Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Say (Jean-Baptiste)

Économiste français (Lyon 1767 - Paris 1832).


À la suite de mauvaises affaires, sa famille quitte Lyon pour venir se fixer à Paris. J.-B. Say doit interrompre ses études et est placé comme commis dans une banque. Plus tard, il est envoyé en Angleterre, où il suit quelques cours, puis il est employé dans une maison de commerce. À son retour en France, ses goûts le poussent vers les lettres, mais ses aspirations ne sont pas, cependant, assez fixées pour l’empêcher de se mêler aux affaires ; il entre dans une compagnie d’assurances sur la vie.


Le Traité d’économie politique

J.-B. Say va lire un ouvrage qui marquera sa destinée, les Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations d’Adam Smith*, paru en 1776. C’est pour lui comme une illumination : il sera économiste. La Richesse des nations ne le quittera jamais plus. Nommé membre du Tribunat à l’instauration du Consulat, attaché au Comité des finances, Say prend à cœur sa nouvelle carrière. Mais son entente avec le nouveau régime est de courte durée : lorsqu’en 1803 paraît son Traité d’économie politique, dont la rédaction a commencé trois années plus tôt, Say affirme sa déception à l’égard du régime.

Le Traité est un événement pour la science économique. Adolphe Blanqui dira : « Adam Smith avait découvert les vérités fondamentales de la science, à peine entrevues par les physiocrates du xviiie s. ; il les avait démontrées d’une manière admirable ; mais son livre immortel avait besoin d’être mis à la portée de toutes les intelligences et de toutes les nations ; quelques démonstrations essentielles y manquaient, des faits très importants n’étaient pas à leur place. J.-B. Say a remis tout en ordre, créé la nomenclature, rectifié les définitions et donné à la science une base solide en même temps que des limites régulières. » Say sera un grand vulgarisateur de l’économie politique.

La sortie du Traité coûte cher à J.-B. Say. Celui-ci y a courageusement dénoncé la folie des guerres et les bienfaits de la liberté des échanges. La célèbre « loi des débouchés » voit le nom de J.-B. Say associé à une observation capitale : on ne paie des produits qu’avec des produits, toute mesure qui défend à un peuple d’acheter l’empêche de vendre. L’autarcie est condamnée. Éliminé du Tribunat à la suite de son vote contre l’établissement de l’Empire, l’économiste se voit proposer le poste de directeur des droits réunis pour le département de l’Allier ; sans fortune et père de quatre enfants, il refuse cependant cette offre. La seconde édition de son Traité est interdite. C’est la traversée du désert...

Say est alors industriel. Filateur de coton à Auchy-lès-Hesdin (Pas-de-Calais), il peut expérimenter in situ les « lois » qu’il a dégagées. En 1813, il cède ses parts de capital et regagne Paris, mais (à l’instar de David Ricardo*, qui fut banquier) il peut se targuer d’être un des rares économistes à avoir été homme d’affaires et même manufacturier.

La Restauration lui donne la gloire. J.-B. Say va en Angleterre pour y étudier l’état économique du pays et recueillir des informations. Le Traité est déjà connu outre-Manche. De retour en France, l’économiste donne une série de cours qui attirent un public considérable et, en 1821, se voit confier un enseignement au Conservatoire national des arts et métiers. Rejeté de nouveau dans l’opposition par la politique conservatrice des Bourbons, Say, qui a publié un Cours complet d’économie politique (1828-29) en six volumes, accueille favorablement le gouvernement de Juillet. Il est nommé professeur au Collège de France. Mais sa santé devient mauvaise et il meurt à Paris en 1832.


Un postulat optimiste

Say se présente comme un continuateur d’Adam Smith. En réalité, on peut se demander s’il n’a pas renouvelé totalement l’œuvre de l’économiste britannique.

Say part de l’idée fondamentale selon laquelle la production se réalise grâce au concours de trois facteurs : le travail, le capital et les « agents naturels ». Apparemment, il parle de ce qu’il connaît : il a lui-même associé ces trois facteurs dans sa filature d’Auchy-lès-Hesdin... Parmi les « agents naturels », il remarque que la terre doit retenir spécialement l’attention de l’économiste (les influences des physiocrates sont singulièrement tenaces), car elle est le seul agent naturel à être approprié.

Au centre apparaît le chef d’entreprise*, qui combine ces trois facteurs (travail*, capital* et terre), s’assure leur concours et alloue à chacun d’eux une rémunération. On va rémunérer le capital social (dotation monétaire faite à l’entreprise), les travailleurs (apporteurs de forces), le sol et les bâtiments, enfin, mis à la disposition de la firme ou la terre cultivable s’il s’agit d’une entreprise agricole. Ce qu’on appelle le profit (rémunération du « capital »), le salaire (rémunération du « travail »), la rente foncière (rémunération des éléments fonciers) représente le prix des services rendus par ces divers éléments productifs, prix déterminé en fonction de l’offre* et de la demande* qui sont exprimées sur leur marché respectif.

Pour J.-B. Say, le manufacturier est bien celui qui, entrepreneur d’industrie, est un intermédiaire : voyant une demande, formulée par des consommateurs, se porter sur des produits qu’il va mettre à leur disposition (des fils de coton par exemple), il va, pour sa part, devoir acheter des biens ou des services (et, ce faisant, disposer d’une référence de « valeur » [nous dirions la valeur coût] à l’égard de ce qu’il va produire), puis vendre sur le marché ces produits qu’il livre à la consommation*. Say, en analysant l’entrepreneur, annonce les travaux de Joseph Schumpeter (1883-1950).

Il fournit à son époque un modèle optimiste en réponse aux problèmes posés par le travail. Quand il mourra, les grandes enquêtes aboutissant à démontrer l’effroyable dureté du nouveau régime salarial n’auront pas encore attiré l’attention. Les salaires, pour Say, ne peuvent être que la juste rémunération des services des travailleurs : d’ailleurs, un mécanisme cybernétique peut faire remonter le prix du travail (si celui-ci baisse) par la restriction de l’offre de travail sur le marché ! Croyance jugée aujourd’hui terriblement simpliste, mais qui exerça une grande influence, dans la France du xixe s.