Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Singapour (suite)

La renaissance de Singapour comme grand carrefour maritime date de 1819. Obligé de rendre Java aux Pays-Bas, sir Thomas Stamford Raffles, replié à Bengkulu, dernière base occupée par les Anglais à Sumatra, se préoccupait de trouver un nouveau site favorable à l’implantation du commerce britannique ; cette année-là, le capitaine Daniel Ross, hydrographe de la marine des Indes, attira son attention sur la rade de Singapour, et un accord fut bientôt signé avec les petits princes du lieu, Sultan Hussein (Ḥusayn) et Temenggong Abdul-Rahman (‘Abd al-Raḥmān). Un nouveau traité (1824) céda à perpétuité le territoire de l’île entière à la Compagnie anglaise des Indes orientales. Les débuts de la nouvelle ville furent très rapides : alors qu’il n’y avait guère que quelques centaines d’habitants en 1819, on en comptait déjà 10 000 en 1824. Pour une très grande part, les nouveaux arrivants étaient des Chinois, marins, marchands et coolies, qui espéraient faire fortune et profiter de la protection britannique.

Le trafic portuaire se développa régulièrement, d’abord avec l’avènement de la marine à vapeur (création, en 1845, par la Peninsular and Oriental Steam Navigation Company, d’un service mensuel régulier entre Bombay et Hongkong), puis avec l’ouverture du canal de Suez (1869). À côté de ses bassins de radoub, Singapour aménagea des chantiers navals ; le Ranee, premier steamer construit sur place, prenait la mer en 1848. L’arrière-pays fut aménagé peu à peu, et des routes furent ouvertes dans la forêt, qui couvrait l’île (Changi Road, Jurong Road, tracées entre 1840 et 1850). Dès 1834, un Américain, J. Balestier, introduisait la culture de la canne à sucre (sans grand succès). Administrée au début par un résident (William Farquhar), la ville fut associée à Penang et à Malacca pour former les « Straits Settlements » (1826) ; en 1837, le gouverneur, primitivement installé à Penang, vint y résider. En 1867, les Straits Settlements devinrent une colonie dépendant du Colonial Office, et, lorsque les Britanniques commencèrent à intervenir dans les affaires des États malais de la péninsule, Singapour leur servit de tête de pont.

Pendant les premières décennies du xxe s., la ville profita considérablement de l’essor économique de la péninsule, dont elle était le débouché, ainsi que du développement des échanges en Asie du Sud-Est, dont elle devint comme la plaque tournante. Des plantations d’hévéas furent aménagées dans l’île, et les Anglais firent de gros travaux pour agrandir les ports et pour les défendre en cas de guerre. Comme jadis Malacca, Singapour apparaissait comme la place forte de la présence européenne en Asie du Sud-Est. Toutefois, faute d’une flotte suffisante pour se défendre, la ville tomba dès le début de la guerre du Pacifique ; les Japonais, qui avaient pris pied dans le Nord, en péninsule, l’amenèrent à reddition dès le 15 février 1942.

L’administration civile anglaise fut rétablie en 1946, et Singapour considéré comme une colonie de la Couronne distincte de l’Union malaise. Cependant, les premières élections eurent lieu en 1948, et l’autonomie interne fut accordée en 1959. Dès ce moment, ce fut le parti d’action populaire (People’s Action Party) de Lee Kuan Yew (né en 1923) qui obtint la vedette et s’installa au pouvoir. Du 16 septembre 1963 au 9 août 1965, Singapour a lié de nouveau son sort à celui de la péninsule en devenant l’un des quatorze États de la Fédération de Malaysia*. Toutefois, la politique du gouvernement de Kuala Lumpur, qui cherchait à favoriser sensiblement la population malaise, ne pouvait agréer longtemps à Singapour, dont la population est aux trois quarts chinoise. En 1965, par agrément mutuel, l’État de Singapour est sorti de la Malaysia pour former désormais une république indépendante, avec un président à sa tête et un représentant à l’O. N. U.

D. L.

➙ Indonésie / Malaysia.

 H. J. Marks, The First Contest for Singapore, 1819-1824 (La Haye, 1959). / C. B. Buckley, An Anecdotal History of Old Times in Singapore (Kuala Lumpur, 1962). / R. C. H. McKie, The Emergence of Malaysia (New York, 1963). / Song ong Siang, One Hundred Year’s History of the Chinese in Singapore (Singapour, 1967). / A. J. G. Papineau, Guide to Singapore (Singapour, 1970). / J. Dupuis, Singapour et la Malaysia (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1972). / M. Talabot, Singapour, troisième Chine (Laffont, 1974).

Singer (Isaac Bashevis)

Écrivain américain d’expression yiddish (Radzymin, Pologne, 1904).


S’il emprunta le prénom de sa mère, ce fut pour se distinguer de son frère aîné, Israel Joshua Singer (1893-1944), qu’il rejoignit en 1935 aux États-Unis, et se faire un nom en littérature. Son frère avait, en effet, par ses romans, marqué un tournant dans la littérature yiddish, s’affirmant comme un des maîtres de l’expressionnisme et comme un peintre particulièrement vigoureux de la vie juive en crise : crise religieuse (Yoshe Kalb, 1932), crise économique (les Frères Ashkenazi, 1936), crise intellectuelle et idéologique (le Camarade Nakhman, 1938).

Isaac Bashevis se fait d’abord connaître par ses traductions (particulièrement celle de la Montagne magique de Thomas Mann) et se révèle un chroniqueur littéraire (au Forward notamment) et un journaliste de talent. Mais, s’il publie sous des pseudonymes divers des reportages et des feuilletons qu’il trouve indigne d’avouer, son œuvre qu’il reconnaît se signale par le charme d’une langue souple, teintée parfois d’archaïsmes et qui garde la variété et la vigueur du langage parlé. Son premier roman, paru en yiddish en 1935, peint la Pologne juive de 1666, en quête du Messie annoncé : avec subtilité et humour, il montre le mysticisme glissant vers l’érotomanie, le stigmate du péché disparaissant dans l’abandon à la luxure. Il paraîtra, avec succès, en américain (Satan in Goray) en 1955 et en français (la Corne du bélier) en 1962.

Désormais, Isaac Bashevis ne cessera de vivre et d’écrire dans la Pologne de son imagination. L’Esclave (1962) est le récit des amours d’un Juif et d’une Polonaise rejetés tous deux par leurs communautés respectives et qui se retrouvent, dans le cimetière nouveau, unis par-delà la mort. La Famille Moskat (1950), le Magicien de Lublin (1959), le Dernier Démon (Short Friday, 1964), le Confessionnal (In my Father’s Court, 1966), Une histoire de paradis (Zlatch the Goat and Others Stories, 1966), le Manoir (1967, écrit en 1953-1955), tous ses romans et ses nouvelles sont parcourus de personnages hauts en couleur, de démons et de lutins qui égaient ou inquiètent les quartiers juifs de la Pologne de la fin du siècle dernier à la veille de la Seconde Guerre mondiale.