Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Singapour (suite)

Les Tamouls sont engagés surtout dans le commerce ; les Pendjabis musulmans ou sikhs fournissent les petits fonctionnaires d’autorité, les gardiens ; tous vivent dans le centre de la ville. Les Malais, au contraire, vivent en zones peu urbanisées, où ils ont construit leurs kampungs, d’aspect rural, aux maisons sur pilotis dissimulées au milieu des arbres. En dépit de leur prépondérance, les Chinois s’efforcent de laisser à Singapour un aspect pluriracial : beaucoup d’inscriptions sont en malais ; la radio émet en anglais, en malais, en tamoul, de même qu’en chinois officiel (mandarin) et dans les quatre dialectes chinois du Sud.

La population est presque entièrement alphabétisée, et la jeunesse scolarisée. Les maladies tropicales ont été en grande partie éliminées (notamment le paludisme), et l’équipement sanitaire est bon ; grâce aussi à la jeunesse de la population, le taux de mortalité est très bas. Une politique de contrôle des naissances a fait baisser la natalité, autrefois très élevée, de 38 p. 1 000 en 1960 à 23 p. 1 000 en 1970. La croissance naturelle a été ainsi abaissée de 32,4 p. 1 000 à 17,8 p. 1 000, ce qui rend un peu moins angoissant le problème de l’emploi.

La densité de la population, au niveau du nouvel État, dépasse en effet 3 500 habitants au kilomètre carré. La population est à peu près entièrement urbaine ou urbanisée (les terrains à bâtir couvrent 33 000 ha, et les terres agricoles 13 000 ha). Le secteur primaire ne représente que 8 p. 100 des emplois, et l’agriculture est de type « grande banlieue » : hévéas et cocotiers ont presque disparu au profit des cultures maraîchères et de l’élevage (élevage laitier, porcs, volailles) ; seul l’ananas subsiste comme culture d’exportation. Le problème de l’emploi est conditionné par le commerce et l’industrie.


L’activité portuaire et l’industrie

L’activité portuaire repose sur deux organismes portuaires différents. Keppel Harbour, au sud de l’île, est le port proprement dit : il peut accueillir des navires de 12 m de tirant d’eau et possède des entrepôts. Les Singapore Roads (Inner Roads, protégés par un môle, et Outer Roads), au sud-est de l’île, sont un mouillage où les navires séjournent gratuitement et sont déchargés par sampans et jonques, ce qui est possible sous un climat calme comme celui de Singapour. En 1973, le trafic a atteint 61 Mt, dont 22,7 Mt de marchandises embarquées et 38,3 Mt de marchandises débarquées.

Le port est encore, en partie, le port classique d’entrepôt et de distribution. Singapour collecte toujours une grande partie de la production de la Malaysia et de l’Indonésie, et l’entrepose pour la vendre dans le monde entier. C’est ainsi qu’en 1970 il a importé 306 000 t de feuilles de caoutchouc et 34 500 t de latex centrifugé, et exporté 463 000 t de feuilles de caoutchouc et 42 000 t de latex. Ce trafic porte aussi sur le coprah, l’huile de coco, l’huile de palme (140 000 t importées, 133 000 t exportées), le poivre, et l’étain ; Singapour est le grand marché du caoutchouc naturel. Mais le commerce d’entrepôt porte aussi sur les produits manufacturés importés d’Europe, d’Amérique et du Japon, et redistribués dans toute l’Asie méridionale, jusqu’aux Philippines, où Singapour rencontre la concurrence de Hongkong : ce rôle d’entrepôt des produits manufacturés est en très grand progrès. Singapour a pu jouer ce rôle considérable parce qu’il est un port franc et, de surplus, particulièrement économique, mais aussi parce qu’il y existe une classe commerçante dynamique, formée de courtiers. Plus récemment, le port, grâce à la présence de puissantes raffineries, est devenu importateur de pétrole brut et exportateur de produits raffinés. À ce rôle traditionnel s’ajoutent les importations de produits alimentaires nécessaires à la consommation intérieure (riz, poisson, sucre). Enfin, Singapour a été aussi une puissante base navale britannique.

L’activité industrielle a longtemps été une dépendance du port : chantiers navals et arsenal, raffinerie d’étain (aujourd’hui fermée), rizeries et scieries, ateliers de traitement du caoutchouc. De ce type aussi sont les grandes raffineries. Le fait nouveau est, depuis 1965, le développement industriel largement indépendant de l’activité portuaire traditionnelle et fondé essentiellement sur la présence d’une main-d’œuvre nombreuse, habile et bon marché : industries textiles (coton, fibres artificielles), chaîne de montage Ford, industries chimiques, fabriques de meubles ; un des cas les plus remarquables est la toute récente création d’une usine de montage d’appareils photographiques, les pièces détachées venant d’Allemagne. Les petites entreprises (moins de 100 ouvriers) emploient encore 40 p. 100 de la main-d’œuvre. Les principales usines sont situées à l’ouest (Jurong) et au nord (Bukit Timah) de la City.

Le centre de la ville s’individualise avec ses édifices publics, ses banques, ses villas et ses parcs (Botanic Gardens) ; il garde un aspect européen de part et d’autre de la rivière de Singapour. Il est entouré par les principaux quartiers chinois (Rochore au nord et Chinatown au sud). Ce noyau urbain, qui correspond à la City, ne se développe plus guère : la densité de population y a baissé de 25 000 à 15 000 habitants au kilomètre carré. La City a perdu pratiquement son autonomie administrative, et sa part dans la population totale diminue. Par contre, l’urbanisation gagne toute l’île, avec des villes satellites comme Queenstown (150 000 hab.). Tout l’ensemble est, d’ailleurs, desservi par un remarquable réseau de transport.

Grâce à l’industrie, l’État de Singapour a triomphé de la crise que faisait craindre la fermeture de la grande base navale britannique. Il est resté très actif, et ses habitants ont le niveau de vie le plus élevé de l’Asie du Sud-Est.

J. D.


L’histoire

L’île de Singapour, admirablement située à la pointe méridionale de la péninsule malaise, à proximité du détroit de Malacca, de la côte orientale de Sumatra et de l’archipel de Riau, fut le site d’un comptoir maritime (primitivement appelé Tumasik) dès le xive s. Les Annales malaises racontent que ce fut un certain Sang Nila Utama, descendant d’Alexandre le Grand, qui, rencontrant dans cette île un animal extraordinaire qu’il prit pour un lion, donna à la ville qu’il voulait fonder le nom de Singa-pura (« Ville du lion »). Le port profita de l’essor de l’empire sumatranais de Śrīvijaya, puis déclina après une attaque javanaise à la fin du xive s. Obligé de s’enfuir, le prince de l’île se réfugia à Malacca (Malaka) et y fonda le célèbre sultanat qui fut le carrefour de l’Asie du Sud-Est jusqu’au début du xvie s.