Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Sinclair (Upton) (suite)

La Jungle est d’abord un reportage et un cahier de doléances. Sinclair dénonce les cadences infernales, l’absence d’hygiène, de sécurité, la toxicité des conserves, les hommes tombés dans les malaxeurs et transformés en « corned-beef ». Best-seller de l’année, traduit en dix-sept langues, la Jungle déclenche un mouvement tel que Sinclair est reçu à la Maison Blanche. Une vague de réformes s’étend à toutes les industries. La lutte de la démocratie américaine contre le capitalisme sauvage est engagée. « J’avais visé le cœur et j’ai touché l’estomac de la nation », écrit Sinclair. Reportage à sensation, la Jungle est aussi un roman de missionnaire. Il manque de finesse, mais son souffle transforme le message social en épopée romantique. Ce roman à la Zola est le plus puissant des romans à thèse, une sorte d’allégorie naturaliste, où le puritanisme affleure. Au début du roman, Jurgis, le héros, est un homme naturel, un « bon sauvage ». Mais l’ingénu est brisé par le capitalisme. Invalide, chômeur, il voit sa femme se prostituer. Il frappe un contre-maître et retourne, d’un mouvement anarchiste, se réfugier dans la nature. Converti au socialisme, il retourne militer en ville et annonce la révolution pour 1912.

Le reste de la vie de l’écrivain est un long combat. Sinclair milite, est arrêté, se porte candidat au poste de gouverneur de Californie. Il écrit surtout des romans de combat. En 1908, The Metropolis attaque la haute société new-yorkaise. Puis Sinclair dénonce les banquiers (The Money Changers, 1908), les maladies vénériennes (Sylvia’s Marriage, 1914), l’industrie des mines (King Coal, 1917), la religion (The Profits of Religion, 1918), les journaux (The Brass Check, 1919), les pétroliers (Oil !, 1927). Il milite pour l’émancipation des femmes (Sylvia, 1913), le pacifisme (Jimmy Higgins, 1919). Il compose des traités de diététique (la Vie naturelle, le Jeûne), condamne l’alcoolisme (The Wet Parade, 1931), finance le voyage au Mexique d’Eisenstein. De 1939 à 1949, pour illustrer sa conception de l’Histoire, il compose une série de onze romans, le « cycle de Lanny Budd », embrassant l’histoire du monde de 1914 à 1940 en 7 364 pages. Il y a quelque chose de grand et de burlesque chez cet infatigable lutteur utopique. Ce n’est ni un intellectuel, ni un grand romancier ; ce n’est pas non plus un politique averti. Mais c’est un exemple du mélange d’esprit religieux et d’esprit démocratique si caractéristique de cette vitalité américaine qui nourrit son optimisme de ses échecs et de ses défauts mêmes. Cet enfant terrible est un citoyen exemplaire de l’Amérique, qui croit à la contestation parce qu’elle croit au progrès.

J. C.

 C. Arnavon, Histoire littéraire des États-Unis (Hachette, 1953). / W. B. Rideout, The Radical Novel in the United States, 1900-1954 (Cambridge, Mass., 1956 ; nouv. éd., 1966). / U. B. Sinclair, Autobiography (New York, 1962). / J. Cabau, la Prairie perdue. Histoire du roman américain (Éd. du Seuil, 1966).

Singapour

État de l’Asie du Sud-Est.


Couvrant 581 km2, Singapour compte 2 075 000 habitants. L’État est original par sa nature, puisqu’il s’agit d’une île, par sa population, presque entièrement chinoise, très dense et urbanisée, ainsi que par son importance portuaire et, plus récemment, industrielle.


L’île

À peine séparée de la péninsule malaise par le modeste détroit de Johore, l’île possède des traits semblables à ceux du « plateau de Johore », extrémité méridionale de la péninsule. Il s’agit, ici aussi, d’un plateau de 60 m d’altitude moyenne, culminant au Bukit Timah à 175 m ; ce plateau est d’ailleurs assez accidenté, dominé par des hauteurs (bukit) et entaillé de vallées. Le cœur de l’île est un batholite granitique, revêtu de sols ferralitiques rouge et jaune.

À 1° de lat. N., l’île a un climat équatorial typique : constamment chaud (26,7 °C) et pluvieux à air calme ascendant. L’amplitude thermique annuelle est très faible (1,8 °C). Les pluies sont abondantes (2 300 mm), avec un maximum en novembre-décembre, mais il n’y a aucun mois sec. Les brises se font sentir : « brise de mer », fraîche, dans la journée à partir de 11 heures ; « brise de terre », chaude, dans la nuit.

L’île était, en 1819, couverte d’une forêt dense sempervirente et, dans ses parties les plus basses, autour des estuaires notamment, d’une mangrove à palétuviers et à palmiers. Elle était vide d’hommes, bien que le détroit de Johore eût été utilisé au cours du xviiie s. par les commerçants pour éviter la piraterie. À cette époque, cependant, le grand trafic entre l’Asie du Sud-Est et l’Europe se faisait par le détroit de la Sonde entre Java et Sumatra. C’est en 1819 que sir Thomas Stamford Raffles fonda Singapour. La situation devait se révéler exceptionnelle au cœur de l’Asie du Sud-Est, surtout à partir du moment où le canal de Suez fit passer par le détroit de Malacca, que Singapour commande, le grand commerce entre l’Europe et l’Asie orientale.

Le site urbain, par contre, au sud de l’île, est sans grande signification, au débouché d’une petite rivière, la rivière de Singapour, dont l’estuaire n’était pas occupé par la mangrove. Mais il était facile d’aménager là un port en front de mer, abrité de la « mousson » du nord-est par les hauteurs de l’île et de la mousson du sud-ouest par des îlots.


La population

Bien que la toponymie soit entièrement de langue malaise et bien que Singapour se veuille État « pluriracial », la population est en très grande majorité chinoise, à environ 75 p. 100 ; les Malais représentent approximativement 15 p. 100 ; les Indiens et les Pakistanais, 9 p. 100. Ces Chinois sont surtout originaires de la Chine méridionale et, comme dans toute l’Asie du Sud-Est, se groupent d’après leur lien d’origine et le dialecte qu’ils parlent. Ils ont leurs associations respectives, leurs écoles, leurs journaux et leurs spécialisations professionnelles. Le groupe le plus nombreux et le plus important est le groupe Fujian (Fou-kien). L’université privée chinoise de Nanyang (Nan-yang) est la plus importante de la « Chine extérieure ».