Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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salons, académies, clubs, cafés : l’espace littéraire (suite)

Mais il y aura toujours le petit groupe pour préférer le lieu de rencontre intime où l’on peut, entre initiés, refaire le monde et réinventer la poésie. Pour les jeunes romantiques, le salon était trop mondain et trop composite, l’académie trop institutionnelle et trop conservatrice. Le cénacle préfère se retrouver autour de la table de Charles Nodier (1780-1844) à partir de 1824, puis de celle de Victor Hugo* à partir de 1827. Bien qu’ils n’aient pas porté ce nom, il y a eu bien des cénacles en littérature. La Pléiade (v. Ronsard et la Pléiade), à sa manière, en a été un. De ces réunions sérieuses sortent volontiers des manifestes. Comme le romantisme, le surréalisme* a eu ses cénacles. Les cénacles prolongent volontiers leur système de communication par une revue, et, de nos jours, c’est souvent autour de la table de rédaction d’une revue qu’ils se retrouvent. Le groupe qui réunit les sémioticiens de Tel Quel, par exemple, appartient encore à ce modèle.

Sur ce point aussi, la Grande-Bretagne se distingue de la France. Les exigences d’une société aux classes sociales très stratifiées, mais mobiles, le goût de l’indépendance et la nécessité de communiquer ont très tôt construit le système des clubs à partir de celui des cafés. Du temps de Samuel Pepys (1633-1703), on se rencontrait dans les tavernes en confréries amicales. À partir du xviiie s., les clubs connurent un brusque développement. Ils eurent d’abord des locaux réservés dans les cafés, puis, plus tard, leurs propres locaux, voire leurs propres immeubles. En 1764, le docteur Johnson fonda le Literary Club, qui existe encore et où se comptent les célébrités littéraires. Il y eut à Londres au xviiie et au xixe s. plusieurs dizaines de clubs littéraires.

Mais le plus célèbre et sans doute le plus important des clubs littéraires britanniques est l’Athenaeum, fondé en 1823 par John Murray (1778-1843, l’éditeur de Byron). Ce club, qui se réunissait dans la maison d’édition de ce dernier, 50, Albermarle street (où elle est encore), s’est ensuite installé dans un immeuble propre dans Pall Mall. Ni Byron, ni Shelley (alors en Italie) n’y sont allés, mais c’est là que s’est élaborée a posteriori la conscience du romantisme britannique. On trouvait là dès la fondation Walter Scott* et Thomas Moore (1779-1852), tous deux amis intimes de Byron.

Un des clubs littéraires les plus récents est le Pen Club, fondé en 1921 par Mrs. Dawson Scott. Il devait, par la suite, prendre des dimensions internationales. À l’heure actuelle, la Fédération des Pen Clubs a des ramifications dans le monde entier et, structurée depuis 1953 en société internationale, n’a plus le caractère d’un espace littéraire au sens que nous donnons à ce mot.

On peut d’ailleurs se demander si le monde moderne se prête à l’existence de tels espaces. Les pays socialistes ont des Unions des écrivains qui sont des organisations professionnelles, comme en France la Société des gens de lettres. Dans le cadre de ces organisations, il peut exister des lieux de rencontre, de discussion. Mais c’est rarement là que se fait la novation.

La leçon de notre temps est, sans doute, que l’écrivain doit sortir maintenant de son espace privilégié. La littérature est partout ou elle n’est nulle part.

R. E.

➙ Académie / Écrivains, auteurs, hommes de lettres / Préciosité / Romantisme / Surréalisme.

 L. Batiffol et A. Hallays, les Grands Salons littéraires, xviie et xviiie siècle (Payot, 1928). / H. Tasse, les Salons français (Aubanel, Avignon, 1939) ; les Salons français du xixe siècle (Ducharme, Montréal, 1953). / M. Glotz et M. Maire, Salons du xviiie siècle (Nouv. Éd. latines, 1949). / G. Mongrédien, la Vie de société aux xviie et xviiie siècles (Hachette, 1950). / L. Riese, les Salons littéraires parisiens du Second Empire à nos jours (Privat, Toulouse, 1962). / M. Gougy-François, les Grands Salons féminins (Nouv. Éd. Debresse, 1965).

Saltykov-Chtchedrine (Mikhaïl Ievgrafovitch Saltykov, dit)

Écrivain russe (Spas-Ougol, gouvernement de Tver, 1826 - Saint-Pétersbourg 1889).


Le langage naturel de Saltykov est celui de la satire. Où qu’il aille, celui-ci croque, en digne héritier de Gogol*, le ridicule d’une situation, l’aspect caricatural d’un personnage, les abus de la bureaucratie, les vices et les hypocrisies de la société. Le ton caustique et grinçant ne plaît guère aux autorités, qui, d’ailleurs, ont quelques bonnes raisons de se méfier : ce fonctionnaire du ministère de la Guerre, d’origine noble et élevé au lycée de Tsarskoïe Selo, fréquente dans les années 1845-1848 les cercles libéraux et collabore à des revues de tendance occidentale, dans lesquelles il déverse sa bile. Le régime, en pleine période de répression politique, l’envoie en exil à Viatka. Huit ans plus tard, en 1856, Saltykov reprend du service au ministère de l’Intérieur à Saint-Pétersbourg et, en même temps, publie son premier recueil de nouvelles dans la revue le Messager russe, Esquisses provinciales, puis Satires en prose sous le pseudonyme de Chtchedrine.

Ces nouvelles tiennent à la fois du journalisme et du roman, et constituent un genre qui devient fort à la mode en ces temps de fermentation politique. Le style en est parfois alambiqué, pour éviter les foudres de la censure, et un peu hâtif, à la manière des publicistes. Mais les portraits et les dialogues relèvent du grand art. Le regard aigu de Saltykov porte loin, plus loin que les circonstances du moment : doué de la vertu d’indignation, Saltykov se bat contre le scandale d’une société archaïque et refuse, au lendemain des réformes d’Alexandre II et de l’émancipation des serfs, le « mensonge libéral », ce qui lui vaut l’estime de toute l’intelligentsia radicale. Il y a en lui du polémiste, qui raille et écrit sous le coup de la fureur, mais aussi du moraliste, qui analyse en profondeur les mobiles des hommes et les rouages d’une civilisation.