychologie du comportement, mais aussi une méthode scientifique. Dans cette perspective, la linguistique a sa place parmi les sciences du comportement humain. Le langage n’est qu’un type, essentiel certes, de comportement et doit être étudié dans le cadre que fournit le schéma de tout comportement : stimulus/réponse.

Comme dans la linguistique européenne, mais de manière encore plus explicite et impérative, c’est un ensemble d’énoncés réalisés par les « locuteurs-informateurs » qui servira de corpus pour l’analyse linguistique. Et ce sont les propriétés internes de ce corpus qui devront être dégagées par une analyse linguistique respectant parfaitement le principe d’immanence.

La prise de position en faveur du béhaviorisme a une autre conséquence : le signe linguistique n’est pas réellement pris en compte. En effet, il existe dans tous les cas des événements (ou des comportements) réels. Une séquence linguistique relève du domaine de l’expression (réelle) puisqu’il s’agit d’une suite phonique ; mais son sens (son contenu) peut être renvoyé au domaine du réel phénoménologique ; du même coup, l’analyse du contenu est renvoyée à d’autres sciences, chargées de décrire ce réel.

Dans cette conception, l’opposition entre langue et parole posée au départ dans la linguistique européenne n’existe pas. Seul existe le domaine de la parole, que le linguiste doit décrire à partir de principes méthodologiques très stricts : il s’agit d’obtenir « une représentation compacte, terme à terme, de l’ensemble des énoncés qui constituent le corpus » (Harris).

Outre l’observation de la distinction entre étude synchronique et étude diachronique, la linguistique distributionnelle repose sur les deux principes suivants :
1o les éléments linguistiques sont discrets, ce qui autorise la segmentation de la chaîne parlée en éléments plus petits ; 2o les énoncés linguistiques sont linéaires, ce qui permet d’étudier la distribution des éléments (discrets) les uns par rapport aux autres à l’intérieur de l’énoncé.

Dans cette perspective, l’école américaine est amenée, comme l’école fonctionnelle, à définir une hiérarchie de niveaux d’analyse.

Pour identifier les éléments à chaque niveau, on doit également opérer des segmentations à l’intérieur de la chaîne parlée à l’aide d’une procédure ne faisant pas appel au sens des énoncés. Pour cela, on comparera entre eux de nombreux énoncés du corpus, où certains éléments restent identiques, tandis que d’autres varient. Ultérieurement, on regroupera pour un même élément (qu’il soit phonologique, morphologique ou syntaxique) l’ensemble de ses distributions, ce qui permettra de le classer avec l’ensemble des autres éléments ayant une même distribution. Cette méthode, présente dès 1933 chez L. Bloomfield, trouve son achèvement dans Methods in Structural Linguistics de Z. S. Harris, publié en 1951.

Selon Harris, il est possible d’utiliser les mêmes procédures distributionnelles non plus sur des unités, mais sur des séquences d’unités, elles-mêmes définies en termes de classes.

Ainsi, on peut montrer que la classe Nom possède en français certains types d’environnement (par exemple une classe de déterminants à gauche) et qu’au moins une partie des adjectifs a sa distribution à droite de N. Dans la formule de phrase dét. N. Adj. V., on peut montrer que l’ensemble dét. N. Adj. constitue un groupe (constituant) dont la distribution est à gauche de V. On remarquera, ensuite, qu’on peut trouver aussi bien des phrases de formule dét. N. Adj. V. que dét. N. V. On dira alors que N. Adj. et N. ont la même distribution, ce qui permet de réduire le nombre des classes dans la formule de la phrase.

À la suite d’opérations de ce type, on peut également montrer que toute phrase française, de contour d’intonation neutre, peut être ramenée à deux constituants fondamentaux : N. V. ; chaque symbole pouvant représenter toute une suite de classe (par exemple N. = le petit garçon blond et V. = joue avec le ballon).

Étant donné qu’à ce niveau il n’y a plus de constituant intermédiaire entre P. (phrase) et N. V., on dira que la suite N. V. représente les constituants immédiats de la phrase. De l’exploitation de cette notion de constituants immédiats sont nées d’abord les premières grammaires structurales (dites également « syntagmatiques » ou « distributionnelles »), puis les premières transformations, considérées au début comme des modifications intervenant sur une phrase préalable de la forme N1 V. N2 (affirmative), sur laquelle, par exemple, peut être appliquée la transformation négative → N1 ne V. pas N2 ou la transformation passive → N2 V. p. passé par N1. C’est à partir de cette tentative qui visait à dépasser certaines des limites que s’était imposées la linguistique structurale, en abordant le problème de la phrase et des relations entre les phrases, qu’est apparue une critique du modèle structural lui-même quant à sa capacité de fournir une description totale des langues naturelles.