Schiller (Friedrich von) (suite)
Comme Jeanne d’Arc, il est conscience de son peuple, mais il reste toujours maître de lui. Il se soumet à l’épreuve inhumaine que lui impose le bailli Gessler pour s’assurer qu’il ne tuera pas sous l’empire immédiat de la colère ; il accepte une sorte de jugement de Dieu avant de se faire lui-même justicier. En lui, pourtant, il n’y a pas de place pour le doute, il n’est à aucun moment divisé contre lui-même ; c’est un homme sans faille, comme était aussi Posa, mais porté par la confiance de ses concitoyens, uni à tout moment et heureusement à son peuple.
Mais il n’était pas présent à la rencontre de Rütli et il n’a pas prêté le serment des conjurés pour conserver toute sa liberté et ne jamais céder aux emportements collectifs. On voit là quelle conception hautement idéaliste Schiller avait d’un héros national.
Guillaume Tell donnait par avance une réponse aux questions que les étudiants de Berlin allaient poser en 1808 au philosophe Fichte* pour savoir s’il était moralement légitime de conspirer contre l’occupation étrangère. Comme les conjurés suisses, Fichte répondait qu’un peuple qui conquiert sa liberté défend en même temps sa propre cause et celle de l’humanité. Les Suisses de Guillaume Tell, entre les Français de 1793 et les Discours à la nation allemande, avaient déjà donné leur réponse : « Plutôt mourir que vivre dans la servitude. »
Avec cette pièce, Schiller se rapprochait d’un public populaire, il tendait à sortir du cadre des cercles cultivés, des hommes qui auraient reçu l’éducation esthétique weimarienne. Il avait retrouvé quelque chose de sa jeunesse, surtout il donnait l’image du monde où il serait heureux. Mais il y avait aussi la jeunesse héroïque, l’élan vers l’avenir qui est un trait foncier, inaltérable de sa nature comme de son œuvre. Tell a été créé à Weimar le 17 mars 1804, puis donné aussitôt sur plusieurs autres scènes, en particulier à Berlin le 4 juin, avec si grand succès que Schiller fut invité à venir s’installer dans la capitale prussienne. Il mourut moins d’un an plus tard, le 9 mai 1805.
P. G.
➙ Goethe / Kant / Romantisme.
F. Mehring, Schiller (Leipzig, 1905). / R. d’Harcourt, la Jeunesse de Schiller (Plon, 1929). / H. Cysarz, Schiller (Halle, 1934). / E. Tonnelat, Schiller (Didier, 1935). / R. Buchwald, Schiller (Leipzig, 1937 ; 2e éd., Wiesbaden, 1953-54, 2 vol.). / B. von Wiese, Friedrich Schiller (Stuttgart, 1959). / R. Cannac, Théâtre et révolte. Essai sur la jeunesse de Schiller (Pavot, 1966). / E. Staiger, Friedrich Schiller (Zurich, 1967). / V. Hell, Schiller. Théories esthétiques et structures dramatiques (Aubier, 1974).