Siloé (les) (suite)
L’art espagnol des Rois Catholiques et de l’empereur Charles Quint culmine dans l’unité achevée du territoire et avec le début de l’expansion coloniale. Issu des courants antagonistes de la Reconquista, il échappe déjà aux définitions européennes, comme le « baroque » latino-américain, auquel il va donner naissance. Sans doute un courant italianisant vient-il s’ajouter dans le Levant aux structures françaises ; c’est le fruit non pas de l’humanisme, mais des rapports avec les possessions aragonaises de Sicile et les commerçants génois. Et c’est l’Inquisition qui succède à une tolérance toute orientale en Nouvelle-Castille, quand le gothique flamand ou germanique vient prendre le relais du mudéjar à Tolède. À l’heure où l’art palatial et bourgeois s’impose ailleurs, le mysticisme septentrional et mauresque triomphe ici dans les façades ciselées des églises, de style « Isabelle », puis « plateresque ».
Le rôle de la sculpture est alors déterminant. Pour s’en convaincre, il n’est que d’examiner la chapelle élevée par Juan et Simón de Colonia au chevet de la cathédrale de Burgos* pour le connétable de Castille (1482). Les gisants du tombeau viendront de Gênes tout sculptés, mais l’un des retables, auquel travaille Gil de Siloé (antérieurement aux interventions de Philippe Biguerny et de Diego de Siloé dans cette chapelle), montre l’intégration en cours des mentalités flamande et mauresque. À la chartreuse de Miraflores, reconstruite par les mêmes architectes pour servir de sépulcre à la famille de la reine, Maître Gil élève à partir de 1486 le tombeau d’albâtre de l’infant Alonso, celui de Jean II et d’Isabelle, puis celui du page Juan de Padilla (auj. au Musée provincial de Burgos) ; aidé par Diego de la Cruz, il compose également le retable du maître-autel (1496-1499). Le style reste encore gothique, mais, avec l’incroyable profusion des détails dans une géométrie heurtée, la mystique ibérique triomphe.
Diego de Siloé s’est formé auprès de son père, puis en Italie, à Naples (1517), où il a élevé des retables avec Bartolomé Ordóñez († 1520). De retour à Burgos en 1519, il poursuit le décor sculpté de la cathédrale et construit l’escalier doré (escalera dorada) du croisillon nord, très italianisant avec ses arcades traitées en portiques. Fixé ensuite à Grenade*, il va y fonder une véritable école de sculpture. À la cathédrale, il succède en 1528 à Enrique Egas († 1534), qui, cinq ans plus tôt, a tracé un plan gothique. Il aménage ce plan, établit le sanctuaire en rotonde sous une coupole de 22 m de diamètre, habille les piliers d’un ordre corinthien à piédestal et à entablement. Il aboutit à un système répétitif complexe, d’esprit déjà baroquisant, qui aura grand succès en Amérique latine après avoir été repris aux cathédrales de Jaén et de Plasencia (et par Diego lui-même au couvent des Hiéronymites de Grenade, comme aux cathédrales de Málaga et de Guadix).
En Andalousie, l’absence d’une tradition gothique peut avoir favorisé le succès d’un italianisme qui s’exprime déjà totalement en 1526 avec Pedro Machuca († 1550) à Grenade même, au palais de Charles Quint. Le génie de Siloé semble bien être ailleurs, dans une combinaison des tendances les plus diverses, pour les accorder à la mesure du dynamisme espagnol.
H. P.
M. Gómez Moreno, Diego Siloe (Grenade, 1963).