Say (Jean-Baptiste) (suite)
Valeur demande et valeur coût
Dans la première édition de son Traité, Say a voulu répondre à une question qu’il s’était formulée : la manière dont s’établit la valeur*, la « cause de la valeur » (H. Denis). Dans les éditions suivantes, il montrera que la valeur est influencée par l’action des consommateurs, qui, formulant une demande, ne l’expriment pas à n’importe quel prix* : la valeur est déterminée en définitive par l’utilité des biens produits. Mais la concurrence* va jouer, et Say a le mérite d’en noter soigneusement les caractéristiques.
La concurrence des producteurs tend à faire baisser la valeur (le prix de vente sur le marché) des produits, parce que chaque producteur va essayer de prendre une part — la plus grande possible — du marché*. La valeur prix de vente tend ainsi à rejoindre la valeur coût : le solde pour l’entreprise tend (une fois rémunérés les trois facteurs) à égaler zéro. Mais cette valeur prix de vente ne peut tomber au-dessous des trois coûts cumulés, sous peine de ruiner la firme, et la motivation même des entrepreneurs à créer des entreprises.
Say passe cependant à côté d’une question fondamentale. Si l’on suppose que les exigences manifestées par les apporteurs de capital et les apporteurs de sol sont formulées avec rigidité, le solde (les salaires) est déterminé, à partir des deux premiers éléments, par voie de différence. Les « marchés » des trois services productifs doivent donc être considérés non pas isolément, mais en relation les uns avec les autres.
La loi des débouchés
Lorsque le producteur, remarque J.-B. Say, a achevé l’élaboration d’un produit, son plus grand désir est de le vendre ; mais, s’il est pressé de voir ce produit vendu, il ne l’est pas moins de réinvestir la valeur du produit (une fois celui-ci monétarisé entre ses mains), pour que l’argent ne chôme point dans son patrimoine. Or, pour ce faire, il doit acheter d’autres produits : la vente d’un produit crée donc, dès l’instant même, un débouché à d’autres produits. Le « circuit » est illustré par J.-B. Say d’une manière séduisante, renforçant d’ailleurs son optimisme, les crises générales de surproduction lui paraissant impossibles.
Mais les « fuites » dans le circuit ne semblent guère perçues, et il faudra J. M. Keynes*, un siècle plus tard, pour les éclairer décisivement. Car l’entrepreneur peut ne pas vouloir réemployer immédiatement l’argent obtenu par l’écoulement de son produit : un filateur peut attendre la baisse du prix du coton brut avant de reconstituer son stock, attendre une occasion meilleure pour acquérir une nouvelle machine. Une épargne*, momentanée ou durable, peut apparaître.
Le problème du « démarrage » ou celui du « décollage » (take off) ne semble pas davantage correctement perçu par J.-B. Say. Comment certains producteurs vont-ils être amenés à prendre les premiers des décisions de développement de production ? Ceux-ci n’ont pas, en effet, les « débouchés » assurés pour écouler ces fabrications accrues, puisque leurs partenaires (acheteurs), pour un temps au moins, n’ont pas accru leurs ventes et ne peuvent, de ce fait, être acquéreurs solvables de productions accrues... Le « take-off » et, plus généralement, la croissance* ne paraissent pas clairement élucidés dans cette analyse.
J. L.
➙ Économique (science).
E. Teilhac, l’Œuvre économique de Jean-Baptiste Say (Alcan, 1927). / P. L. Raynaud, Jean-Baptiste Say (Dalloz, 1953). / P. Guillaumont, la Pensée démo-économique de Jean-Baptiste Say et de Sismondi (Cujas, 1969).