Saltykov-Chtchedrine (Mikhaïl Ievgrafovitch Saltykov, dit) (suite)
On s’en aperçoit dans les années 1868-1870 : Saltykov quitte l’Administration pour se consacrer uniquement à la littérature. Il dirige alors avec Nekrassov* les Annales de la patrie et publie ses œuvres majeures : Histoire d’une ville (1869-70) est une parodie de l’histoire de la Russie, vue à travers le microcosme d’une ville, Gloupov, gouvernée par des femmes, habitée par des notabilités repoussantes et par une population toujours prête à « être tondue ». Les Pompadour, Messieurs et Dames (1863-1873), satire pleine de verve des satrapes de province, reçoivent cependant un accueil plutôt froid des milieux progressistes, qui jugent l’ouvrage trop léger.
C’est dans les Golovlev (1872-1880) que Saltykov donne la mesure de son talent, en peignant l’histoire d’une famille noble perdue par ses vices. Oisifs, cupides, vaniteux, malveillants, alcooliques, les Golovlev vivent d’une vie bestiale, sans qu’aucune lumière, aucun élan de générosité ne vienne éclairer cet univers de cauchemar. Le tableau implacable, dense et désespérément triste reste pourtant toujours sobre et refuse les effets mélodramatiques.
Saltykov continue à avoir des ennuis avec la censure, d’autant que l’assassinat d’Alexandre II est suivi d’une période de violente réaction. En 1884, son journal, le plus extrémiste de la Russie, est définitivement interdit. Mais l’écrivain reste plus que jamais le porte-parole des radicaux. Il écrit ses Fables (1880-1885), qui touchent la perfection littéraire. À ses railleries, seul échappe le paysan, symbolisé par une vieille bourrique, montée jusqu’à l’épuisement et bonne pour tous les travaux.
Que restera-t-il de son œuvre après sa mort ? Toute une partie, liée aux conditions sociales et politiques du pays, a vieilli : pamphlets de journalistes, exagérations d’hommes de parti. En revanche, ses Fables, ses chroniques de la société provinciale du temps, les Golovlev et Pochekhonskaïa starina (1887-1889), s’insèrent dans la grande tradition russe, au même titre que les œuvres de Gontcharov* et de Bounine*.
S. M.-B.
K. Sanine, Saltykov-Chtechedrine, sa vie et ses œuvres (thèse, Paris, 1954).