Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Shelley (Percy Bysshe) (suite)

À la postérité, Shelley laisse l’image du poète irrésistiblement attiré vers un idéalisme platonicien, qu’annonce sa première grande œuvre, Alastor or the Spirit of Solitude (1816), qui marque le début d’une nouvelle orientation de son art. Il se veut le « jeune homme aux sentiments incorrompus et au génie audacieux » (Alastor) se sentant romantiquement « affaibli et blanchi avec son temps » (Prince Athanase, 1817). Il adore la « Beauté spirituelle » et, dans une extase panthéique, tout tourné vers l’au-delà (Hymn to Intellectual Beauty, 1817), il dit sa soif désespérée de l’Idéal (Epipsychidion, 1821). Essence même de son art, le lyrisme qui baigne l’élégie sur la mort de Keats* (Adonais, 1821) se charge d’images, de symboles, atteint au cosmique et aux sommets les plus éthérés à la fin de sa vie (The Witch of Atlas, 1820). Il remplit d’une symphonie plus proche, plus familière « Lines Written among Euganean Hills », « The Cloud », « To a Skylark », « Letter to Maria Gisborne », « To William Shelley »... et ses accents les plus déchirants... « Enlève-moi comme une vague, une feuille, un nuage / Sous les épines de la vie, je tombe, je saigne ! » résonnent dans Ode to the West Wind (1819), l’un des plus beaux poèmes de Shelley.

De celui dont l’ombre s’étend sur G. Eliot*, R. Browning*, A. C. Swinburne*, C. K. D. Patmore, G. R. Gissing, T. Hardy*, G. B. Shaw* et jusqu’à W. B. Yeats*, sa femme, Mary Shelley (Londres 1797 - id. 1851), rassemble les œuvres (Posthumous Poems, 1824 ; Poetical Works, 1839...). Mais, en digne fille de Godwin et de Mary Wollstonecraft, l’une des premières féministes, l’épouse du poète laisse à côté de ses romans Valperga (1823) et The Last Man (1826) une œuvre à la postérité fameuse. Née en Suisse en 1816 des conversations sur le vitalisme entre Shelley et Byron, imprégnée de rousseauisme, elle décrit comment la soif d’amour partout repoussée avec horreur se transforme en désespoir et en fureur meurtrière chez cette hideuse créature sortie des mains de Frankenstein, or the Modern Prometheus (1818).

D. S.-F.

 H. Lemaître, Shelley, poète des éléments (Didier, 1962). / S. Spender, Shelley (Seghers, 1964). / G. M. Rinedour (sous la dir. de), Shelley, a Collection of Critical Essays (Englewood Cliffs, N. J., 1965). / C. Small, Ariel Like a Harpy. Shelley, Mary and Frankenstein (Londres, 1972).

Sheridan (Richard Brinsley)

Auteur dramatique anglais (Dublin 1751 - Londres 1816).


Sheridan a été porté vers les lettres par atavisme, pourrait-on dire. Son père, Thomas, figure parmi les acteurs classiques en vue. Memoirs of Miss Sidney Bidulph (1761), roman à succès de sa mère, Frances, fait l’admiration de deux familiers des Sheridan, Richardson et Johnson. Quant à Richard, s’il ne manifeste encore aucune aptitude particulière pour les arts, il n’en défraye pas moins par sa fantaisie la chronique de Bath, le Vichy anglais huppé de l’époque, où vit son père depuis 1771. Ses aventures romanesques semblent bien dignes des ouvrages qu’emprunte aux bibliothèques circulantes l’héroïne de The Rivals. Il n’y manque ni la belle et pure jeune fille, Elizabeth Ann Linley, toute jeune chanteuse idole de Bath, l’un des modèles favoris de Gainsborough, ni les sœurs adoratrices et complices. On y assiste à la fuite des amoureux — en France (1772) — pour protéger la demoiselle des assiduités du méchant, un certain major Mathews. De retour au pays, le héros se bat en duel, les amants se trouvent séparés par le père excédé. Mais, enfin, comme de règle en pareil cas, éclate le « happy end » (1773), dernier épisode de la vie romantique du joyeux Sheridan, restant toujours grand buveur, bohème invétéré et un impécunieux chronique. Directeur en 1776 du Drury Lane Theatre, brûlé en 1809, la mort de son prédécesseur lui inspire une pièce de circonstance, Verses to the Memory of Garrick (1779). En 1780, Sheridan entre au Parlement. Il y siège jusqu’en 1812. Cet ami fidèle des whigs met au service de leur cause l’éloquence de ses discours. La postérité peut cependant regretter que les jeux politiques lui fassent négliger le talent d’un auteur dont les œuvres de jeunesse constituent le principal titre de gloire.

Après quelques essais, tels ces Love Epistles of Aristaenetus (1771), traduits du grec et en vers, il s’engage résolument dans la voie dramatique après son mariage. Restent ses meilleures comédies, The Rivals (les Rivaux, 1775) et The School for Scandal (l’École de la médisance, 1777). La même année que The Rivals, où surgit l’inoubliable championne du pataquès, Mrs. Malaprop, la bien nommée dont on conserve en particulier en mémoire le désopilant petit couplet sur l’éducation des filles infligé à sir Antony Absolute, il donne deux autres pièces d’inégale valeur : une farce, Saint Patrick’s Day, et The Duenna (la Duègne). Son beau-père, le musicien Thomas Linley, écrit la partition de ce « comic opera » qui, toutes proportions gardées, connaît un succès comparable à celui de My Fair Lady de nos jours. En 1777, avant The School for Scandal, où sévissent les virtuoses de la médisance mondaine, il compose A Trip to Scarborough, adapté de The Relapse de Vanbrugh*, comme il adapte en 1799 sa tragédie Pizarro de Die Spanier in Peru de Kotzebue, alors très en vogue. Enfin, en 1779, sa comédie burlesque The Critic, or A Tragedy Rehearsed (le Critique) lui permet d’exercer en toute liberté son goût de la charge littéraire et sociale. Déjà, dans The Rivals, à travers sir Lucius O’Trigger, il brocardait ses compatriotes irlandais. Ici, sir Fretful Plagiary ne dissimule aucunement le dramaturge Richard Cumberland, auteur de The Brothers (1769), une pièce représentative de la « sentimental comedy » au même titre que False Delicacy (1768) de Hugh Kelly, par exemple. Dans cette querelle entre partisans de la « comédie sentimentale » et ceux de la « laughing comedy » (« comédie gaie »), Sheridan apparaît l’un des plus brillants illustrateurs et défenseurs de la deuxième manière, lui qui reprend le flambeau de Goldsmith*, refuse que la comédie empiète sur le domaine de la tragédie et professe, dès le prologue de The Rivals, que « la vérité morale se passe du masque du bouffon ». Mais, plus et mieux que le respect de la comédie drôle, Sheridan apporte l’équilibre entre le wit et les sentiments, la gaieté et le cœur, la morale et la frivolité. Il humanise la comédie héritée de ses prédécesseurs de la Restauration. À leur virtuosité éblouissante et cynique, il ajoute l’observation humaine de Molière. Ainsi, aux sir Backbite (« Médire »), aux lady Sneerwell (« Raillebien »), aux miss Languish (« Languir »), à tous les membres de cette insouciante coterie baptisés selon une très vieille tradition demeurée solide chez Dickens, il communique une vie et un relief encore intacts de nos jours.

D. S.-F.

 J. Dulck, les Comédies de R. B. Sheridan, étude littéraire (Impr. Pechade, Bordeaux, 1963). / M. Bingham, Sheridan, the Track of a Comet (Londres, 1972).