Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Sardaigne (suite)

Cette originalité sarde se poursuit dans le domaine humain. Le peuplement de l’île est ancien, comme le prouvent les milliers de nuraghi (édifices coniques préhistoriques). La malaria (qui a persisté jusqu’en 1948) et les tribulations de l’histoire ont repoussé les populations vers l’intérieur. De nombreux conquérants ont abordé les rivages sardes, mais sont restés à la périphérie de l’île. Les Piémontais, en obtenant la Sardaigne (1718-1720), ont atténué sans l’éliminer une économie de prélèvement qui, à certains égards, n’a pas cessé. Les Sardes ont développé alors une société extérieure à ces étrangers qui se marque par le maintien de particularismes, de dialectes originaux. Mais la population a stagné. L’accroissement ne devint sensible qu’au xixe s. L’émigration est restée faible jusqu’à une date récente. Aujourd’hui, la population quitte la montagne pour la plaine et les villes. Ces dernières sont peu nombreuses, et les principales sont les chefs-lieux de province : Nuoro (31 000 hab.), Sassari (108 000 hab.) et Cagliari (225 000 hab.). Un fait nouveau est l’importance des départs hors de l’île. De 1961 à 1971, la Sardaigne a eu un accroissement naturel de 202 000 habitants, mais elle a perdu 153 000 personnes par émigration, ce qui traduit un malaise économique.

Le revenu sarde par habitant est égal à la moitié du revenu lombard. L’octroi d’un statut spécial (1948), l’adoption d’un plan de renouveau ont engagé l’île dans la voie de la modernisation, mais tous les objectifs ne sont pas atteints. Les activités rurales demeurent essentielles, notamment l’élevage. Le tiers des ovins et des caprins d’Italie sont élevés dans l’île, soutenant une société pastorale originale. Les bonifications ont permis l’extension des cultures de céréales (blé dur), de la betterave à sucre et de produits maraîchers, en particulier dans le Campidano. Les cultures arbustives sont plus limitées ; la vigne vient en tête (avec la production de vins très corsés comme la « vernaccia »). La forêt est exploitée grâce au chêne-liège. Quant à la pêche, elle est assez faible et pratiquée par des non-Sardes. L’industrie se développe. L’activité extractive est ancienne ; matériaux de construction, salines, plomb, zinc de l’Iglesiente, charbon de la région de Sulcis (Carbonia) sont exploités depuis des décennies. S’y ajoutent des fromageries (pour le « pecorino »), une sucrerie à Oristano, une fonderie de plomb à San Gavino Monreale, un artisanat varié. La grande industrie s’installe enfin avec un complexe chimique à Cagliari (raffinerie SARAS à Sarroch), un autre à Porto Torres, une grande papeterie à Arbatax sur la côte orientale (80 000 t de papier-journal par an). Quant aux activités tertiaires, elles grandissent rapidement. Le tourisme en est l’élément majeur avec les opérations de grand luxe montées par des groupes internationaux sur la côte nord-est (Costa Smeralda) ; le village de l’Agha khān est ici très connu. Le mouvement touristique apporte des revenus, mais a aussi déchaîné une intense spéculation sur les terrains, ce qui a suscité bien des critiques. D’autres activités tertiaires se concentrent dans les villes, notamment à Cagliari, capitale régionale, ville universitaire, port actif. Ainsi, la Sardaigne combine présentement les éléments d’une vie économique traditionnelle, voire archaïque (le banditisme), et les ferments d’un développement moderne.

E. D.


L’histoire

Isolée au cœur du bassin occidental de la Méditerranée, morcelée en hauts plateaux dont les rebords plongent en abrupt dans la mer ou encadrent étroitement la petite plaine paludéenne de Campidano, la Sardaigne ne s’ouvre que parcimonieusement à l’homme, à l’établissement duquel elle n’offre d’abord que de médiocres ressources agro-pastorales, puis celle de ses gisements d’obsidienne, de fer, de plomb et d’argent.


La Sardaigne aux temps préhistoriques

• L’époque prénuragique (jusqu’en 1500 av. J.-C.). L’homme aborde l’île dans le courant du IIIe millénaire. Cet « Îlien » maintient son habitat sur les côtes et dans les basses vallées au moins jusqu’en 1800 av. J.-C. Après avoir édifié des dolmens au Néolithique (avant 2000 av. J.-C.), il développe au chalcolithique des cultures diverses : celle d’Arzachena (Gallura), caractérisée par ses cercles mégalithiques ; celle de San Michele (Ozieri), largement diffusée, édificatrice de menhirs et inhumant ses morts dans des cavernes artificielles, les domus de janas (« maisons des sorcières ») ; celle des « beakers » enfin, qui se développe surtout au bronze ancien (1800-1500) et qui est marquée par la production de vases campaniformes d’origine ibérique. C’est d’ailleurs à cette époque que s’effacent les Îliens au profit tant des Ibères venus des Baléares que des Libyens arrivés d’Afrique. Alors apparaissent les tours en forme de tronc de cône, construites en pierres sèches de grand appareil, dites « nuraghi ».

• L’époque nuragique archaïque, ou protonuragique. Au bronze moyen (1500-1200) s’épanouit la culture de Bonnannaro, qui bénéficie de l’apport colonisateur des peuples de l’Orient ; ceux-ci importent dans l’île des lingots et la tholos (tombe circulaire à coupole) d’origine mycénienne. L’homme pénétrant à l’intérieur de l’île, étend son emprise sur les hauts plateaux, où règnent dès lors de grands constructeurs et guerriers pasteurs.

Au bronze récent (1200-1000), la culture de Monte Claro permet l’achèvement de monuments mégalithiques appelés tombes des géants, formés de très gros blocs de pierres empilées et dont le plan reprend celui de la demeure sarde de l’époque.

• L’époque nuragique moyenne, ou apogéique. La Sardaigne entre dans l’histoire au début de l’âge du fer (xe-vie s. av. J.-C.). Elle est alors l’objet d’un début de colonisation au nuragique I inférieur de Barumini (xe-vie s. av. J.-C.). En fait, cette colonisation semble avoir été surtout l’œuvre des Phéniciens, dont l’apparition en Sardaigne remonterait même selon certains savants au xiie s. av. J.-C. Les Phéniciens, attirés par les richesses minières de l’île, y fondent de nombreuses villes, dont Nora, et un important établissement sur le site de l’actuelle Cagliari, mais ils sont finalement supplantés par les Carthaginois.