Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

sociologie (suite)

À l’heure actuelle, trois facteurs au moins font l’union entre toutes les sociologies particulières pratiquées dans l’Europe de l’Est :
— l’orientation pratique des recherches, le sociologue devant avant tout répondre à la demande précise et tirer de ses études des conclusions ayant une utilité pratique ;
— la priorité donnée aux études sur la transformation des rapports sociaux sous l’influence de la nouvelle réalité ;
— la subordination à la doctrine marxiste et plus exactement à la théorie unificatrice dans le domaine de la croissance sociale, qu’est le matérialisme historique.

Les différences cependant sont elles aussi au nombre de trois et découlent de :
— différences dans les traditions théoriques auxquelles se réfèrent les sociologies particulières ;
— différences dans la perception de la fonction de la sociologie, dans la formation des sociologues et dans la conception de la sociologie en tant que discipline scientifique ;
— différences dans le développement des rapports sociaux de chacun de ces pays en particulier, et par là même dans l’objet de l’analyse sociologique.


Les avatars de la sociologie socialiste

La Russie tsariste avait déjà une tradition sociologique : les écrits du populiste Nikolaï Konstantinovitch Mikhailovski (1842-1904), du positiviste Maksim Maksimovitch Kovalevski (1851-1916), sans parler des marxistes Plekhanov, Boukharine* ou Lénine*, gardent leur importance aujourd’hui. C’est en 1916 que se constitue en Russie l’association sociologique dont le secrétaire était P. A. Sorokin*. Jusqu’aux années 1930, la révolution soviétique non seulement reconnut le droit à l’existence des sociologues, mais plaça en eux de grands espoirs. Les années 1920 voient éclore une floraison d’enquêtes dont le sens général est d’apprécier la portée des bouleversements apportés par la révolution dans la plupart des domaines de la vie économique, politique et culturelle. Déjà on voit l’analyse sociologique adopter des orientations pratiques : « Aucune décision politique ou économique ne doit être prise sans étude préalable. L’objectif de toute recherche est d’aider les dirigeants et les planificateurs à bien accomplir leurs tâches. » Ainsi le sociologue se voit-il investi d’une double mission : d’une part, il doit faire le bilan des résultats sociaux obtenus par la transformation radicale introduite dans les modes de propriété et de gestion ; d’autre part, il est supposé fournir des conseils avisés sur les mesures à prendre pour que la nouvelle société fonctionne harmonieusement.

Les plus connus parmi les travaux de cette période sont sans doute : la grande recherche de Sorokin sur la famille ; l’étude des transformations des modes de vie menée sous la direction de S. G. Stroumiline ; les études de A. I. Todorski sur les changements sociaux dans la région de Vessiegonsk ; les travaux sur les problèmes sociaux de la collectivisation de V. S. Nemtchinov, A. V. Gaïster et N. A. Ianissimov ; les recherches de psychologie sociale de Lev Semenovitch Vygotski ; enfin les études sur les méthodes et les techniques de recherches sociales de E. G. Vassilevski.

À partir de 1926, le domaine ouvert à l’investigation sociologique s’amenuise comme une peau de chagrin. Tout se passe comme si les effets de cette prise de conscience réflexive par la société étaient apparus trop dangereux. Encore quelques enquêtes sur les budgets-temps et sur les premiers effets de la collectivisation, et puis plus rien.

Les années 1930 voient disparaître presque totalement la recherche proprement sociologique, laquelle cède la place à une pure et simple diffusion de la doctrine. Il faut attendre les secousses politiques de 1956 pour que la sociologie puisse sortir de cette léthargie, mais ce n’est qu’après quelques années qu’elle retrouva légitimité et crédibilité. (Notons que, en cela, la situation polonaise, par exemple, est bien différente : les sociologues de ce pays récupérèrent une place privilégiée dès l’automne de 1956 ; cela s’explique sans doute par le fait que la libéralisation du régime fut plus nettement poussée par l’« octobre polonais » qu’elle ne le fut ailleurs ; mais cela tient aussi à d’autres facteurs, particuliers à la Pologne : un ostracisme plus court [de 1949 à 1955] et l’existence d’une école sociologique cohérente, dont les membres, souvent de renommée internationale, étaient immédiatement disponibles pour prendre en main les laboratoires de recherche et y former des équipes de chercheurs.) Il faut en fait attendre les années 60 pour voir se développer substantiellement la vague de la recherche empirique.

Les possibilités réelles, car institutionnelles, sont offertes à la sociologie soviétique lors de la création en 1960, dans l’Institut de philosophie de l’Académie de sciences de l’U. R. S. S., d’un premier Institut central de sociologie ainsi que d’une multitude de laboratoires sociologiques et psychosociologiques dans les universités de Moscou, de Leningrad, de Novossibirsk, de Sverdlovsk, de Perm, d’Oufa. En 1966, on crée dans le présidium de l’Académie des sciences un conseil scientifique sous la direction d’un membre de l’Académie, Alekseï Matveïevitch Roumiantsev. Ce conseil a pour tâche la coordination des recherches réalisées dans les instituts de l’Académie des sciences et la coopération étroite avec les laboratoires sociologiques du ministère de l’Éducation supérieure et celui de l’Éducation secondaire professionnelle ainsi qu’avec les divers organismes sociaux. C’est après le XIIIe Congrès du parti communiste de l’Union soviétique que les recherches sociologiques acquièrent la bénédiction officielle des diverses instances de l’État et du parti.

En 1968 est créé à Moscou l’IKSI (Institut des recherches sociologiques concrètes) avec une section à Leningrad. La direction de cet institut est animée par A. M. Roumiantsev. L’institut remplit une double fonction : recherche et enseignement de doctorat. Il comporte plusieurs départements.