Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Sardaigne (suite)

• L’époque nuragique finale, récente ou de décadence (vie-iie s. apr. J.-C.). Pour faire obstacle à l’établissement des Grecs (colonie phocéenne d’Olbia [Terranova]), les Carthaginois s’allient aux Étrusques, aux côtés desquels ils participent vers 535 av. J.-C. à la bataille navale d’Alalia (auj. Aléria), qui les opposent aux Phocéens au large de la Corse. Ils assujettissent les principaux centres de l’île, Sulcis (auj. Sant’Antioco), Nora, Caralis (auj. Cagliari) ; surtout, ils exploitent par la terreur ses richesses pendant le deuxième âge du fer (vie-iie s. av. J.-C.). En fait, seuls les intéressent les métaux et le blé sardes. Les habitants, réfugiés sur les hauts plateaux, leur opposent une vive mais difficile résistance. Contraints de leur payer un tribut et de leur fournir blé, métaux et mercenaires, les Sardes se rebellent à plusieurs reprises, mais en vain, contre leurs maîtres, qui, par ailleurs, interdisent aux Romains d’y commercer (sans doute en 348). La domination carthaginoise, affaiblie par les offensives des Grecs de Sicile et surtout par celles des Romains au temps de la première guerre punique*, s’effondre en 240, victime d’une révolte des indigènes, qui sollicitent l’intervention de Rome. En 238, Carthage se résigne à céder l’île aux Romains, qui, à la même époque, s’emparent de la Corse*.


La Sardaigne romaine (iiie s. av. J.-C. - ive s. apr. J.-C.)

En 227 av. J.-C., les Romains érigent leur double conquête en une unique province dont ils n’occupent en fait que les plaines littorales. Ils soumettent les populations locales au paiement d’une redevance fixe : le stipendarium vectigal. Mais ils doivent réprimer les nombreuses révoltes des populations autochtones (iiie - iie s. av. J.-C.), exploitées par des gouverneurs trop souvent prévaricateurs, à l’exception de l’intègre Caton en 198 av. J.-C. ou du questeur Caius Gracchus, qui se ruine à administrer la Sardaigne (127-126 av. J.-C.).

Malgré la victoire du père de Caius, Tiberius Sempronius Gracchus, qui en 177 aurait tué ou fait prisonniers 80 000 Sardes (l’afflux de ceux-ci sur le marché de Rome aurait fait baisser le prix des esclaves), les indigènes de la montagne (pelleti, couverts de peaux) restent réfractaires à l’occupation romaine. Ils renoncent aux batailles rangées et se contentent de procéder à des raids fructueux dans les plaines cultivées lorsque les forces romaines se sont momentanément éloignées.

Grenier à blé de Pompée, qui place l’île sous l’autorité de gouverneurs dévoués à sa cause durant sa cura annonaria (57-51), occupée par César en 49 av. J.-C., la Sardaigne est enfin attribuée à Octavien lors du partage consécutif à l’établissement du second triumvirat (43). L’île, qui alimente en blé les armées combattant en Orient Brutus et Cassius, est érigée par Auguste en 27 av. J.-C. en province sénatoriale unie à la Corse et administrée par un préteur. Malgré la fondation de trois colonies militaires, la Sardaigne se révolte de nouveau en 6 apr. J.-C. Elle est alors séparée de la Corse et transformée en province impériale placée sous l’autorité d’un procurateur ; ce dernier se contente de contrôler les plaines littorales où sont établis des Ligures, puis des Maures. La Sardaigne est restituée en 66-67 apr. J.-C. par Néron au Sénat pour compenser la perte de l’Achaïe. Après Tibère, qui y a relégué 4 000 affranchis accusés de superstition judaïque, Néron fait déporter dans les plaines malariennes de l’île un grand nombre de ses adversaires : en 65, C. Cassius Longinus, qui a conspiré contre lui ; l’ancien préfet du prétoire Rufius Crispinus, qui s’y suicide en 66 ; Anicetus, meurtrier en 59 d’Agrippine, etc.

Redevenue province impériale et unie à la Corse par Septime Sévère, victime par ailleurs de la pacification du Bassin méditerranéen, la Sardaigne perd son importance stratégique et économique dans l’Empire. Les Romains ne construisent qu’une seule voie, qui traverse l’île en suivant les vallées les plus accessibles et qui relie quelques petites places solidement fortifiées (Uselis, Forum Trajani [auj. Fordongianus]). Les conquérants n’introduisent dans l’île que la seule culture de la vigne et abandonnent aux montagnards les ressources pastorales de l’île (miel, peaux épaisses des mouflons). Les empereurs ne s’intéressent en fait qu’à la seule exploitation des métaux : plomb argentifère dès le ier s. apr. J.-C. ; fer, surtout au ive s. L’île, divisée en vastes latifundia, ne compte que dix-huit cités, dont cinq seulement ont un aspect urbain : Turris Libisonis (Porto Torres), colonie romaine du temps de César et d’Auguste ; Colonia Julia (Uselis), datant des Antonins ; Sulcis, qui vit du plomb ; Nora, qui a peut-être été la capitale de l’île ; Caralis enfin, la plus active. La compartimentation du relief a d’ailleurs peut-être entraîné la division de l’île en quatre conventus (Caralis, Othoca, Turris et Olbia), qui seraient à l’origine des quatre judicats du Moyen Âge.

Le particularisme sarde s’exprime sur le plan religieux par la permanence de l’organisation clanique, par la longue survivance du culte de l’énigmatique Sardus Pater, divinité qui serait d’origine africaine, par celle aussi des cultes phéniciens. La romanisation reste de ce fait longtemps superficielle ; elle n’est parachevée que grâce au christianisme, qui imprègne lentement les populations locales et qu’illustre un défenseur énergique de l’orthodoxie : Lucifer, évêque de Cagliari au ive s.


Un enjeu disputé (ve - xive s.)

La Sardaigne, qui a été occupée par les Vandales en raison de son importance économique (blé), stratégique (proximité de l’Italie) et politique (lieu de relégation idéal par son isolement), est reconquise temporairement par les Romains en 468. Mais l’empereur d’Orient Zénon ne peut s’y maintenir et abandonne l’île à Geiséric, qui y établit le gouverneur de ses possessions maritimes (Baléares et Corse), à partir desquelles il menace l’Espagne et surtout l’Italie. Rallié à la forme arienne du christianisme, l’un de ses successeurs, Thrasamund, y relègue au moins 120 prélats orthodoxes d’Afrique.