Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Schongauer (Martin) (suite)

Peu de peintures sont parvenues jusqu’à nous, quoique, suivant ses contemporains, Schongauer fût un peintre prolifique. Outre le panneau déjà cité, on peut lui attribuer d’une façon certaine les deux ailes du retable de Jean d’Orliac provenant de l’église des Antonites d’Issenheim (Annonciation, Vierge adorant l’Enfant, Saint Antoine, musée d’Unterlinden, Colmar), six petits tableaux, dont une Nativité (Berlin) et une Sainte Famille (Vienne), et les fresques endommagées du Jugement dernier à la cathédrale de Vieux-Brisach, en Allemagne, sa dernière œuvre probablement. Les vingt-quatre panneaux pour l’église des Dominicains (Colmar) sont plutôt un travail collectif dû à son atelier. On connaît par ailleurs un bon nombre de copies, dont celle d’un autoportrait due à Hans Burgkmair (1473-1531), son élève.

L’influence de Schongauer fut très grande à son époque et s’étendit jusqu’aux confins de l’Europe, en particulier grâce à ses gravures au burin. À partir du métier de son père, il était naturel que l’artiste se préoccupât d’estampe*, et son apport y fut au moins aussi important qu’en peinture. Transformant ce qui était encore un métier de cartier, il ouvrit de vastes horizons par ses recherches de contours, de matières, de modelé. La composition de ses images a une autorité telle que de nombreux peintres s’en inspirèrent pour leurs travaux. Plus de cent planches nous sont parvenues : sujets religieux, scènes de la vie quotidienne, armoiries, décors floraux, allégories... Mort jeune, le maître a cependant pu donner toute la mesure de son génie ; c’est auprès de ses frères (notamment Ludwig [v. 1440-1494], également peintre et graveur) que Dürer recueillera, l’année suivante, l’héritage graphique de « Schon ».

E. M.

 J. Baum, Martin Schongauer (Vienne, 1948). / F. Winzinger, Die Zeichnungen Martin Schongauers (Berlin, 1962).

Schopenhauer (Arthur)

Philosophe allemand (Dantzig 1788 - Francfort-sur-le-Main 1860).


Arthur Schopenhauer est issu de la bourgeoisie libérale. Après un essai sur la Quadruple Racine de la raison suffisante (Über die vierfache Wurzel des Satzes vom zureichenden Grunde, 1813) il publie en 1818 le Monde comme volonté et comme représentation (Die Welt als Wille und Vorstellung), qui n’a aucun succès, pas plus que l’enseignement qu’il donne comme privat-docent à Berlin en 1820. Il mène alors pendant une dizaine d’années la vie d’un célibataire aisé, assez oisif, puis se retire à Francfort, où il écrit ses principaux traités (Sur la volonté dans la nature [Über den Willen in der Natur, 1836] ; les Deux Problèmes fondamentaux de l’éthique [Die beiden Grundprobleme der Ethik, 1841] ; Parerga et Paralipomena, 1851).

De fait, Schopenhauer se situe en marge de son temps et, tout comme Stendhal, écrit pour l’homme de demain : « Si ce siècle ne me comprend pas, il y en a beaucoup ensuite ; tempo è galant uomo. »

C’est ainsi que, dès les premières lignes de son œuvre, il s’élève contre les grands systèmes de pensée, si courants à son époque, et leur langage spéculatif plein d’obscurité. Selon lui, une pensée, si vaste et si ample soit-elle, doit s’exprimer dans le moindre des sujets et non seulement dans de vastes architectures dont la fin est en général toujours différée... Lui-même, mettant en application ce principe, prend pour objet de réflexion les thèmes les plus variés : l’art, les femmes, le jeu, la musique...

Au centre de tous ces thèmes, on retrouve pourtant une pensée unique : la doctrine de Schopenhauer peut se comparer à une vaste évocation magique. De même que la magie domine les esprits de la terre et les rend inoffensifs en les évoquant (jusque-là, ils étaient des puissances d’autant plus nocives qu’ils étaient obscurs et cachés), de même la philosophie va dévoiler la puissance du monde, l’x qui le soutient, comme étant volonté ; mais, par là même, une fois dévoilée, cette volonté, qui jusqu’alors était la cause de souffrances sans cesse renaissantes, deviendra inoffensive. Ici s’exprime ce qu’on a appelé le « pessimisme » de Schopenhauer, car, au-delà des motifs que l’intellect donne à son action, cette volonté se révèle force aveugle, simple tendance complètement irrationnelle, absurde. Ainsi, voici saisie la racine du mal inhérent à l’existence : c’est le vouloir-vivre, absurde, sans raison et sans fin, qui engendre toujours de nouveaux besoins et, avec eux, de nouvelles douleurs. Toute l’expérience humaine s’éclaire alors ; on comprend à la fois l’espoir et sa vanité, l’effort et son échec nécessaire, l’amour sexuel avec sa fureur, sa jalousie, sa puissance qui ignore toute raison et fait renaître toujours de nouveaux êtres pour de nouvelles souffrances. L’homme a-t-il satisfait ses désirs ? Alors commence l’ennui qui peut l’amener au désespoir ; aussi cherche-t-il de toute manière à l’éviter : « C’est l’ennui qui fait que des êtres qui s’aiment aussi peu entre eux que les hommes, se cherchent pourtant, et par là est la source de la sociabilité. » On ne peut opposer à ce pessimisme l’existence du plaisir, car la douleur qui naît du vouloir-vivre est la seule réalité positive, et le plaisir n’est ressenti que dans le moment fugitif où cesse la douleur.

Mais, en dehors de la philosophie, l’humanité a découvert spontanément deux remèdes à ses souffrances, l’art et la morale, et c’est à leur étude que Schopenhauer consacre la dernière partie de son œuvre.

D. C.

 W. Gwinner, Arthur Schopenhauer aus persönlichem Umgange dargestellt (Leipzig, 1862 ; nouv. éd., Francfort, 1963). / T. Ribot, la Philosophie de Schopenhauer (Baillière, 1874). / G. Simmel, Schopenhauer und Nietzsche (Leipzig, 1907 ; nouv. éd., Munich, 1920). / T. Ruyssen, Schopenhauer (Alcan, 1911). / F. Rossignol, la Pensée de Schopenhauer (Bordas, 1945). / A. Cresson, Schopenhauer (P. U. F., 1958). / B. F. Kimpel, The Philosophy of Schopenhauer (Boston, 1964). / C. Rosset, Schopenhauer (P. U. F., 1968) ; l’Esthétique de Schopenhauer (P. U. F., 1969).