Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Salvador (suite)

La culture du coton a été lancée dans le pays (peu après son apparition au Nicaragua*), dans la plaine côtière pacifique, précédemment partagée entre de grands domaines d’élevage extensif. Le passage de l’élevage à la grande culture mécanisée moderne n’a pas été sans drames pour les nombreux paysans-squatters, qui s’étaient infiltrés sur les grands domaines sous-exploités et qui ont été alors évincés. Sous climat à longue saison humide, le coton est menacé rapidement par les parasites, contre lesquels on lutte par l’aspersion massive et coûteuse d’insecticides envoyés par avion. En quelques années, ces techniques ont élevé les coûts de production au point d’exiger l’abandon partiel de la production, qui a baissé un peu plus tard qu’au Nicaragua, mais de façon plus marquée : les exportations ont diminué de 50 p. 100 entre 1964 et 1969. Cette situation n’est pas dramatique pour les exploitants, qui se reconvertissent à un élevage de qualité avec ensemencement des pâturages : cet élevage leur procure des revenus nets à l’hectare comparables à ceux qui étaient obtenus grâce au coton. Au contraire, la crise est aiguë pour la main-d’œuvre cotonnière, abondante mais presque exclusivement temporaire, qui se retrouve ainsi rejetée vers le chômage, car l’élevage utilise seulement un petit nombre d’employés permanents.

Dernière en date des cultures d’exportation prospères, la canne à sucre s’est développée rapidement pendant les années 60, en raison de prix mondiaux relativement élevés et de quotas de vente vers les États-Unis, liés à la disparition de Cuba sur le marché occidental du sucre. Cette culture présente pour les sols moins d’aléas que celle du coton et peut être pratiquée aussi bien sur la plaine pacifique que dans les secteurs plats des collines volcaniques de terre tempérée.

En une décennie, la production de sucre a quadruplé pour dépasser 200 000 t en 1971. Il est peu probable, cependant, que les emplois ainsi créés pour la coupe de la canne, temporaires bien entendu, aient compensé ceux qui ont disparu à cause de la décadence cotonnière.

Ainsi, dans la situation agraire actuelle, l’agriculture oppose un secteur d’exportation prospère, mais instable, appartenant à de grands propriétaires, incapable d’absorber la main-d’œuvre disponible, et un secteur vivrier déficitaire, dépendant principalement du minifundio et pratiquant des cultures pauvres : le sorgho tend à prendre le pas sur le maïs dans l’exploitation des terres les plus marginales. De ce secteur de minifundio proviennent à la fois la main-d’œuvre temporaire des grandes cultures d’exportation et l’émigration vers les villes.

Les grands domaines sont aux mains de nationaux symbolisés par les « 14 familles » : celles-ci ont investi non seulement dans les activités agricoles, mais aussi dans l’industrie et dans les services, particulièrement à San Salvador, pour constituer la première puissance industrielle centre-américaine.


L’industrie et les échanges

Le développement de l’industrie manufacturière a bénéficié de plusieurs atouts, et d’abord d’une main-d’œuvre industrieuse, largement sous-employée en milieu rural, concentrée sur un petit territoire. Celui-ci est, d’autre part, le mieux pourvu d’Amérique centrale en réseaux de communications, et l’émigration vers les villes de ces paysans métissés et hispanisés de longue date s’est effectuée sans difficultés d’adaptation. L’équipement énergétique de ces villes a fait l’objet d’investissements importants dans la production hydro-électrique : c’est principalement l’aménagement du fleuve Lempa dans son cours moyen qui a permis cette production. Ainsi ont pu se développer des industries de transformation dans la capitale, mais aussi à Santa Ana et à San Miguel (respectivement 96 000 et 59 000 hab. en 1971) ; ces villes sont situées sur l’axe ferroviaire qui traverse le pays de la frontière guatémaltèque jusqu’au port de La Unión, sur le golfe de Fonseca, et sont desservies aussi par la route panaméricaine. Si les industries alimentaires prédominent, le textile a aussi un rôle important, tandis que des productions se diversifient à partir de la chimie et de la métallurgie lourdes. Certes, le travail agricole temporaire reste une activité importante pour les gens des villes, sous-employés, mais l’industrie est ici proportionnellement plus développée que les services en comparaison des autres pays centre-américains. Les investissements de la bourgeoisie nationale, renforcés par les capitaux des firmes multinationales, expliquent cette situation, favorisée, d’autre part, par l’abondance d’une main-d’œuvre à bon marché. Toutefois cette expansion industrielle ne peut se fonder sur un marché intérieur notable, en raison du faible pouvoir d’achat de la majeure partie de la population. Aussi résulte-t-elle principalement de l’exportation vers les pays voisins grâce au marché commun centre-américain (v. Amérique latine) et à la libéralisation des échanges dès le début des années 60. Par le nombre de ses établissements industriels, mais surtout par la part de l’industrie dans son produit intérieur brut (19 p. 100), le Salvador devance ses partenaires. Entre 1962 et 1967, sa production industrielle a doublé, et elle entrait en 1968 pour 20 p. 100 dans les exportations nationales. C’est grâce à ces produits industriels que le Salvador faisait passer, entre 1960 et 1967, de 10 à 40 p. 100 la part de ses exportations destinées à ses partenaires centre-américains. Ainsi, le plus petit pays de l’isthme amorçait un changement profond ; il passait d’une exportation caféière destinée aux pays riches, à peine soutenue par une exportation cotonnière vite en décadence, à une exportation diversifiée où il faisait figure de puissance industrielle vis-à-vis de ses voisins (Guatemala excepté).

La fermeture de la frontière du Honduras en 1969 a eu pour conséquence une baisse de plus de moitié des exportations salvadoriennes vers l’Amérique centrale : non seulement le marché hondurien a été perdu, mais aussi le transit en direction des clients du sud-est de l’isthme a été rendu impossible. Si les relations diplomatiques se sont rétablies prudemment en 1972, les échanges commerciaux demeurent encore profondément détériorés.