Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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sociométrie (suite)

En combinant les réponses sélectives aux réponses perceptives, on dégage dix catégories possibles de dyades (ou paires), dont la fréquence relative est très inégale, mais dont l’équilibre au sein des groupes paraît obéir à certaines lois de distribution et de substitution. On trouvera à la page suivante la liste de ces dix modes de relations dyadiques avec leurs représentations vectorielles sous forme de tableau.


Dans la perspective du groupe pris comme un tout

L’analyse sociométrique permet de découvrir certaines structures collectives et d’apprécier, du moins partiellement, le degré de cohésion. Il s’agit, notamment, de dégager au sein du groupe l’absence ou la présence de clivages pouvant engendrer des « clans » étrangers ou rivaux.

Cette recherche peut être conduite de deux manières :
— soit à partir d’une hypothèse préalable, présumant une tendance des sujets à s’attirer en fonction de certaines caractéristiques communes (par exemple, dans des groupes non homogènes, en fonction du sexe ou de l’âge, ou encore des intérêts ou des idéologies) ;
— soit en l’absence d’hypothèse et dans des groupes apparemment homogènes, en recourant à des procédés matriciels complexes, visant à dégager des préférences au deuxième ou au troisième degré. À ce niveau, la sociométrie tend à se prolonger en une analyse plus large des structures de communication et des systèmes d’ordination. Divers travaux ont montré que plus l’interaction est harmonieuse au sein d’un groupe, plus la distribution des choix (et des rejets) apparaît homogène ; inversement, la concentration de ceux-ci sur un petit nombre d’individus correspond à un degré de faible cohésion, car de fortes inégalités dans les statuts sociométriques tendent à susciter des tensions entre préférés et négligés. L’établissement de courbes de distribution des statuts pourrait donc constituer une mesure significative de la cohésion. Par ailleurs, il ne faut pas confondre le degré de cohésion globale et le nombre de choix réciproques. À la limite, tous les membres d’un groupe pourraient être impliqués dans des associations par paires simplement juxtaposées, sans qu’il y ait entre elles aucune relation transversale.


Les sociogrammes

La plupart des facteurs et des résultats précédemment évoqués se prêtent à des représentations graphiques : les sociogrammes. Selon que l’on s’intéresse à la situation sociométrique de tel ou tel sujet ou à celle de l’ensemble du groupe, on établira des sociogrammes individuels ou collectifs.

Les premiers consistent en une sorte de constellation où chaque sujet apparaît au centre d’une roue possédant autant de rayons qu’il existe de compagnons ; chaque rayon contient les symboles vectoriels appropriés, et l’ordre des sujets est standardisé (méthode de la « roue », établie par Jean Maisonneuve en 1962). Ce mode de représentation, qui correspond à la notion morénienne d’« atome social », constitue la base même d’un diagnostic de sociabilité.

Il permet, en effet, une comparaison systématique des constellations personnelles et de leur évolution dans le temps (fig. 2).

Les sociogrammes collectifs permettent de représenter à la fois la variété des statuts, les choix réciproques et toute la chaîne des relations avec ses clivages éventuels. La méthode graphique est celle de la « cible ».

Cette méthode est due à M. Northway (1952). Il s’agit de répartir les sujets dans quatre zones concentriques, selon leurs scores sociométriques, en tenant compte des seuils de probabilité d’occurrence pour la popularité et l’isolement. Ce procédé fournit en quelque sorte la radiographie socio-affective du groupe, qu’il s’agira ensuite d’interpréter (fig. 3).


Résultats et problèmes d’interprétation

S’il paraît abusif de suivre Moreno dans sa conception d’un système sociométrique quasi coextensif à l’ensemble de la psychosociologie, on doit admettre que le bilan de la sociométrie est important.

D’une part, en tant qu’apport intrinsèque à la connaissance de l’homme en groupe, non seulement la sociométrie permet l’étude clinique approfondie de collectivités particulières, mais elle dégage certains « modèles » de portée générale en recourant à des procédures statistiques plus ou moins raffinées. Parmi les normes les plus frappantes, il faut citer celles qui concernent la répartition et la fréquence des différents types de dyades indiqués sur le tableau. Les recherches, effectuées sur un très grand nombre de groupes, révèlent, en effet :
— que l’ensemble des trois dyades unilatérales, choix sans espoir, attente de choix illusoire et choix avec attente illusoire (consistant à projeter chez autrui sa propre attitude), constitue toujours à peu près les deux tiers du nombre total de relations dyadiques au sein d’un groupe ;
— que la proportion de dyades harmoniques parfaites (choix et attentes réciproques des partenaires) varie entre 10 et 20 p. 100 de ce total ; mais, même grossie par les deux autres types de dyades denses, cette proportion n’excède presque jamais 30 p. 100, soit un tiers.

Quant aux dyades bipartielles, leur montant reste toujours très faible (de 0 à 10 p. 100 du total).

Ces normes paraissent bien, hélas !, confirmer les difficultés de la communication affective entre les êtres si souvent évoquées par les romanciers.

En outre, il faut souligner la relative instabilité de la composition des dyades au cours du temps, puisque 20 p. 100 seulement d’entre elles subsistent intégralement d’un test à l’autre (essentiellement il est vrai, les dyades denses), tandis que d’autres relations surgissent ou s’effacent.

D’autre part, en dehors de ces résultats, l’enquête sociométrique intervient très fréquemment au cours de recherches d’ensemble sur les processus de sociabilité pour mettre en relation ses résultats avec diverses variables d’ordre sociologique ou psychologique ; mais, au-delà des corrélations observées, l’objectif ultime est l’interprétation du jeu des affinités, des distances ou des conflits qui régissent l’intégration des sujets et la cohésion des groupes.