Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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sociologie (suite)

En 1973, l’IKSI se transforme en ISI (l’Institut de recherches sociologiques) et change de direction : des centres sociologiques très actifs fonctionnent à travers l’Union soviétique et surtout dans des villes telles que Sverdlovsk, Gorki, Kazan, Perm, Oufa, Kiev, Minsk, Tbilissi, Tallin, Tachkent, Leningrad, Novossibirsk. Outre les institutions universitaires ou académiques, il existe de nombreux laboratoires de sociologie auprès des organismes sociaux et politiques (dans les syndicats, au comité central du Komsomol ou dans le comité central du parti).


Financement de la recherche

En U. R. S. S., la recherche est financée soit par l’État, si elle entre dans le programme d’un institut dépendant de l’Académie des sciences, soit par un commanditaire si elle fait l’objet d’une demande spéciale, émanant par exemple d’une entreprise ou d’une administration. D’une manière générale, les moyens mis à la disposition des chercheurs sont considérables, et cela d’autant plus que l’étude demandée se trouve dans le programme de recherches prévu par le Plan.


Les thèmes de recherches et les hommes

Bien qu’aujourd’hui on puisse constater que la recherche a commencé de s’attaquer à la plupart des domaines, depuis la sociologie économique jusqu’à celle du théâtre, il y a des secteurs privilégiés par les chercheurs.

Plusieurs études concernent le travail industriel, l’organisation de l’entreprise et la mobilité de la main-d’œuvre, le développement des relations sociales dans la ville et à la campagne, la différenciation sociale, la sociologie de la famille et des groupes, du budget-temps et enfin les modes de vie. C’est sans doute la sociologie de la science qui se taille la part du lion. Par contraste, certains domaines d’études — ceux de la personnalité, des loisirs ou de la culture — commencent seulement à être défrichés : on peut en dire à peu près autant du vaste champ de la sociologie de l’éducation. Il y a même des secteurs qui restent encore quasiment inexplorés, soit que nulle demande ne vienne susciter la curiosité des chercheurs, soit que certains sujets tabous ne puissent faire l’objet d’une problématique sociologique (c’est le cas d’une partie de la sociologie politique).

La grande majorité des chercheurs actuellement en activité sont venus à la sociologie secondairement après avoir été formés dans le cadre d’une autre discipline et plus particulièrement de l’histoire, de l’économie ou de la philosophie. Cela s’explique aisément, compte tenu du fait qu’on ne trouve en U. R. S. S. même à présent que trois chaires de sociologie ; cette discipline ne dispose en propre ni d’une faculté ni même d’une section : c’est seulement en 1972, lors d’une réunion des sections de philosophie et de droit de l’Académie des sciences, qu’on a décidé :
— d’introduire dans les facultés de philosophie et autres sections spécialisées « dans le communisme scientifique » une spécialisation de recherches appliquées en sociologie ;
— de créer les chaires de méthodologie et recherches sociologiques techniques ainsi que de former un certain nombre de sociologues économistes dans certaines institutions d’études économiques supérieures comme l’Institut d’ingénieurs-économistes de Moscou, l’Institut d’économie et finances de Leningrad, etc.

La grande armée de sociologues en activité actuellement (signalons que l’Association des sociologues comptait, en 1972, 1 500 membres individuels et 500 membres collectifs) a été formée sur le tas.

On signalera quelques noms parmi d’autres : G. V. Ossipov (sociologie générale, organisation et propagation de la sociologie), Y. A. Levada (sociologie générale), V. N. Choubkine (sociologie de l’éducation), I. S. Kon (histoire de la sociologie et personnalité), B. A. Grouchine (sociologie des loisirs et de l’opinion publique), F. M. Bourlatski (sociologie politique), A. G. Khartchev (sociologie de la famille), O. I. Chkaratan (sociologie de la science et des classes sociales), I. V. Aroutiounian (sociologie rurale), V. A. Iadov (psychosociologie et sociologie du travail), M. N. Routkevich (mobilité sociale et stratification), T. I. Zaslavskaïa (sociologie rurale et migration), G. M. Andreïeva (sociologie générale), F. I. Borodkine (migration et méthodes mathématiques), A. G. Zdravomyslov (sociologie industrielle et théorie sociologique), Bestoujevlada.


La spécificité de la sociologie soviétique

Il est de première nécessité pour une sociologie qui se veut socialiste de se poser en s’opposant à la pratique sociologique telle qu’elle existe dans les pays capitalistes, et cela pour la raison simple que, dans un régime économique qui récuse le marxisme, toute sociologie est fatalement l’expression idéologique des rapports réels entre classes antagonistes. En quoi la sociologie socialiste diffère-t-elle de la sociologie bourgeoise ? Elle n’en diffère pas par ses méthodes, car ici et là on se sert des mêmes outils en ce qui concerne la recherche empirique. Cette différence, elle doit être cherchée dans les bases théoriques de cette discipline et dans son application.

En effet, la première caractéristique de la sociologie soviétique, c’est son « empirisme pratique ». D’une manière générale, la sociologie empirique travaille pour répondre à une demande sociale précise. Ce souci est si conscient chez le chercheur qu’on voit couramment des livres se terminer en ordonnance, et il est de fait que le sociologue travaillant en U. R. S. S. peut voir les conclusions de son travail directement traduites en réformes (il faut signaler par ailleurs que ce n’est pas une simple coïncidence qui fait que la recherche empirique bat son plein au moment même où on se met à exalter la rationalité économique, à prôner la gestion scientifique de tous les secteurs d’activité, sociale et politique).

La deuxième caractéristique, et c’est même celle-ci qui fait toute la différence entre la sociologie soviétique et la sociologie occidentale, concerne les deux fondements théoriques de la première, qui sont d’ailleurs constamment invoqués pour justifier la distinction entre l’empirisme aveugle (c’est-à-dire occidental) et l’empirisme raisonné (c’est-à-dire celui qui est pratiqué en U. R. S. S.).