Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Strauss (Richard) (suite)

La Femme sans ombre (Die Frau ohne Schatten, 1919) s’étend sur trois actes. L’œuvre illustre une autre forme de baroquisme qui fait appel à deux univers différents : le féerique et le réaliste. Si, sur le plan musical, cet opéra est plus intéressant, plus lyrique surtout que son prédécesseur, son action, par contre, encombrée de mythes, de symboles, est assez hermétique ; d’où une certaine confusion de l’effet d’ensemble.

Dans Intermezzo (1924), Richard Strauss se met lui-même en scène dans ce qu’il a appelé une « comédie bourgeoise », qui a trait à une aventure réellement survenue dans sa vie intime : une confusion de noms alliée à une erreur de distribution postale déclenchera entre les époux Strauss une scène de jalousie qui, finalement, n’aura pas de conséquence. Dans Arabella (1933), c’est un père ruiné par le jeu qui, pour éviter de doter sa fille, décide de faire passer celle-ci pour un garçon ; d’où s’ensuivent des situations passablement scabreuses.

Quant à la Femme silencieuse (Die schweigsame Frau, 1935), il s’agit d’une adaptation par Stefan Zweig de la farce de Ben Jonson. Capriccio, pour sa part (1942), est présenté par le musicien comme une « conversation musicale » qui se déroule entre une jeune veuve et deux de ses soupirants, un musicien de tendance gluckiste et un poète, tenant pour Piccinni : allusion à la querelle qui agita la fin du xviiie s. français, ce qui motive le lieu de l’action et le style de la musique.

À considérer l’ensemble de son œuvre, Richard Strauss nous apparaît en premier lieu comme un maître de l’orchestration, qui a puisé ses enseignements chez Wagner et aussi chez Berlioz, à qui il a rendu hommage par la mise à jour, en 1909, de son Traité d’instrumentation, datant de 1844, en y faisant mention des nombreux perfectionnements réalisés depuis lors dans la facture instrumentale.

Pour ce qui concerne le langage musical, on ne peut dire que Strauss ait vraiment innové, ses audaces, ses dissonances ne s’intégrant pas (comme chez Wagner dans Tristan) en un tout cohérent. Toutefois, il palliera cette faiblesse de conception par une grande habileté à manier la citation musicale, à parodier (un peu comme le fit Stravinski à la même époque) les maîtres classiques, Mozart en particulier, et à exploiter une certaine forme de musique populaire, spécifiquement viennoise.

On notera également la curieuse évolution dessinée par sa pensée, d’abord nourrie de héros plus ou moins légendaires, d’aspirations philosophiques, métaphysiques par lesquelles il prolonge le romantisme, pour ensuite le dépasser par un expressionnisme violent. Et soudain, c’est une volte-face complète, orientée vers les sujets familiers, comiques, voire domestiques. Si bien que ce second Strauss apparaît presque comme un reniement du premier.

Compte tenu de ces données, Richard Strauss se profile dans l’histoire musicale comme un des grands compositeurs allemands chevauchant la fin du xixe s. et une bonne part du xxe.

Les principales œuvres de R. Strauss

Œuvres de jeunesse

De 1876 à 1886 : 2 quatuors, 1 symphonie, 2 concertos, 2 sonates.

Poèmes symphoniques

Aus Italien (1886). Don Juan (1888). Mort et transfiguration (Tod und Verklärung, 1889). Macbeth (1890). Till l’Espiègle (Till Eulenspiegels lustige Streiche, 1895). Ainsi parlait Zarathoustra (Also sprach Zarathustra, 1896). Don Quichotte (1897). Une vie de héros (Ein Heldenleben, 1898).

Œuvres lyriques

Guntram (1894). Salomé (1905). Elektra (1909). Le Chevalier à la rose (Der Rosenkavalier, 1911). Ariane à Naxos (Ariadne auf Naxos, 1912). La Femme sans ombre (Die Frau ohne Schatten, 1919). Intermezzo (1924). Hélène d’Égypte (Die aegyptische Helena, 1928). La Femme silencieuse (Die schweigsame Frau, 1935). Jour de paix (Friedenstag, 1938). Daphné (1938). L’Amour de Danaé (Die Liebe der Danae, 1940 ; 1re représ., 1952). Capriccio (1942).

Ballets

Les Feux de la Saint-Jean (Feuersnot, 1901). Crème fouettée (Schlagobers, ballet viennois, 1924).

Œuvres diverses

Sinfonia domestica (1903). Symphonie alpestre (Eine Alpensymphonie, 1915). Nombreuses œuvres chorales, ainsi que des œuvres de circonstance, comme Marche de parade pour la cavalerie (1905). Enfin, de 1882 à 1948, environ 150 lieder.

R. S.

 C. Rostand, Richard Strauss (La Colombe, 1949 ; nouv. éd., Seghers, 1964). / O. Erhardt, Richard Strauss, Leben, Wirken, Schaffen (Olten, 1953). / N. R. Del Mar, Richard Strauss. A Critical Commentary on His Life and Works (Londres, 1962 ; nouv. éd., Philadelphie, 1969, 2 vol.). / H. Kralik, Richard Strauss, Weltbürger der Musik (Vienne, 1963). / D. Jameux, Richard Strauss (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1971).

Stravinski (Igor)

Compositeur d’origine russe, naturalisé français, puis américain (Oranienbaum, près de Saint-Pétersbourg, 1882 - New York 1971).



Les premières années

Son père, Fedor Ignatievitch Stravinski (1843-1902), chanteur de grand renom appartenant à l’Opéra impérial de Saint-Pétersbourg, incarnait, grâce à sa grande culture, des rôles absolument opposés, tantôt comiques, tantôt dramatiques. Sa famille, cossue, avait sa résidence d’été à Oranienbaum, proche de la capitale des tsars.

C’est dans ce cadre confortable que naît Igor Fedorovitch le 18 juin 1882. Dès son jeune âge, le bambin respire une atmosphère tout imprégnée de musique, que ce soient les chants folkloriques des villageois d’Oranienbaum ou, durant les longs hivers de Saint-Pétersbourg, la savante musique d’opéra qui lui parvient par bribes dans sa chambre d’enfant.

Ses études de piano, commencées à neuf ans, progressent rapidement et, très tôt, le jeune Igor peut se plonger avec passion dans la lecture des partitions lyriques. Au lycée, en revanche, il travaille sans conviction et prend beaucoup plus d’intérêt à ses travaux personnels, improvisation, composition, s’efforçant ainsi d’acquérir par lui-même la technique du compositeur. Il n’accorde guère d’attention aux procédés établis, considérant déjà toute composition nouvelle comme « un problème à résoudre ». Attitude fondamentalement caractéristique de son métier de musicien et qu’il conservera toute sa vie. Il ressent toutefois la nécessité de prendre les conseils d’un maître ; et, grâce à son amitié avec le fils de Rimski-Korsakov*, il entre en contact avec l’auteur de Snegourotchka, l’idole de la jeunesse russe. Plusieurs œuvres sont écrites sous l’égide de Rimski : le Faune et la Bergère (chant et orchestre, texte de Pouchkine, 1905-06), deux mélodies en 1907 et, la même année, la symphonie en mi bémol. Œuvres conventionnelles, attestant, sans plus, d’un bon métier académique.