Sarazin (Jacques) (suite)
La renommée de ses illustres clients romains, parmi lesquels le cardinal Aldobrandini, neveu du pape Clément VIII, qui le fait participer au décor du teatro élevé par Giacomo Della Porta dans le jardin de sa villa de Frascati, vaut à Sarazin, dès son retour en France, la faveur des commandes des grands seigneurs et du roi. Chargé de travaux et d’honneurs, il anime un atelier groupant une importante équipe de sculpteurs dont la plupart, formés par les anciennes lois corporatives de la maîtrise, se regroupent avec leur maître au sein de la jeune Académie* royale de peinture et de sculpture, que Sarazin servait depuis sa fondation en 1648 et qui orientera radicalement l’art français vers le classicisme. Logé aux galeries du Louvre, l’artiste sera inhumé à Saint-Germain-l’Auxerrois, paroisse du palais.
Son activité se manifeste dans tous les domaines de la sculpture, mais c’est l’art funéraire qui établit sa réputation. Après plusieurs tombeaux traditionnels, il donne pour Anne d’Autriche en 1643 le modèle du monument du cœur de Louis XIII, soutenu par deux anges d’argent et de bronze et complété par des bas-reliefs de marbre blanc représentant les Vertus cardinales. Ce monument, placé à l’église professe des Jésuites, fut dispersé à la Révolution ; seuls les quatre médaillons des Vertus sont aujourd’hui au Louvre. En 1657, Sarazin exécute les deux tombeaux du cardinal de Bérulle, fondateur de la congrégation de l’Oratoire : monument du cœur au couvent des carmélites de la rue Saint-Jacques (aujourd’hui au Louvre) et monument du bras du prélat pour l’institution de l’Oratoire, actuellement au collège de Juilly. Les deux monuments comportent le traditionnel portrait du défunt en prière, mais animé d’un mouvement d’offrande extatique qui traduit l’influence du baroque romain. La formule adoptée pour le monument du cœur d’Henri II de Condé (château de Chantilly) est beaucoup plus originale : des Vertus de bronze veillant autour d’une stèle antique et des bas-reliefs de bronze illustrant les Triomphes de Pétrarque composent un ensemble décoratif très élaboré ; issu des grands tombeaux romains, celui-ci fait triompher l’italianisme et l’inspiration profane dans l’art funéraire français.
Des décors exécutés par l’atelier de Sarazin pour les demeures civiles, un petit nombre subsiste, mais de la plus grande qualité. Les huit cariatides du pavillon de l’Horloge, au centre de l’aile ouest de la cour Carrée du Louvre, unies deux à deux en une seule masse plastique, rythment puissamment la verticalité de l’architecture de Jacques Lemercier. Au contraire, le décor de l’escalier du château de Maisons, de Mansart*, avec ses groupes d’enfants symbolisant les arts, l’amour et la guerre, exprime avec une étonnante liberté un naturalisme gracieux, sans mièvrerie, et une parfaite science des groupements et des attitudes.
Ce goût de l’enfance se manifeste aussi dans des œuvres destinées au décor des jardins, tel le groupe des Enfants à la chèvre (Louvre), probablement commandé par Louis XIII en 1640. Son allégresse, la joie de vivre des putti couronnés de pampres préfigurent si bien l’art du xviiie s. que le groupe, complété par un piédestal rocaille, fut placé dans les jardins de Marly sous Louis XIV. De même, les Amours de bronze chevauchant des sphinx de marbre blanc, œuvres posthumes car fondues après la mort du sculpteur, eurent une influence considérable sur le décor sculpté des jardins de Versailles*, où ils ornent le parterre du Midi.
Bien que n’étant pas encore lui-même un véritable classique, Jacques Sarazin donne également son essor à l’art de Versailles par son rôle dans la création de l’Académie et la formation d’un grand nombre de sculpteurs : ses collaborateurs, tels Gilles Guérin (1606-1678), Étienne Le Hongre (1628-1690), Pierre Ier Legros (1629-1714), participeront au grand chantier où se définira le classicisme français.
M. L.
M. Digard, Jacques Sarrazin. Son œuvre, son influence (Leroux, 1934).